La violence, vestige de l’évolution ou mal des temps modernes ?

Dossier du mois

Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

«Les hommes sont plus féroces que les fauves, et, bien souvent, ils apprirent aux tigres à devenir plus cruels qu’ils ne l’étaient par leur nature» c’est l’explication que donnait Critile à son fils Adrenio dans Le Conte philosophique de Baltasar Gracian. Aussi serions-nous amenés à penser que la violence serait un besoin inné et instinctif chez l’Homme ? En tous cas, il est évident que depuis la vie humaine sur terre, -il y a 2,5 millions d’années- son histoire s’est toujours caractérisée par la violence envers ses semblables et envers tout ce qui l’entoure.

Terrorisme, génocides, massacres d’Hommes et d’animaux, meurtres, conflits en tous genres, maltraitances, violences urbaines, guerres dans les quatre coins du globe, attaques anti-sociales, menaces et fragilisations des populations les plus faibles notamment les pauvres, les migrants, les minorités, les femmes… Le monde dans lequel nous vivons semble de plus en plus violent et la paix cède la place à une guerre générale. C’est à croire que le phénomène de la violence monte en flèche créant ainsi l’inquiétude et l’angoisse pour soi et pour les siens. En ceci, une certaine presse s’affaire à relater des faits divers où des citoyens subissent des agressions de tous genres surtout dans les grandes villes. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que Casablanca tient le palmarès de la ville Monstre. Ainsi sortir dans la rue devient une épreuve d’effort et de nerfs tant et si bien qu’un pas derrière provoque la psychose.

Plusieurs aspects pour un même phénomène

Qu’elle soit physique, psychologique, économique, verbale ou sexuelle, la violence cherche à fragiliser voire détruire l’autre. Il est des cas où toutes ces formes s’associent. Souvent liée à des problèmes de communication, elle se manifeste par des comportements violents émanant de personnes en manque de moyens pour communiquer ou s’exprimer. C’est pourquoi on n’a pas toujours besoin de recourir à la force ni aux cris et aux menaces puisqu’on peut faire autant mal en rabaissant la victime, en ébranlant son estime de soi et par conséquent sa confiance et son assurance, en lui faisant subir les pires sévices psychologiques. Manipuler la personne objet de violence de façon à créer un climat de peur et d’insécurité chez elle devient le meilleur moyen de serrer l’emprise sur elle. Le contrôle peut passer aussi par le côté financier ou sexuel par abus de pouvoir ou de force ce qui porte atteinte aux droits fondamentaux, notamment à l’intégrité physique et psychologique ainsi qu’à la sécurité de la personne.

La volonté de faire disparaître l’autre, l’envie de l’écarter, de l’exclure, de le réduire au silence devient plus forte que le désir de dialoguer avec lui. Toutefois, la violence peut se cacher derrière une apparence civilisée, loin de la brutalité et s’annonce de façon indirecte « politiquement correcte » en bafouant les droits de la personne humaine. Il s’agit alors de violence sociale, économique, religieuse, sexuelle ou de discrimination raciale.

Sortir dans la rue devient une épreuve d’effort et de nerfs tant et si bien qu’un pas derrière provoque la psychose.

En somme, la violence consiste à faire preuve de force et de brutalité en pensée ou en action et elle accompagne l’être humain là où il se trouve que ce soit dans le couple, dans la rue, à l’école, dans les lieux de travail, dans la famille, les transports publics, etc. avec des tendances répressives, agressives, sexuelles … Toujours est-il que ce n’est pas uniquement une attitude ou un comportement orienté vers son prochain mais on peut être violent envers soi-même aussi.

La question s’impose donc d’elle-même : Qu’est-ce qui amène les gens à être violents, à passer à l’acte puisque la violence ne pourrait être spontanée ou exister sans raison bien qu’elle ne soit pas toujours apparente ?
D’ores et déjà, il faudrait comprendre les mécanismes de la violence et ses origines pour pouvoir aspirer construire une culture de paix et de non-violence si possible.

Les mécanismes générateurs de violence

Bien évidemment, les gens ne réagissent pas tous de la même manière. Certains s’enflamment au quart de tour au moment où d’autres encaissent et accumulent leur rage qui explose, souvent, pour des futilités. Cette violence poussée et avérée est toujours perçue comme exagérée et n’a pas lieu d’exister quand on ne comprend pas ce qu’elle cache ou ce qui l’anime. Entre le désir de dominer, la prédation, la jalousie, le ressentiment, le sadisme et les idéologies enrobées, les causes de violence ne manquent pas.
Actuellement, nous vivons dans un monde où le mot « patience » n’a plus de place. Pour les nouvelles générations c’est « tout et tout de suite ». Au cas où il serait impossible d’accéder à ses désirs, aussi fous soient-ils, la frustration s’installe avant de se manifester sous des formes brutales et agressives.
Les médias déshumanisent probablement puisque chaque jour, petits et grands, nous consommons à satiété des images de feu, de sang, de brutalité et de mort devenues le lot quotidiens de gens innocents au Moyen-Orient ou ailleurs, dans le monde où les conflits politiques, économiques ou religieux sévissent.

Au Maroc, la violence monte d’un cran

On ne peut nier le pouvoir des réseaux sociaux qui deviennent une arme à double tranchant dans le monde et plus particulièrement au Maroc. S’ils contribuent à identifier les agresseurs, ils terrorisent la population de Casablanca qui se demande toujours pourquoi ce déferlement de violence et ce qui a fait qu’on en arrive là. Les grandes villes basculent de plus en plus dans la violence. Faut-il souligner que certains quartiers de la métropole sont devenus des terreaux de délinquance qui germe sous l’emprise de camarillas échappant à tout contrôle ?

Il n’y a qu’à voir ce qu’un match de football laisse voir comme vandalisme et expression de ras-le-bol d’une catégorie de jeunes « casseurs » se sentant exclus d’une société qui les dénigre mais sur laquelle ils déversent leur colère à l’occasion, dans un premier temps, à travers des banderoles, des tifos et des slogans qui véhiculent des messages loin de toute crédulité où pauvreté, chômage, fureur de vivre, disparités sociales et malaise s’expriment par le hooliganisme. Et dans un deuxième temps, ces violences qui commencent dans les stades étendent leurs tentacules dans la ville pour semer le trouble, la panique et l’indignation des Casablancais pour qui les matchs de football deviennent un calvaire à vivre depuis qu’ils ont commencé à faire des blessés et dans certains cas des morts sans parler des dégâts matériels.
Par ailleurs, si les viols et les agressions sexuelles ont toujours existé au Maroc et ailleurs, ce qui est alarmant c’est cet élan de bestialité et de sadisme à faire doublement souffrir la victime, en la filmant dans son impuissance face à la barbarie de l’agresseur et en se vantant à brandiller aux yeux du monde son crime, sur la toile avec euphorie. D’ailleurs, le calvaire des femmes marocaines, cible privilégiée d’une violence prédatrice, se mesure à des chiffres qui font froid dans le dos.

Qu’il s’agisse de violences conjugales, familiales ou dans l’espace public, de nature physique, sexuelle, verbale, psychologique ou même économique, la violence est une constante du vécu des marocaines.

Un autre aspect de violence fait rage dans les écoles ou au sein même des universités où l’on assiste à des affrontements entre différents clans d’étudiants. C’est autant un fléau qui va crescendo avec les mutations rapides que connaît la société. Et quand elle éclate, elle affecte aussi bien tous les élèves/étudiants que l’ordre général.

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Violence et médias

Omniprésente sur nos écrans, dans les médias, dans les rues et dans nos relations humaines professionnelles ou personnelles quotidiennes, la violence est un phénomène qui nous touche et nous concerne tous.
Ce qui est inquiétant et grave c’est la banalisation de cette brutalité qui va jusqu’à exposer fièrement à qui veut le voir sur les réseaux sociaux, des couteaux et des sabres à glacer le sang dans les veines, menaçant de sévir à tout moment. Comment des parents peuvent-ils se défaire de la phobie qui les tenaille quand ils voient circuler – sur Facebook ou autre – des scènes filmées de harcèlements et de viols ?
Il n’est donc pas un jour où des scènes de violence ne viennent secouer et empoisonner la vie de tout un chacun soit par le biais des médias et des réseaux sociaux soit carrément dans la rue si ce n’est dans le lieu de travail et remettre notre sécurité en question malgré les efforts déployés par la police. La psychose gagne du terrain face aux vols à l’arraché sous la menace, au vu et au su des passants, sans que ceux-ci ne puissent réagir.

Même sur les réseaux sociaux qui sont censés être un lieu de débat, le langage est devenu un outil redoutable au service de la violence et un terrain propice à la brutalité, au règlement de comptes et à la vengeance. Et ce phénomène monte au pic durant le mois sacré où les gens sont plus irascibles et les comportements violents plus fréquents.

Bien que les risques de terrorisme et de violences politiques soient, aujourd’hui, plus élevés que jamais, il n’y a pas plus de violence, aujourd’hui, qu’il n’y en avait hier, semble-t-il.

Il ne faut pas oublier une autre facette de violence à savoir le racisme. En effet, dénigrement, mépris et rejet sont les armes de ceux qui se donnent le droit de rabaisser, se croyant supérieurs. Pourtant, cela ne peut jamais être justifié par de simples différences physiques, ethniques, culturelles ou religieuses.

Mais il serait aberrant de croire que la violence ne naît qu’au sein d’un environnement miné par le chômage et la précarité même s’ils sont les motifs capitaux qui engendrent la recrudescence de la violence et de la criminalité. N’a-t-on pas assisté à des scènes violentes entre commis de l’Etat et au coeur de l’hémicycle parlementaire à plusieurs reprises ? D’ailleurs, on dirait que les politiques ont plus la facilité des attaques agressives que le dialogue.

Non, ce n’est pas un mal des temps modernes

Faut-il rappeler que la cité idéale n’est qu’illusion et que depuis son apparition sur terre, l’Homme s’est battu, bec et ongles pour se défendre et survivre ? Des armes préhistoriques aux moyens les plus sophistiqués pour mener les guerres et les combats, il n’a cessé d’innover en faisant toujours preuve de violence pour attaquer ou du moins pour se protéger. Ainsi, la violence l’a toujours accompagné. Elle est le résultat de l’agressivité et la cruauté en est sa perversion. Elle est peut-être également plus destructrice, compte tenu des moyens technologiques actuels, mais la violence n’est pas un phénomène nouveau.
Déjà présente dans de nombreux mythes et légendes, elle fait partie intégrante de toute l’histoire de l’humanité. Elle n’est donc pas propre au monde contemporain mais c’est un phénomène universel. Est-ce à dire alors qu’elle est inscrite dans la nature humaine ? En tout cas, plusieurs chercheurs nous rappelle qu’on a tendance à oublier que cette violence innée est la raison de notre existence depuis Abel et Caïn. Selon eux, si nous existons c’est parce que nos ancêtres, à l’époque de la préhistoire, avaient l’instinct de survie alimenté par une certaine violence. Ils vont même jusqu’à dire qu’elle fait partie de notre patrimoine génétique qu’il faut bien décrypter pour pouvoir la canaliser et la maîtriser. D’autres trouvent que l’agressivité se décline en sous-types : frustrative, défensive et offensive et chacun se manifeste selon les influences génétiques et environnementales différentes. C’est dire que mère Nature a doté l’Homme d’une faculté primaire et instinctive pour qu’il se défende.

Nous vivons dans un monde de moins en moins violent… et nous l’ignorons

Si l’on parvient à dépasser le niveau purement émotionnel de la perception de la violence, considérablement amplifié par notre société médiatique et numérique, on se rendra compte de l’évolution humaine.
Bien que les risques de terrorisme et de violences politiques soient, aujourd’hui, plus élevés que jamais, il n’y a pas plus de violence, aujourd’hui, qu’il n’y en avait hier, semble-t-il. Bien évidemment, le terrorisme est un phénomène affreux mais statistiquement parlant, les conséquences restent minimes par rapport aux accidents et aux crimes passionnels. Cela correspond d’ailleurs à sa définition : « Ce sont des actes peu nombreux destinés à produire un effet psychologique massif par lequel les terroristes visent à terroriser le monde à travers les médias manipulés. » La violence est juste plus visible et plus mondialisée et en cela les médias y sont pour beaucoup.

Ce qui revient à dire que le nombre d’actes violents diminuent mais la sensibilité à la violence a augmenté parce que la vie humaine a pris beaucoup plus de valeur.

Selon Pinker, notre époque serait de loin la moins violente et la moins cruelle de toute l’histoire de l’Humanité, même en prenant en compte les guerres et les récents attentats terroristes. Il montre dans son livre « La part d’ange en nous », chiffres à l’appui, que la violence tend à diminuer dans l’histoire humaine contrairement à notre perception habituelle, partielle et partiale. Ce professeur à l’université d’Harvard, spécialiste de psychologie évolutionniste et de sciences cognitives, avance des données chiffrées et explique comment on est passé, en Europe, d’un taux d’homicide de 100 par an pour 100.000 habitants au XIVe siècle, à 10 au XVIIe siècle et à 1 de nos jours. Alors même que nous pensons spontanément que le XXe siècle, avec ses deux guerres mondiales, ses régimes totalitaires et ses guerres coloniales fut le pire de notre histoire.

En inventant la diplomatie, la justice et des institutions internationales avec des règles et des valeurs à respecter, les sociétés civilisées ont diminué, de façon constante, la violence grâce à la civilisation des valeurs et des moeurs où la raison l’emporte sur l’instinct.

En aucun cas, la violence ne peut être une solution mais plutôt un problème dans une société dominée par la culture et l’idéologie de la violence qu’on légitimise. Dès lors, il est capital de prendre conscience de la violence qui nous habite et de celle qui nous entoure pour l’apprivoiser et apprendre à la gérer.
Peut-on donc rêver d’un monde sans violence ? Sûrement pas puisqu’«on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ». Pas besoin donc de dire comment on traite les animaux chez nous.

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