La violence, vestige de l’évolution ou mal des temps modernes ?

Dossier du mois

Philippe Michel, Directeur de création

Tous frustrés ! Tous violents ?

Le bébé est un dictateur. Sa maman doit réagir pour satisfaire ses moindres besoins, sinon : cris, pleurs, agitation… violence ! Le père est le premier intrus dans cette relation d’abord quasi-exclusive. Il fait entrer la société dans la vie du bébé ; il s’impose et frustre son descendant de la captation totale de l’attention maternelle. Le reste va suivre ; l’autre… les autres… plus de frustrations maîtrisées par plus de sur-moi. Souffrance et violence, à soi-même ou aux autres ; apprendre à se frustrer civilement, ou agir violemment. En toutes circonstances, si tout va bien, l’oeil des plus âgés surveille l’instauration de l’auto-contrôle et le groupe régule, installe ses totems, ses tabous…

Le violent du groupe ne veut ou ne peut frustrer ses désirs. Narcissique, il ne prend en compte que lui-même, sa satisfaction : la violence est son outil … le portrait parfait du tueur en série ! A sa violence répond celle du groupe, de la société, qui se défend. Max Weber valorise «la violence légitime» de l’Etat, un droit exercé au nom de l’intérêt général, une violence organisée aux règles établies.
Mais l’Histoire est truffée d’autres violences d’Etat plus discrètes… secrètes, un jour révélées par un témoin pris de remords, ou bien par l’ouverture d’archives oubliées. C’est la violence des coups tordus que les Etats délivrent dans l’ombre. Entre la vérité et la vertu – vieux débat antique – ils ont, un jour, choisi d’exalter la seconde en taisant la première… une violence difficile à maîtriser, en général, administrée pour en éviter une autre, jugée plus grave encore. Là, violence des violences, la torture n’est plus très loin…

Le mythe du «bon sauvage» a eu son temps pour faire ses ravages … y compris colonialistes! Pour Jean-Jacques Rousseau, la société rendait l’Homme mauvais et violent. Ce courant-là pesa chez les révolutionnaires de 1789 : puisque la société était coupable, la solution était donc d’en changer. On sait, aujourd’hui, que la suite ne fut pas moins violente…

Loin des guerres, l’Histoire est jalonnée d’ignobles meurtriers qui tuèrent pour le plaisir ou par besoin. Les Français eurent le Marquis de Sade, les Anglais, Jack l’éventreur, etc. De Pline l’Ancien à nos jours, pas un siècle dont la chronique ne révèle d’atroces criminels.

Le média principal fut longtemps l’oralité, l’histoire racontée avant d’être contée car elle circulait en se déformant quelque peu. L’imprimerie généralisa le livre, puis le journal, hérité de Monsieur Renaudot. Là, on lisait les mots poussant l’imaginaire à créer ses images. A chacun les siennes : décrire la violence c’est bien moins fort que la montrer même si chacun peut, à loisir, «se la raconter» à sa façon, se fabriquer ses représentations.

Descendant du chasseur-cueilleur, l’homme actuel en garde de reptiliens réflexes et l’image qui bouge lui procure la plus forte émotion. Elle domine la rationalité. D’année en année, la raison raisonnante recule, marginalisée par les smartphones, formidables robinets à images et émotions en continu. La violence en images c’est toujours plus loin, toujours plus fort, comme les Jeux Olympiques…toujours plus et plus vite, comme le drogué qui accroît et rapproche ses doses pour maintenir l’effet.

Et la violence contemplée des uns ouvre la porte à celle des autres. Elle fragilise l’interdit ou bien le repousse. L’inimaginable devient envisageable.

Les médias marchent au sensationnalisme pour l’audience. L’agression fait l’angoisse du jour, les horreurs d’une guerre suggèrent une planète à feu et à sang. 2017 plus cruelle que 2016 ? Qu’importe que de décennie en décennie, la mort violente recule partout et même pays par pays. Le robinet à images est là pour faire réagir, pas pour faire penser. Pourtant, il suffirait, parfois, juste de cliquer un peu plus loin…

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