La responsabilité pénale des mandataires sociaux au Maroc (1ère partie)

Par Hassan Ouatik*

L’exercice de la fonction de dirigeant d’entreprise que nous appelons aussi dans la suite du présent article par mandataire social, indépendamment de la forme juridique de la société, est de nature source de responsabilités pour le moins lourdes. Le risque inhérent est très élevé.

Le mandataire social est un personnage central en droit des sociétés, c’est l’organe de gestion de la personne morale de droit privé.

Son appellation varie en fonction de la forme juridique de la société, il peut être gérant, directeur général, administrateur délégué, président du conseil d’administrateur ou simplement administrateur.

C’est un personnage associé souvent à une grande prise de risque.

La responsabilité du mandataire social peut être selon le cas : civile ou pénale ou les deux à la fois.

La responsabilité pénale du chef d’entreprise peut être engagée soit par la commission d’une infraction pénale ou par l’omission c’est-à-dire l’abstention de faire une obligation légale ; c’est une déduction de la typologie des obligations : obligations de faire et obligations de ne pas faire.

Nous traitons dans le présent article uniquement de la responsabilité pénale des mandataires sociaux. La responsabilité civile du chef d’entreprise fera l’objet d’un autre article.

Nous allons commencer le présent article par des définitions de bases, puis nous présentons quelques actes des mandataires sociaux pouvant recevoir une qualification pénale sans prétendre à l’exhaustivité. Le tout avec des comparaisons dans la limite des possibles entre la règlementation marocaine et celle française.

Définitions.

– Le chef d’entreprise : le représentant légal de la personne morale quelle que soit la forme juridique, il peut être attribué aux personnes physiques commerçants dans certains cas.

– La cessation de paiement : c’est l’état de l’incapacité d’honorer le passif exigible par l’actif disponible.

– La responsabilité est l’obligation ou la nécessité morale de répondre, de se porter garant de ses actions ou de celles des autres. Dictionnaire Larousse.

– Les obligations dérivent des conventions et autres déclarations de volonté, des quasi-contrats, des délits et des quasi-délits. Code des obligations et contrats Marocain – Article 1.

– Les obligations naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi. Elles peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui. Code civil Français – Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 – art. 2.

– La responsabilité civile : c’est l’obligation de réparer le préjudice subis par autrui, elle peut être externalisée par le biais de recours à une assurance appelée généralement assurance responsabilité civile ou RC. Parfois L’assurance responsabilité civile est obligatoire.

La responsabilité civile exige la réunion cumulative de 3 éléments : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice subis.

– La responsabilité pénale : c’est l’obligation de répondre de ses infractions (délits, crimes) en tant qu’auteur, co-auteurs ou complices.

En effet, nous pouvons déduire que la responsabilité découle des règles de droit, elle peut être liée à :

– Des actes juridiques : ils naissent de la volonté de leurs auteurs, il s’agit des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. Code civil Français article 1100-1.

– Des faits juridiques : sont des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit Code civil Français article 1100-2.

Hassan Ouatik

Quelques actes des mandataires sociaux pouvant recevoir une qualification pénale

Le droit pénal des affaires, même s’il n’existe pas proprement une branche de droit spécialement dédié ; vise la lutte contre toutes les formes de délinquances d’ordre économiques ou financières. Il a pour but la préservation de l’ordre public dans le monde des affaires.

Il existe une multitude d’infractions qui peuvent être commises tant par les personnes morales ou physiques.

Les infractions commises sont prévues par plusieurs sources de droit :

– Droit du travail et de sécurité sociale,

– Code des assurances,

– Code de l’urbanisme,

– Code du commerce,

– Code général des impôts,

– Code de l’environnement,

– Code de la route,

– Code de la protection du consommateur,

– Protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel,

– Droit d’auteurs,

– Droit des sociétés,

– Réglementation des changes ?

Infractions prévues par le droit des sociétés

Dans la présente section nous nous contentons de traiter quelques infractions pénales issues du Code de commerce et de la réglementation régissant la société anonyme.

Dans la présente section, nous traitons quelques infractions ayant trait avec la comptabilité

a. La distribution de dividendes fictifs

Le dividende est la partie du bénéfice distribué aux actionnaires sur proposition des organes de gestion et approuvée par l’assemblée générale.

La notion de fictif ne se limite pas au bénéfice de l’exercice écoulé, mais elle s’analyse aux vues des bénéfices cumulés non distribués à l’exclusion de toutes les réserves rendues obligatoires par la loi ou par les statuts.

En effet, pour caractériser un dividende de fictif, il faut :

– Une mise en distribution effective y compris l’inscription en compte courant d’associés. La distribution ne peut être présumée,

– Une absence d’inventaire ou un inventaire frauduleux,

– Agir de mauvaise foi.

Le dernier point constitue l’élément moral de la distribution du dividende fictif, qui nous semble très difficile pour un mandataire social de s’exonérer de cette infraction eu égard la gestion collégiale.

La distribution de bénéfices est incriminée par le législateur pour protéger les tiers du remboursement déguisé du capital.

b. La publication d’état de synthèse ne donnant pas l’image fidèle

L’image fidèle est la traduction des transactions réalisées par l’entreprise conformément au référentiel comptable. L’application des règles du plan comptable permet-il à elle seule la présomption de l’image fidèle ? Dans l’absolu la réponse est oui ; néanmoins la notion de l’image fidèle, n’est pas définie par la loi. Elle la présente comme le but principal de la comptabilité.

Le Code général de normalisation comptable stipule que la norme comptable sert à fournir une image aussi fidèle que possible de ce que représente l’entreprise à tous les utilisateurs des comptes, privés ou publics.

La loi 9/88 relative aux obligations comptables dispose que « les états de synthèse doivent donner une image fidèle des actifs et passifs et de la situation financière et des résultats de l’entreprise ».

Le plan comptable Français associe aussi, l’image fidèle comme un but de la comptabilité sans donner une définition

« La comptabilité est un système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture ».

c. L’abus de biens sociaux

L’abus des biens sociaux est l’usage de mauvaise foi des biens ou crédits de la société et ce pour un but personnel du mandataire social, ou pour favoriser une autre société dans laquelle il détient un intérêt personnel directement ou indirectement. Il s’agit d’une infraction d’atteinte à l’intérêt social.

En effet, cette infraction dépasse largement l’intérêt social des associées, mais autres partenaires de la société se retrouve lésés de cet agissement illégal tel que les salariés, les créanciers…

Mais qui a la qualité et l’intérêt pour agir en répression cet acte : les actionnaires, le commissaire aux comptes ?

Les actionnaires qui soupçonnent des manœuvres frauduleuses des dirigeants peuvent agir sur le fondement de l’expertise de gestion ; article 157 de la loi sur la SA ; afin d’obtenir les preuves et assigner en suite le mandataire social fautif.

Nous rappelons que le législateur Marocain fait peser sur le commissaire aux comptes une obligation de révélation de faits délictueux dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa mission aux organes d’administration, de direction ou de gestion sous peine de sanctions pénales allant jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 100 000 dirhams d’amende.

Néanmoins, nous pensons que cette révélation devrait être adressée à l’assemblée générale en sa qualité d’organe de contrôle.

Le législateur Français oblige le commissaire aux comptes de porter cette révélation au Procureur à charge de lui de qualifier l’acte.

Les infractions citées dans cette section sont passibles en droit Marocain de peines d’emprisonnement allant jusqu’à 6 mois et une amende pouvant atteindre un million de dirhams.

Nous pensons que le commissaire aux comptes pourrait recevoir la même sanction en tant que complice pour l’infraction de publication d’états de synthèse ne donnant pas l’image fidèle.

Infractions prévues par le Code du commerce

Infractions liées aux manipulations des chèques

1- L’émission de chèque sans l’indication ni du lieu ou date d’émission : article 307 du Code de commerce.

C’est une infraction passible d’une amende pénale de 6%.

2- L’émission de chèque sans provision.

C’est un délit sanctionné par une amende de 25% du montant du chèque ou de l’insuffisance du chèque, et d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans.

Infractions liées au nantissement

L’atteinte aux biens nantis : article 377 du Code de commerce.

La destruction, détournement ou l’exercice de manœuvres visant à réduire la valeur de biens nantis sont puni d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams. Cette sanction emporte pour le détenteur que pour l’acquéreur du bien nanti.

Infractions liées aux procédures collectives

Les infractions liées aux difficultés d’entreprise sont régies par articles 547 et suivants du Code de commerce

  1. Prévention interne.

Le chef d’entreprise est tenu d’informer le président du tribunal de commerce de tout fait de nature à compromettre la continuité d’exploitation.

Cette obligation incombe aussi au commissaire aux comptes, éventuellement, et aux associés.

L’obligation d’information du président du Tribunal est transférée aux associés ; à notre avis ; à la phase après la réunion de l’assemblée générale délibérant sur la continuité d’exploitation.

Cette procédure d’alerte, est ouverte par le législateur Français aux comités d’entreprises ou aux délégués du personnel en cas d’absence du comité d’entreprise.

  1. La cessation de paiement.

La cessation de paiement est un concept très fondamental dans la vie sociale de l’entreprise. C’est un fait générateur de la demande d’ouverture du redressement judiciaire à l’encontre de l’entreprise par le biais du chef d’entreprise. La demande doit être faite au tribunal dans les 30 jours suivants la constatation de cessation de paiement.

Cette notion fait appel à des aspects comptables, financiers : a priori le lecteur pourrait poser légitimement la question sur la relation entre la comptabilité et la cessation de paiement.

En effet, nous cessons de dire que la comptabilité est un outil d’aide à la décision et c’est vrai. Une comptabilité tenue conformément à la réglementation en vigueur permet à la fois :

– D’éviter l’état de cessation de paiement, ou au moins connaitre la date de cessation de paiement et agir en conséquence avec tous les effets juridiques notamment pour la période suspecte.

– De s’assurer de la rentabilité de l’entreprise, et le prouver aux tiers.

Rien qu’avec ces deux objectifs que le chef d’entreprise peut assigner à sa comptabilité, il peut s’exonérer, ou éviter deux délits qui guettent tous chefs d’entreprise à savoir : la poursuite d’une exploitation déficitaire, et la tenue d’une comptabilité manifestement incomplète.

La sanction de ces deux infractions en cas de procédures collective est très sévère qui vas du comblement du passif, déchéance commerciale, autres que les sanctions de la banqueroute.

La banqueroute peut être appelée aussi gestion frauduleuse ou organisation de l’insolvabilité

Nous précisons au passage que les sanctions de la banqueroute qui sont par nature d’ordre pénales s’étendent logiquement aux complices.

*Hassan OUATIK

Directeur Administratif et Financier

Diplômé de l’académie de Bordeaux

Diplômé de l’Université de Nice, de l’IAE de Grenoble et du SKEMA

Intervenant dans les marchés publics y compris les procédures de passation de la banque mondiale

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