La France face à l’Allemagne éternelle

Par Dr. Charles Saint-Prot

 Signé à Aix la Chapelle, le traité franco-allemand du 22 janvier 2019 prévoit, tout uniment, une « conver­gence » des deux pays en politique étran­gère, défense, sécurité extérieure et inté­rieure, économie, industrie, commerce, social, fiscal, langues (sans doute l’an­glais), exportation d’armement, diploma­tie, lutte contre la criminalité organisée, judiciaire, juridique, environnemental, climat, sanitaire, énergétique, intelligence artificielle, transports, renseignement, police, culture, enseignement, recherche et mobilité ! Outre l’ébauche d’une pré­tendue armée européenne, le texte pré­voit également la création d’un «Conseil des ministres franco-allemand» et qu’un membre du gouvernement d’un des deux États prendra part, «une fois par trimestre au moins et en alternance, au Conseil des ministres de l’autre État». En somme, c’est quasiment une fusion dont même le Troisième Reich n’aurait osé rêver.

Coralie Delaume écrit dans un ex­cellent ouvrage que certains parlent, à tout bout de champ, d’un « couple fran­co-allemand » qui serait la locomotive de l’Europe ; selon la propagande européiste, abondamment diffusée par les médias et la classe dirigeante, les deux pays seraient à égalité pour conduire l’Union européenne. C’est, naturelle­ment, une baliverne. Coralie Delaume note, fort justement, que les structures de l’Union européenne entraînent une consolidation du poids de l’Allemagne chaque fois qu’elle agit dans le sens de l’affirmation ou de la préservation de ses intérêts nationaux. C’est ce que Berlin fait désormais de manière systématique, à l’exact opposé de la France, dont les dirigeants s’inscrivent dans une perspec­tive post-nationale et défaitiste. Loin de former un couple avec l’Allemagne, la France est donc à sa remorque.

« Il n’y a rien de pire que l’équivoque »

La question allemande est la seule grande question de l’Europe, disait Jacques Bainville. L’une des pires ruses du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. L’Allemagne a utilisé ce stratagème durant une trentaine d’années et tout le monde avait cru découvrir un pays nor­malisé, tranquille et amical. À cet égard, il convient de démonter la baudruche de la fameuse « indéfectible amitié fran­co-allemande » et d’en souligner les arrière-pensées et les malentendus.

La réunification des Allemagnes en octobre 1990, à l’encontre de la poli­tique millénaire de la France et qui a recréé en Europe un déséquilibre ; l’er­reur historique de la création de l’euro (2001), géré à Francfort ; les élargissements à une Europe de l’Est anschlussée par Ber­lin ; l’arrogance d’un Reich sûr de lui et dominateur, ont signé l’avènement d’un nouvel Empire germanique. Dans ces conditions, le prétendu couple franco-allemand est un mythe. Ce qui se passe depuis la ridi­cule rencontre Mitterrand-Kohl à Verdun, puis le lâche renon­cement mitterrandien de 1990 n’a rien de commun avec le traité franco-allemand signé, en 1963, entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer, chancelier de l’Allemagne de l’Ouest.

Cet accord n’a jamais visé à créer un quelconque axe franco-allemand mais simplement à tourner une page de l’Histoire. Pour le reste, on doit garder en mémoire les paroles d’Adenauer à Charles de Gaulle, après la signature du traité : « Alors mon Général, vous avez encore peur de l’Allemagne ? – Bien sûr que non, répondit celui-ci. – Vous avez tort, mon général, moi, j’en ai peur. ». Ce catholique rhénan, partisan de l’au­tonomie de sa province rhénane après la Première Guerre mondiale, voulait dire par là qu’il craignait le retour au pou­voir des Allemands du Nord, Prussiens et autres. Or, n’est-ce pas ce qui s’est passé avec Angela Merkel, fille d’un pas­teur ayant choisi l’Allemagne de l’Est ? Au XXIe siècle, l’Allemagne, redeve­nue prussienne depuis la funeste uni­fication de 1990, est bien l’« homme dangereux de l’Europe » dont se méfiait tant le chancelier Adenauer, hostile à l’idée d’une unification des Allemagnes qui conduirait à créer une puissance germanique incontrôlable.

Jacques Bainville a écrit qu’il n’y a rien de pire que l’équivoque dans les relations entre les peuples. En France, l’amitié franco-allemande est devenue une sorte de slogan pour se rassurer, à bon compte, un lâche soulagement qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre Histoire. La vérité est que « l’Al­lemagne éternelle » utilise le levier de l’Europe fédérale pour assouvir sa volonté de puissance. C’est toute l’équivoque des relations franco-allemandes qui ne peuvent trouver un équilibre satisfaisant qu’à la condition que la France ne baisse pas la garde. Quand un pays se croit trahi par un autre, il l’est surtout par ses propres erreurs. L’erreur funeste des dirigeants français, depuis plus d’une trentaine d’années, a été de croire qu’on pouvait neutraliser l’Allemagne par l’in­tégration dans l’Europe communautaire. Le calcul se révèle d’autant plus faux qu’il s’avère que c’est la France qui se trouve ligotée et de facto vassalisée. Il n’y a plus que les aveugles professionnels pour célébrer comme des marques de la coopération franco-allemande, des fusions d’entreprises qui se font au seul bénéfice des sociétés allemandes, à leurs conditions et sous leur contrôle.

C’est le cas de Rhône-Poulenc, l’un des fleurons de l’industrie française, passé sous la domination de la société Hoescht au sein du nouveau groupe Aventis ou des AGF avalées par le groupe teuton Allianz, pour ne rien dire du mariage de Matra-Aerospatiale et DASA, la division aérospatiale du géant Daimler, dans une entreprise baptisée d’une façon signi­ficative European Aeronautic, defense and Space, dont le siège est à Leyde, aux Pays-Bas !

Sortir de l’Union européenne

C’est donc l’Allemagne qui im­pose ses règles. Le « couple franco-al­lemand » est une tromperie. Depuis François Mitterrand – l’homme de tous les renoncements -, les dirigeants « français » ne cessent de se prosterner devant l’Allemagne pour l’amadouer, alors que l’Allemagne, à travers l’Union européenne, défend ses seuls intérêts de puissance.

 Le 22 janvier 2018, la chancelière Merkel et Emmanuel Macron ont annoncé que la France et l’Allemagne voulaient signer un nouveau « traité de l’Élysée », prévu pour le 22 janvier 2019. Le projet est effrayant puisqu’il porte en lui tous les germes de la destruction programmée de notre nation : le fédéralisme contre la souveraineté nationale, le régionalisme contre la nation – ce projet va jusqu’à envisager le détachement des régions frontalières de l’ensemble national, sous couvert d’une coopération transfronta­lière qui vassalisera des pans entiers de notre territoire national. En outre, ce nou­veau traité prône une armée européenne censée compléter les forces de l’OTAN, en se fondant dans le pacte Atlantique et en annihilant, ainsi, l’un des derniers vestiges de souveraineté de la France et l’un des ultimes facteurs d’équilibre face à Berlin. L’européanisation de la Défense nationale française devrait, na­turellement, favoriser le projet allemand de ravir à la France son siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Na­tions unies. En même temps, la chance­lière du nouveau Reich a voulu ouvrir la porte à des millions d’immigrés écono­miques, requalifiés de « réfugiés » mais dont on comprend surtout qu’ils seraient pour l’industrie germanique une main d’oeuvre pas chère et corvéable à merci. En somme, une forme de nouveau STO. Selon Jean-Pierre Chevènement, le « for­cing » allemand s’inscrit dans une longue suite d’initiatives unilatérales « prises, sans concertation préalable avec la France, comme la sortie du nucléaire en 2011, la règle d’or en matière budgé­taire en 2009-2012, la menace de jeter la Grèce en dehors de la zone euro, l’ouver­ture de l’Union européenne à l’afflux des réfugiés en 2015, etc. L’Allemagne avait déjà imposé, en 2008, la reprise dans le texte du traité de Lisbonne, de la ‘‘subs­tance’’ du projet de traité constitution­nel européen rejeté à 55% par le peuple français ».

C’est, sans doute, en prélude à cette li­quidation de la France que les modalités de la célébration du centenaire de la vic­toire de 1918 ont été négociées (sic) avec l’Allemagne. Ainsi, quand nos alliés bri­tanniques ont dignement célébré la vic­toire militaire, la France s’est-elle abais­sée à marchander cette célébration avec l’ancien ennemi. On ne saurait mieux tra­hir la mémoire des combattants. Il est vrai que l’Élysée a déclaré que « le sens de la commémoration du 11 novembre, ce n’est pas de célébrer la victoire de 1918 ». Alors qu’a-t-on célébré ? Sans vergogne, le site de l’armée de l’air a répondu à cette question qu’il s’agissait d’honorer « cent ans d’amitié franco-allemande » ! Les poilus de 14-18, les déportés de 39-45, les familles des victimes d’Oradour sur Glane apprécieront. On sait que l’ab­sence d’esprit national a gagné les hautes sphères de l’État, mais il y a, tout de même, des limites.

En tout cas, l’eurocratie, qui nous invite à oublier notre Histoire et à perdre toute mémoire, est à la seule mesure de l’Al­lemagne, laquelle est l’artisan essentiel du projet euro-fédéral contre les nations. L’affirmation de la puissance allemande passe par le rabaissement de l’État-na­tion français, véritable hantise des di­rigeants allemands qui n’ont de cesse d’imaginer les moyens de sa disparition. C’est pourquoi l’Allemagne encourage les autonomies régionales et ethniques chez ses partenaires et voisins directs ou indirects. Alors qu’elle a imposé son uni­fication, la Germanie rêve de faire éclater les autres nations grâce à la construction européenne. À la chancellerie de Berlin, comme dans les bureaux des présidents des grandes entreprises d’Outre-Rhin, on ne cache plus son jeu, lequel vise à un rééquilibrage géopolitique du Vieux Continent visant à remplir le vide laissé à l’Est par l’écroulement de l’Union sovié­tique et faire de Berlin le centre politique d’une « Europe nouvelle ».

C’est une bonne raison pour sortir de l’Union européenne puisqu’en finir avec l’Europe allemande c’est en finir avec l’Union européenne. À vrai dire, rien n’est plus urgent que le Frexit dans la mesure où il s’agit de récupérer tous les instruments de souveraineté – politiques, économiques, juridiques, militaires, linguistiques…- de notre État-nation pour lutter contre les innombrables dangers qui menacent la France. À commencer par un ultralibéralisme contesté par le pays réel dont le mouvement des « Gi­lets jaunes » exprime l’indignation face à un État, de plus en plus effacé, qui ne tient plus son rôle de défenseur du bien commun, d’arbitre de la vie économique et de régulateur contre la cherté de la vie.

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