La Guerre des routes : La malveillance, ce bouchon poussé trop loin…

C’est la Bérézina ! Vendredi 10 avril, à sept heures du matin,un nouveau drame s’est encore abattu sur le Maroc pour endeuiller des familles éplorées, en état de choc, et rappeler une réalité amère, celle que nous sommes tous en danger de mort sur nos routes. En effet, les accidents de la circulation emportent plus de vies que les guerres déclarées entre pays. Les infrastructures et la bêtise humaine sont devenues une arme fatale qui sévit tous les jours, brandissant en étendard un incivisme effroyable aggravé par plusieurs défaillances.

Cette journée du vendredi est donc à rajouter à la série noire de celles à graver au fer rouge dans l’Histoire de notre pays puisqu’elle a vu périr des vies innocentes de la pire manière qui soit.

Trente-cinq vies se sont envolées dans les flammes, des espoirs sont réduits en cendres, des êtres sont dévorés par un tsunami incendiaire suite à la collision frontale entre un autocar, qui faisait la liaison entre Rabat et Laâyoune, et un camion semi-remorque, dit- on. Et ce qui fait le plus cruellement mal en- core est que la majorité des victimes sont des enfants âgés de 8 à 14 ans, la fine fleur, les bourgeons d’athlètes en herbe de Laâyoune. Le bus appartenant à l’une des principales compagnies du pays (CTM) transportait des voyageurs dont quatorze enfants et leurs ac- compagnateurs, de retour d’une compétition –des jeux nationaux des écoles de sport– qui s’était tenue à Bouznika, en cette période de vacances scolaires. Également, parmi les victimes, le coureur champion d’athlétisme Hassan Issengar, 43 ans. Il s’agit du plus grand athlète que la région ait donné et qui a remporté plusieurs compétitions à l’étranger, dont les 10 kilomètres de La Rochelle. Que de mal et de peine à contenir une telle douleur et un tel ouragan d’émotions qui nous submergent! On se dit tout en priant le Bon Dieu de nous en préserver :    « Et si c’était nos enfants, comment on réagirait?»

Mais oui, ils le sont bien évidemment! Car chaque Marocain digne de ce nom devrait remuer ciel et terre pour que justice soit faite et que leurs âmes reposent en paix parce qu’on ne se serait pas tus si c’était effectivement les nôtres! Si la négligence,  l’égoïsme  et l’inconscience de certains finissent par donner lieu à des crimes d’une telle atrocité, la conscience, le patriotisme et surtout l’humanisme d’autres doivent forcer le destin pour que justice soit rendue.

Les images et les vidéos publiées sur Internet témoignent de la violence et de la cruauté du choc et montrent un autocar en flammes, totalement embrasé, sans épargner, bien évidemment, des corps jeunes et adultes, brûlés vifs, au point de rendre le travail d’identification impossible. Les circonstances de la mort sont tragiques et le terrible accident est l’un des pires du genre dans l’histoire du pays.

Ce vendredi noir, tôt dans la matinée, le drame d’enfants pris au piège dans un feu d’enfer, avant de finir calcinés sur la route reliant Tan-Tan à Laâyoune, au niveau de la commune de Chbika, alors que tous les passagers étaient tombés dans un sommeil profond, a indigné grands et petits par l’horreur du spectacle apocalyptique. N’est-ce pas là l’illustration tragique du sempiternel et invaincu fléau de l’insécurité routière dans le pays? Juste après la catastrophe, les services de la Gendarmerie Royale ont ouvert une enquête pour déterminer les circonstances de cet accident tragique. Des médias avaient annoncé qu’il s’agirait d’un camion-citerne qui transportait, vraisemblablement, du gaz comme il a été cité par Euronews. Toutefois, le ministre de l’Intérieur a catégoriquement démenti dimanche 12 avril «que le véhicule entré en collision vendredi matin avec l’autocar soit un camion-citerne utilisé dans le trafic de carburant et qu’il serait doté d’une citerne supplémentaire transportant une grande quantité d’essence.» Il a affirmé aussi qu’il s’agirait plutôt «d’un camion de transport international de marchandises appartenant à une société basée à Casablanca, contrairement aux informations relayées par certains sites électroniques.»

Si tel est le cas, pourquoi tant de flou? Pourquoi la transparence fait-elle défaut sous nos cieux? Pourquoi n’a-t-on pas communiqué juste après le nom de la société? Dans quel secteur opère-t-elle? Pourquoi ne pas instaurer des mesures coercitives à l’égard de médias qui divulguent et répandent des «rumeurs» qui intoxiquent les esprits? Quand certaines sources parlent de camion frigorifique au moment où d’autres mentionnent un camion-ci- terne ou encore un semi-remorque  contenant des produits inflammables qui auraient provoqué l’explosion, comme l’a affirmé le deuxième chauffeur de l’autocar, c’est que la vérité se trouve ailleurs…Surtout que, selon des témoins oculaires, le camion s’est embrasé en une fraction de seconde avant de propager le feu à l’autocar. Vidéos et photos de la carcasse du bus et des cadavres (du moins ce qu’il en reste) alignés, jonchant le sol, ont fait les choux gras des réseaux sociaux à travers lesquels plusieurs Marocains ont demandé un deuil national. N’est-ce pas un symbole de valorisation du citoyen pour rendre hommage aux victimes si l’humain a une vraie valeur dans notre pays, disent-ils? Mais là encore, combien de jours de deuil faudrait-il déclarer pour que la guerre des routes cesse ?

Rappelons que l’accident le plus grave au Maroc s’est produit il y a seulement trois ans, le 4 septembre 2012, lorsqu’un autocar qui empruntait le plus haut col du pays avait fini dans l’abîme du ravin de Tizi N’Tichka sur la route entre Marrakech et Ouarzazate, faisant 42 morts. Et pourtant, l’enseignement n’a pas pour autant porté ses fruits… On continue – le nouveau Code de la route aidant – à ergoter d’un colloque à l’autre, d’une décision à l’autre, et à se réjouir des chiffres qui baisse- raient miraculeusement…

Les accidents et la gravité de leurs conséquences s’expliquent, bien souvent, par une combinaison de facteurs à la fois simples, voire dérisoires et graves, ils tiennent notamment au non-respect du Code de la route, au manque de civisme, à la mauvaise qualité des infrastructures avec une défaillance effarante de signalisation, à l’état d’ébriété de certains conducteurs, à la fatigue après de longues heures de conduite, au timing fixé pour livrer la marchandise, au laxisme des autorités, à la grave négligence des propriétaires des véhicules non entretenus régulièrement, à la corruption qui est devenue l’hydre de Lerne et enfin à la non-considération de la vie humaine tout simplement…

Ce drame de la route, qui n’est pas le premier en son genre et ne sera certainement pas le dernier, est l’occasion de rappeler que nos routes sont comptées parmi les plus meurtrières avec une moyenne de 4 000 «tués» par an, soit une moyenne de 11 décès par jour. Ce triste et déplorable record place le Maroc au premier rang au niveau arabe et sixième à l’échelle mondiale pour ce qui est des accidents de la route dans un pays où le parc automobile a presque doublé ces quinze dernières années.

En outre, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’insécurité routière au Ma- roc représente «un coût socioéconomique» d’un milliard d’euros par an, soit près de 2% du PIB national ! Pourtant, le gouvernement a fait valoir, à plusieurs reprises, que la majorité des accidents sont dus au facteur humain. D’ailleurs, le ministre délégué chargé du Transport, Mohamed Najib Boulif, a assuré, concernant l’accident de Tan-Tan, que l’enquête allait élucider ses circonstances, estimant que la route sur laquelle est survenu l’accident est en bon état et ne peut être considérée comme l’une des causes du drame. Le ministre de l’Équipement, du transport et de la logistique, Aziz Rabbah, quant à lui, crie haut et fort que la majorité des accidents de la circulation sont rarement provoqués par l’état de la voirie, que « toutes les conditions étaient réunies pour que cet accident n’ait pas lieu.», que «le budget du plan 2013-2016 pour la sécurité routière a triplé, que le budget destiné aux contrôles routiers «a augmenté de 60%» et que des démarches ont porté leurs fruits puisque « le nombre de morts a baissé de 4200 en 2013 à 3320 en 2014».

Certes, les accidents engagent la responsabilité de l’homme qui aurait manqué, de quelque manière que ce soit, à son devoir, mais quand les routes elles-mêmes se présentent en tombeaux ouverts à cause de leur état piteux, quand on autorise des véhicules dont l’état défectueux les rapproche plus de cercueils, quand la rigueur cède à la corruption, quand la vitesse n’est pas limitée pour les engins lourds, quand des véhicules destinés au transport en commun présentent un système de freinage gravement défectueux, quand ceux-ci roulent avec des roues dont on a oublié la date de changement, quand des chauffeurs, dans un état de somnolence devenue leur exercice préféré, conduisent pendant douze heures d’affilée sans qu’ils ne soient relayés pour éviter aux propriétaires d’autres dépenses, quand…, quand…, quand… la responsabilité prend une autre dimension, celle de tous ceux qui, de près ou de loin, ont un rapport quelconque avec les infrastructures ou manquent à leur devoir.

N’est-il pas encore temps de prendre des mesures strictes? En Égypte, le 17 novembre 2012, une collision entre un autocar scolaire et un train a fait 49 morts, dont 47 enfants. Ce drame a entraîné la démission du ministre des Transports ainsi que celle du chef de l’Autorité des chemins de fer. Paradoxalement, au Maroc, la responsabilité incombe toujours aux citoyens, quelles que soient les circonstances.

Il est vrai que le Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane a affirmé que « Si les investigations confirment l’implication d’un ministre, il sera démis de ses fonctions et, au cas où la situation exigerait que le Chef de gouvernement et le gouvernement en sa totalité présentent leur démission, il y serait procé- dé ainsi ». Mais serait-ce une solution chaque fois qu’il y a une catastrophe ? Et surtout, de combien de démissions aurait-on besoin pour qu’il n’y ait plus de drame ?

Ce qui est arrivé à Tan-Tan constitue plus qu’un accident, c’est un drame cruel contre la nation, un crime dont le signataire reste non déclaré. L’enquête qui aurait dû délimiter les responsabilités de chacun dans cet accident a été classée, dix-huit jours après le drame, en imputant la responsabilité aux deux chauffeurs décédés. Cessons d’incriminer la fatalité en considérant que le dossier est clos à chaque fois! Quand le ministre des Transports Aziz Rebbah se défend dans de tels propos : «Dans ce genre de catastrophes,  les plus grands grandissent et les petits cherchent la petite bête. Il est inapproprié que cette catastrophe soit sujette à une récupération politique. » parce que Hamid Chabat a exigé la démission dudit ministre en estimant qu’il est le premier responsable de l’accident de Tan Tan et avant, des victimes des inondations du sud, c’est que l’on instrumentalise la vie des citoyens tout comme leur mort.

Peut-être  que l’inconscience,  adossée  à l’ignorance et à l’égocentrisme mafieux, est devenue le trait saillant d’une société aveuglée par l’intérêt? Or, elle n’est pas l’apanage d’individus ou de simples groupes, mais la conséquence d’une politique dont la première responsabilité  incombe aussi à l’État. Les dernières inondations, engloutissant dans un océan d’eau le Sud, nous ont donné la mesure de la faillibilité des choix, de la corruption qui gangrène même ces choix! Comment expliquer que des ponts nouvellement construits à grands frais aient si peu ou pas du tout résisté à des pluies et craqué aussi vite comme s’ils étaient construits en argile? Comment, en d’autres cieux, des ponts et infrastructures, élevés depuis des décennies en plein océan, résistent aux tempêtes, aux ouragans et font face aux pires catastrophes naturelles, maritimes ou autres? Comment et comment?

L’heure est à la mobilisation générale de toutes les parties prenantes au lieu de se limiter à faire des constats et à se jeter la responsabilité. Chacun doit assumer la charge et faire face à ses engagements : départements ministériels, agents de la circulation, service des mines, collectivités locales, autorités locales, compagnies d’assurance, Parlement et citoyens, afin de faire face à un système de transport délabré et une circulation anarchique.

Lundi 20 avril, vingt-neuf personnes ont été blessées dans une collision entre une estafette et un autocar transportant les joueurs de l’équipe de football de Khénifra à 4h30 du matin, de retour d’une rencontre disputée la veille à Al Hoceima… Mardi 28 avril, huit personnes ont été tuées et vint-et-une blessées dont neuf grièvement des suites de l’accident qui s’est produit à 45 km de Ouarzazate à cause du renversement d’un autocar de transport reliant Ouarzazate et Meknès, dans un virage…

C’est la Bérézina  sur nos routes marocaines…

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