L’Algérie et le défi d’une douloureuse transition

Une géopolitique entre « l’action et l’illusion de l’action », une économie informelle, le clientélisme et la fraude fragilisent l’économie du pays et la crise pétrolière avec son lot de baisse des revenus des hydrocarbures qui risque de signer la fin de l’Etat-Providence.

L’Algérie a d’énormes potentiels en ressources énergétiques et humaines, notamment à travers sa diaspora. Mais le fait que son économie soit basée sur la rente pétrolière, gangrénée par des problèmes structurels et des pratiques contraires à un Etat moderne, constitue un handicap majeur pour atteindre le rang de leader économique et politique auquel le pays aspire jouer au Maghreb et en Afrique. C’est ce qui ressort du colloque intitulé : « l’Algérie, quelles transitions ? » organisé, mars dernier, à l’Institut des Relations Internationales et des études Stratégiques (IRIS), à Paris. « L’Algérie est confrontée à une baisse de 70 % de ses revenus pétroliers, depuis 2 ans, a déclaré le mois dernier, le président de la République. Or, les hydrocarbures représentent 97 % des exportations algériennes et une part très importante de ses recettes fiscales. La situation économique et sociale de l’Algérie constituera la première partie du colloque», présente dans son allocution d’ouverture, Jean-Pierre Chevènement, Président de l’association «France-Algérie ».

Bourkia 1

Politique intérieure: la fin de l’Etat Providence ?

L’ancien ministre du Commerce algérien, Smaïl Goumeziane, quant à lui, s’interroge : « En quoi la crise pétrolière, d’aujourd’hui, pourrait être le signe de la fin de l’Etat-Providence ? » Il problématise ainsi le rôle de la rente pétrolière dans le système de protection sociale, les défis majeurs de la chute des prix du pétrole, les effets pervers qui fragilisent l’économie du pays et l’économie parallèle produite par le secteur informel. « L’une des particularités de l’Etat-Providence en Algérie, c’est qu’il est fondé, essentiellement, sur la rente pétrolière. On dépense, annuellement, environ 50 milliards de dollars soit environ 25 % du PIB de l’Algérie pour ce qu’on appelle globalement les politiques de protection sociale. Il y a dans la réalité quatre principaux phénomènes d’éviction qui se sont développés et qui limitent, drastiquement, la manne financière qui est mise au service de la protection sociale et ce, à l’insu des autorités. Les activités productives nationales sont, en permanence, contrecarrées par le développement plus fort et plus dynamique des activités informelles. La production algérienne est plutôt dominée par les importations(90 % des produits que l’on peut trouver dans une supérette sont importés). Les impôts productifs (prélèvements sur les travailleurs et entreprises) sont régulièrement contrecarrés par des phénomènes de fraude fiscale, d’évasions fiscales et de transferts invisibles (2 milliards de dollars par an). Enfin les ayants-droits sont progressivement et régulièrement évincés par toute une série de clientèle et de passe-droit. » Pour le spécialiste des questions énergétiques, Francis Perrin, L’Algérie fait face à deux énormes défis : « la chute des prix du pétrole et l’augmentation très rapide de la consommation énergétique nationale, (la consommation domestique). Pris isolément, chacun de ces défis est redoutable. Ce qui est plus redoutable c’est la combinaison des deux. On a, à la fois, la poursuite d’une croissance de la demande énergétique intérieure (en pétrole, gaz et électricité) et la chute des prix du pétrole ». Le spécialiste énumère ensuite trois conséquences macroéconomiques de la chute des prix du pétrole : « Premièrement, un impact sur les équilibres extérieurs du pays. Un impact sur les équilibres internes et enfin, un autre sur la croissance économique. L’équilibre extérieur entraîne une chute brutale de la valeur des exportations, qui est passée de 97% à 45-50 %. Jusqu’en 2015, les exportations finançaient entièrement les importations. Les exportations hydrocarbures représentent 66 % des importations. Cela a un impact sur le déficit commercial et sur le déficit de la balance globale des paiements. Sur les équilibres internes, on constate une baisse des recettes budgétaires important et répété, depuis 2 ans. Donc, les fonds de recettes de régulation sont en train de diminuer comme neige au soleil. Selon certains économistes, ce fond devrait être épuisé, en septembre« .

L’Algérie fait face à deux énormes défis : « la chute des prix du pétrole et l’augmentation très rapide de la consommation énergétique nationale, (la consommation domestique).

Politique extérieure : le statuquo diplomatique

La deuxième table ronde portait sur l’Algérie dans son environnement géopolitique. Le maître de conférence à Sciences-Po Paris, Kader Abderrahim, rappelle, tout d’abord, la diplomatie très active des années 70-80 : « l’Algérie a toujours eu un rôle de médiateur, en Afrique et au Maghreb. On ne peut rien faire sans l’Algérie. Elle est comme le nez au milieu de la figure, rien ne peut être fait au Maghreb sans l’Algérie. Le reste du continent en est conscient mais les Algériens doivent aussi prendre conscience de leur responsabilité sinon ça restera un nain aux pieds d’argile même si son ambition n’est pas celle-là. Longtemps, l’Algérie a joué un rôle en Afrique, aujourd’hui le pays a un peu tourné le dos ». En ce qui concerne la question du Sahara. Kader Abderrahim affirme que c’est une question importante mais «il me semble que ce ne soit pas très important pour les dirigeants algériens, car ça ne rapporte pas grand-chose comme solution. C’est une carte qu’on a dans sa manche, un peu comme au poker, et que l’on fera tomber, le moment venu, quand on estimera que ça peut rapporter gros. Mais pour le moment c’est le statuquo, et c’est la moins mauvaise solution diplomatique. Et, finalement, tout le monde s’en contente, même si les Occidentaux sont très attentifs à ce que les choses ne dégénèrent pas ». Pour sa part, Hasni Abidi, le directeur du CERMAM (Centre d’Etudes et de Recherches et de Recherche sur le Monde Arabe et Méditerranéen) précise : « Il y a une situation politique inédite aux frontières qui a été imposée à l’Algérie. Donc, un décideur politique qui se respecte doit se demander comment faire face à cette situation afin de ne pas subir de conséquences énormes sur le plan politique et humain, et comment consolider le régime politique. Ce régime, depuis des années, a fait un bon exercice du paradigme sécuritaire. C’est l’un des paradigmes qui déterminent le fonctionnement du système politique algérien, avec une bonne expertise des services de renseignements. Il se trouve que les crises régionales ont débouché soit sur des radicalisations de l’opposition soit sur des guerres civiles. en politique, on dit toujours qu’il y a « l’action et l’illusion de l’action ». Je crains fort que l’Algérie, hélas, hésite entre les deux ». L’expert algérien termine par la question de compétition qui existe entre les deux diplomaties et qui est dommageable pour l’Union du Maghreb, dans notre cher processus euro-méditerranéen transformé en Union pour la Méditerranée. « Et bien entendu, on a toujours étudié que la démocratisation pouvait passer par une intégration régionale. Je reste persuadé par cette intégration régionale et on ne fait pas une intégration régionale qu’avec les premiers de la classe, c’est le plus fort qui peut tirer le plus faible vers le haut. Et enfin, je pense que l’intégration régionale entre les pays de la région serait un bon outil non seulement pour consolider la démocratie fragile mais, en tout cas, pour rassurer les autres et les encourager dans la transition qui est le seul moyen d’assurer l’avenir de nos enfants ».

Chiffres

Le secteur informel, en Algérie, représente 45,2 % du PIB, soit presque la moitié. Un travailleur sur deux est embauché dans le secteur informel. Il y a environ 11 millions de travailleurs actifs sur 40-41 millions d’habitants, soit 25 % de la population active, sur ce taux, la moitié est dans le secteur informel. Cela concerne les secteurs privé et public (entreprises publiques qui embauchent des travailleurs sans les déclarer). 45% du travail informel a lieu dans le secteur des services, 37% dans le BTP et 17% dans l’industrie. 50 milliards de dollars sont dans le secteur informel (50 % de la masse monétaire en circulation). 40 % des transactions se font en cash. L’Algérie est un pays où la facture, base essentielle de l’économie du marché, est ignorée, où on fait deux bilans, l’un pour le fisc et l’autre pour soi. Sept algériens sur dix ne disposent pas de compte bancaire.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page