L’agriculture, un secteur qui tient tête à la pandémie

Dossier du mois 

Le secteur agricole semble se remettre du choc de ces deux dernières années de sécheresse et de la crise sanitaire. Avec des conditions météorologiques très favorables, la campagne 2020-2021 a démarré sous de bons auspices avec une performance qui se situe parmi les meilleures campagnes des dix dernières années. Les voyants sont au vert, le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch annonçait, le 19 avril 2021, «une année bonne à très bonne». Enfin, la note du HCP de ce deuxième trimestre a indiqué un accroissement de 19,3% de la valeur ajoutée agricole. Pour analyser la situation, MAROC DIPLOMATIQUE s’est entretenu avec Jaouad Bahaji, Directeur Général de l’Office National du Conseil Agricole (ONCA).

Avec une pluviométrie qui a atteint 291mm au 29 avril, soit plus de 32% par rapport à la campagne précédente, la campagne agricole se déroule positivement en comparaison avec les deux dernières années de sécheresse. Les précipitations bien réparties au niveau des bassins agricoles ont permis à certaines filières comme la céréalière, d’enregistrer un nombre record de 98 millions de quintaux, soit une hausse de 206% par rapport à la campagne 2019/2020 et 54,8% par rapport à la moyenne de cinq ans. Parmi les régions ayant enregistré un record à tous les niveaux, nous retrouvons la région de Fès-Meknès, constate Jaouad Bahaji. «Il y a trois ou quatre régions qui s’en sortent bien cette année. Nous retrouvons aussi Chaouia, surtout pour les céréales, El Gharb, et le Nord vers Larache et Ksar El Kébir avec les fruits rouges et les maraîchages». Ces derniers sont extrêmement importants, insiste-t-il, notamment en cette conjoncture, puisqu’ils permettent d’approvisionner le marché en fruits et légumes. Ainsi, «toutes les régions ont enregistré une excellente performance à l’exception de quelques-unes, à l’instar de la région de Marrakech-Safi où les précipitations n’étaient pas assez abondantes mais sans grand impact.». Les prévisions pour l’année prochaine s’annoncent, elles aussi, positives «surtout pour la préparation des semences céréalières». Par ailleurs, la récolte au niveau du sud avait redémarré au mois de mai, de la même façon que la culture de la betterave à sucre qui affichait déjà un état favorable.

Une résilience face à la crise sanitaire

Si la Covid a ravagé la quasi-totalité des secteurs, le secteur agricole s’en est plutôt bien sorti. Les produits étaient disponibles et les prix à la portée de tous, depuis le début de la pandémie, parfois même en baisse… «Nous avons pu assurer l’approvisionnement du marché tout au long de l’année. Nous n’avons pas senti la crise sur le marché, surtout au niveau du maraîchage», assure Jaouad Bahaji. Il rappelle, à ce titre, le rôle essentiel des agriculteurs au quotidien et particulièrement en cette période de crise sanitaire. «Nous devons remercier et honorer les agriculteurs qui ont travaillé dans des conditions très difficiles et qui ont pris des risques en se déplaçant, parfois avec des coûts élevés étant donné la conjoncture».

Par ailleurs, pour faire face à l’annulation des différents salons (SIAM, SIAP…), plusieurs alternatives ont été pensées pour contrer les effets de ces annulations. «L’Agence de Développement Agricole, (ADA) spécialiste de la commercialisation des produits du terroir, a mis en place des plateformes commerciales au niveau des grandes surfaces. Ainsi, certaines coopératives ont pu bénéficier de l’exposition de leurs produits dans des stands de grandes enseignes, avec des prix encourageants». Autre initiative mise en place, la création de plateformes numériques et digitales pour inciter les coopératives à changer leur manière de commercialiser, notamment grâce aux réseaux sociaux,  «Le monde change, il faut aussi changer sa façon de travailler…», assure-t-il.

Enfin, depuis mars 2020, le secteur a pu compter sur ses 500 conseillers qui n’ont pas ménagé leurs efforts, y compris durant le pic de la Covid. «Nous avons mis en place une stratégie d’intervention des conseillers pour que toute les précautions soient prises avec les moyens nécessaires, et en concertation avec nos partenaires et le ministère de l’Intérieur. Leurs actions ont été réalisées sans arrêt, ils se sont rendus dans différentes exploitations et ont poursuivi leurs missions d’accompagnement, tout en respectant les mesures barrières. Dieu merci, aucun de nos 500 conseillers n’a été touché par la Covid dans le cadre de ces missions».

Le défi humain et digital de l’agriculture

Du fait de cette crise, l’ONCA, à l’instar d’autres organismes de différents secteurs, a été amenée à repenser sa stratégie et ses méthodes de travail, pour ses équipes ainsi que pour les agriculteurs marocains. Cette nouvelle stratégie passe par la digitalisation du secteur, à travers l’équipement de ses conseillers en tablettes qui leur permettront d’interagir entre eux, avec la hiérarchie, collecter les données et les analyser en temps réel. Cette initiative permettra au pays d’être à jour et de répondre rapidement aux exigences du terrain et aux problématiques des professionnels du secteur. «À terme, nos exploitations devront être digitalisées également à travers la mise en place de stations météo ou encore de drones pour l’analyse de la situation des cultures».

Autre défi que le secteur devra relever, c’est celui des ressources humaines. «C’est une des difficultés auxquelles nous pouvons nous heurter. Il faut donc continuer les efforts dans le cadre de stratégies de rajeunissement, de digitalisation et de sensibilisation, pour attirer davantage de jeunes». Ce qui peut être fait, explique-t-il, c’est leur démontrer qu’il s’agit d’un secteur porteur «qui permet de vivre en toute dignité». Par ailleurs, le processus de modernisation constitue l’un des principaux axes pour atteindre cet objectif. «C’est le seul moyen pour embarquer les jeunes dans le secteur. Lorsqu’on parle d’agriculture intelligente, digitale, de l’utilisation de drones, de moissonneuses batteuses contrôlées par des satellites… c’est le seul moyen de les inciter à s’aventurer dans le secteur agricole, qui est passionnant mais qui demande des incitations». En bref, il faut investir et préparer la relève de demain, conclut-il.

Le rôle majeur et transversal de l’ONCA

Le rôle de l’ONCA est transverse. Il passe principalement par l’accompagnement et la sensibilisation des agriculteurs, pour toutes les filières. La structure fournit des formations, des présentations, tout cela dans le but de renforcer les capacités techniques et organisationnelles des agriculteurs. C’est d’ailleurs la structure du ministère la plus déconcentrée, «Nous sommes 1200 personnes avec environ 500 conseillers toutes filières confondues (production végétale, animale…)», explique son Directeur Général, Jaouad Bahaji. «On accompagne également le Département de l’agriculture dans la collecte de données, dans les grands chantiers de l’agriculture solidaire avec l’ADA par exemple. Nous avons aussi des Farming Schools pour accompagner les agriculteurs dans leur projet d’investissement à travers un cahier des charges et un diagnostic. Nous définissons avec eux les contraintes, le choix d’investissement…»

 L’ONCA travaille ainsi autour de cinq objectifs stratégiques, basés sur les acquis du Plan Maroc Vert (PMV) :

– La consolidation des filières agricoles comme celles des céréales, du pommier, de la viande rouge, du lait… cela à travers l’accompagnement des agriculteurs pour améliorer soit la qualité, soit la quantité, ou bien les deux, en collaboration avec les Directions Régionales du ministère ;

–  L’entrepreneuriat des jeunes, l’incitation à la création de coopératives ou de sociétés de prestation de services au niveau régional, à travers un programme de partenariat avec plusieurs acteurs (Chambres, interprofessions…). Les résultats sont déjà encourageants, avant le PMV, le Maroc comptait 4000 coopératives pour atteindre 20.000 structures en 2021. Plus de 20% sont des coopératives féminines ;

–  L’organisation avec d’autres acteurs tels que les associations des usagers d’eaux. Il est essentiel que ces dernières soient renforcées ;

–  L’économie d’eau… il s’agit d’un outil de développement qui nécessite une excellente gestion. Le pays dispose d’une politique d’économie d’eau depuis feu Hassan II et qui a été suivie dans le cadre des différents chantiers royaux. Cet axe permettra d’économiser et de mieux exploiter l’eau, dans le cadre de cultures valorisantes. Cela conduira à une augmentation de revenus mais aussi à la pérennisation des ressources pour que les générations futures continuent d’exercer ce métier ;

–  La réforme du Conseil agricole, avec pour objectif, dans le cadre de la «Génération Green», d’avoir 5000 conseillers d’ici 2030, soit dix fois plus qu’aujourd’hui. Ils peuvent être issus du public, du privé, ou d’autres partenaires comme les Chambres et les interprofessions.

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