La nouvelle Révolution de Mohammed VI

 Du modèle de développement au chantier de moralisation publique radicale, le Roi bouscule et trace le sillon laborieux de l’avenir

 Fini de jouer, oserait-on écrire ! S’il fallait encore une preuve supplémentaire de l’exaspération du Roi Moham­med VI face à l’attentisme et à une propension à l’inertie – devenue une quasi culture-, le discours prononcé lundi 29 juillet à Tanger dans le cadre du XXè anniversaire de son accession au Trône, nous en aura fourni la rédhibitoire preuve. Allocution exceptionnelle par sa dimension spectrale et sa profon­deur à la fois. Le Roi, débarrassé comme à son habitude de toute «langue de bois», ne sacrifiant à aucune complaisance, entre com­pendium pédagogique et une iras­cible volonté de tout expliquer, a simplement partagé ses réflexions avec le peuple, ses convictions in­times, ses préoccupations dans un style où se croisent le sentiment du devoir accompli et l’impératif d’aller encore de l’avant.

 Vingt années ont passé depuis qu’il a pris, le 23 juillet 1999, les rênes du pou­voir. Deux décennies au cours desquelles, maître des horloges, chaque minute et chaque jour, il a remodelé et peaufiné le visage du Maroc, s’est confronté aux mul­tiples épreuves avec cette irascible volon­té de les surmonter et l’objectif affiché de répondre aux aspirations et aux attentes d’un peuple qui a fondé tous ses espoirs en lui. Ici n’est guère le lieu de jauger ce qu’il est convenu d’appeler un bilan, fût-il provisoire, de vingt ans de règne marqués au sceau des épreuves, certes, mais aussi de succès et de réalisations que la communau­té internationale met en exergue sans nulle complaisance.

Il n’y a que les habituels facétieux – la morgue et l’éternelle bave dans la bouche – qui s’érigent en contempteurs de cette double décennie ascendante à tous points de vue : politique, institutionnelle, écono­mique, sociale, infrastructurelle, humaine et culturelle. Plus qu’un impératif d’honnê­teté, il convient de souligner la portée des réalisations au sens étroit et large du terme qui dépassent tous les pronostics, quand bien même – et le Roi est le tout premier à en convenir – des «zones grises» subsiste­raient pour relativiser et tempérer les pro­clamations vertueuses que l’on serait tenté d’exprimer.

En vérité le Roi n’a nul besoin d’en­tendre les avis des pourfendeurs en chaise longue, qui trempent leur âme dans la si­dérante sinistrose, campés dans leur triste passion de tout critiquer. Ils sont légion, pavanés dans leur confort, plus ils sont riches et aisés, moins ils sont assouvis, se dorant la pilule sur les plages qui à Marbel­la qui aux îles dorées des Tropiques, ils dilapident le fisc, se morfondant dans leur mauvaise conscience, faux citoyens en fin de compte, tarentule de résilients à tout changement. De l’intérêt national ils n’en ont cure. Stipendiés de surcroît, ils ne valent pas un sou…Comme le Roi l’a fer­mement souligné, «ils ne se soucient guère des Marocains et cherchent avant tout à préserver leurs propres intérêts».

Le Roi est à l’écoute de son peuple, il prend en charge ses doléances et s’efforce d’y répondre dans la mesure du possible, souvent de l’impossible avec cette volonté chevillée au corps de cibler les priorités et de privilégier une approche où prédomine le souci du bien être, de l’Homme et de son environnement immédiat. Le discours du Trône a pris ce 30 juillet 2019 une tour­nure particulière, à la fois par la pédagogie du constat et la force de proposition. Un constat où prédomine un devoir de vérité, ensuite l’inventaire critique décliné où il exprime sa volonté d’aiguiser les esprits et secouer les consciences sur le futur avenir. Et pour commencer, il met les points sur les «i» dans cette affaire de commission sur le nouveau modèle de développement en décidant de la nommer personnellement à la rentrée prochaine, dissipant ainsi toutes les supputations et, surtout, reprenant en main, de guerre lasse, la proposition lancée il y a près de deux ans sur le même sujet.

La méthode est dialectique : autant les projets réalisés au cours des derniers vingt ans apportent leur propre satisfac­tion, autant ils exigent leur consolidation et leur ancrage dans les nouvelles pers­pectives. Quatre grands axes sont ainsi mis en exergue par le Roi qui, scalpel à la main, dessine les contours de la «nou­velle étape qu’il prépare à franchir et qui abonde en enjeux et en défis, internes et externes». Pour commencer, il en appelle à un exercice plus que nécessaire, celui de la confiance qu’il faut à tout prix préserver et qui est à la continuité des projets ce que le ressort essentiel est au lien social. Le Souverain explicite que cette confiance est impérieuse entre les citoyens, dans les ins­titutions nationales qui les fédèrent et dans l’avenir commun.

Mohammed VI, sur sa lancée, met en exergue ensuite l’ouverture qui est ici une sorte de défi majeur, un chapitre que les temps nouveaux et la compétition inter­nationale exigent. Presque simultanément, il invoque «l’ouverture» et met en garde contre le «repli sur soi» qui signifie la mort d’une société et d’un pays. Toute l’histoire du Maroc, de par ses caractéristiques – physiques et géographiques – et ses composantes, carrefour civilisationnel s’il en est , témoigne de son ouverture, vers l’Europe notamment, l’Atlantique sur son flanc maritime, l’Afrique subsaharienne et le monde arabe. A cette aune, le Roi estime que « l’ouverture est d’autant plus fon­damentale pour le développement écono­mique qu’elle offre aux entreprises et aux opérateurs marocains nombre d’opportu­nités de rehausser leur compétitivité ».

Dans son plaidoyer pro domo, et sans doute pas pour la première fois ni pour le plaisir, le Roi souligne que «certaines fi­lières et professions libérales ont besoin aujourd’hui de s’ouvrir aux expertises et compétences mondiales, au secteur privé, national et étranger». Et de rappeler que «de nombreuses institutions et sociétés internationales ont exprimé leur souhait d’investir et de s’installer au Maroc». Et de regretter dans la foulée, plutôt de dénoncer «les freins imposés par certaines législa­tions nationales, la frilosité et l’indécision prépondérantes chez certains responsables cantonnent parfois le Maroc et le placent dans une posture négative d’enfermement et de réserve». A coup sûr, le Roi met le doigt sur la plaie, et dénoncer ainsi dans le même ton de dépit «la frilosité et l’indéci­sion» nous en dit long sur sa colère rentrée.

Comment donc y pallier, de quelle manière et avec quels moyens briser ce cercle vicieux, couper les têtes à cette sorte d’Hydre de Lerne pour franchir l’étape nécessaire de changement psychologique, surmonter et combattre les résiliences de toutes sortes et, disons-le, les « ennemis de l’intérieur » ? D’autant plus , et c’est l’autre axe de la démonstration royale, qu’il est nécessaire de «rebâtir une écono­mie forte et compétitive, en encourageant l’initiative privée, en lançant de nouveaux programmes d’investissement productif et en créant de nouvelles opportunités d’em­ploi». Mais le Souverain conditionne une telle évolution à une révolution des men­talités de ces mêmes «responsables» qui freinent le changement.

L’interpellation est aussi claire qu’impé­rative : «il faut que le secteur public opère sans tarder un triple sursaut en termes de simplification, d’efficacité et de moralisa­tion». Dans un tel sillage, où bourdonnent constats et interrogations, tandis qu’au pas­sage il réitère «qu’il faut une justice sociale et spatiale pour parachever l’édification d’un Maroc porteur d’espoir et d’égalité pour tous», il lance le cri d’alarme bien à propos : «Il faut donc en finir avec les agis­sements et les aspects négatifs, en faisant triompher les valeurs de travail, d’engage­ment responsable, de mérite, d’égalité des chances». Ce «cahier de charges» royal est le socle fondateur de tout changement et la clé de voûte de la nouvelle étape dont le Roi est plus que jamais porteur. L’appel à la mobilisation nationale lui sert de dynamique de fond, parce que tous les citoyens sont ainsi associés, conviés à apporter leur « pierre à l’édifice ».

Plus qu’une exhortation, c’est une ins­truction royale en bonne et due forme, comme son titre de Roi et de chef d’Etat le lui ordonne. Prenant le taureau par les cornes, brisant de nouveau les archaïsmes et les féodalités, en première ligne de ce nouveau combat national, il coupe court aux tentations velléitaires et résolument «donne un coup de pied dans la fourmi­lière». A chaque époque ses hommes, comme il l’a dit, à chaque nouvelle étape aussi de nouveaux profils et des respon­sables répondant aux critères requis et en mesure d’assumer les défis nouveaux. Qu’il ait exigé du chef de gouvernement de lui soumettre d’ici la rentrée des «pro­positions visant à renouveler et enrichir les postes de responsabilité, tant au sein du gouvernement que dans l’Administra­tion, en les pourvoyant de profils de haut niveau, choisis selon les critères de com­pétence et de mérite», exprime ni plus ni moins son irréductible décision de tordre le cou à l’immobilisme dévastateur et sur­tout à l’incompétence. La nouvelle étape que le Maroc inscrit désormais sur son fronton, et fige dans son agenda , en dé­pend à coup sûr.

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