L’Algérie ne peut plus continuer à tourner autour du pot

Tribune

Par Kamal F. Sadni*

Entre le syndrome du déni et la propension à la fuite en avant, l’Algérie officielle cultive l’amalgame et s’agrippe à l’espoir de voir les paramètres géopolitiques être chamboulés en sa faveur. Elle scrute les zones de tension notamment la guerre entre la Russie et l’Ukraine pour qu’une certaine parité stratégique entre grandes puissances lui permette de souffler. Car, elle ne peut se sentir à l’aise que dans l’ambivalence et l’entretien de la surenchère dans l’espace nord-africain.

Sur quelle base les décideurs algériens nourrissent-ils cet espoir ? L’incohérence géopolitique et les réflexes de la guerre froide. Or, si les réactions de ces décideurs ne surprennent plus personne, tant elles se contredisent, celles des algériens -dits opposants- qui se présentent comme partisans d’un sous-ensemble régional de paix, d’ordre et de sécurité, méritent  une lecture particulière.

Aussi curieux que cela puisse paraître, ces opposants-activistes-analystes, dont l’allégeance à la démocratie ne les absout pas d’avoir été, dans le passé, les véhiculaires d’une idéologie hégémonique, reprennent, à quelques exceptions près, les thèses révolues de l’Algérie officielle.

En effet, par un coup de baguette magique, ces opposants-activistes-analystes trouvent dans une vieille proposition machiavélique concoctée par l’institution militaire en 2002, matière à broder. De quoi s’agit-il ? Du droit de l’Algérie à une parcelle des Provinces du Sud. Du délire dans toute sa superbe.

Ils ne sont cependant pas les seuls à développer un argumentaire, en apparence anodin, mais au fond mérite une lecture approfondie. De quoi s’agit-il là encore? De l’invitation adressée au Polisario de constituer un parti politique et venir défendre sa thèse, une fois le Plan d’autonomie est mis en branle.

Cette idée émane d’une certaine sensibilité dans les Provinces du Sud. Elle demande à être clarifiée. Elle rappelle une proposition similaire faite par Kadhafi, au lendemain de la création de l’Union arabo-africaine, en 1984, entre le Maroc et la Libye. Le dirigeant libyen avait suggéré au mouvement séparatiste de se constituer en partie politique et venir défendre la même thèse.

Des propositions samaritaines trompe-l’œil

Premier constat, mine de rien, les opposants-activistes-analystes algériens véhiculent une idée qui leur serait murmurée par l’institution militaire. La plus saugrenue est celle ‘d’une gestion collégiale’ par le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie pendant une certaine période suivie d’un référendum pour décider à qui appartiendra le territoire. C’est comme si le postulat du référendum était un texte sacré.

Ensuite, il y a l’idée du partage pur et simple. L’Algérie a dépensé durant quarante-sept ans quelques 500 milliards de dollars pour faire triompher son plan de morcellement du Maroc. Elle devrait avoir un retour en investissement. C’est toujours cette obsession d’avoir une façade maritime sur l’Atlantique.

En réalité, les décideurs algériens regrettent, peut-être, d’avoir fermé les yeux ou ignoré carrément la main tendue du Maroc, depuis la fin des années 1970, en vue de résoudre le conflit du Sahara sur la base des arrangements qui auraient été conclus en 1969, 1970, 1972 et 1974.

Les mêmes opposants-activistes-analystes reprennent la proposition faite par l’ancien président Abdelaziz Bouteflika en 2002 à James Baker, ancien Envoyé Personnel du Secrétaire général des Nations unies, comportant le partage des Provinces du Sud entre le Maroc et le Polisario. Ce dernier hériterait d’Oued Eddahab récupéré par le Maroc après la volte-face de l’ancien président mauritanien Mohamed Khouna Ould Haidalla animé par des considérations tribales.

L’excitation ne s’arrête pas là ; elle trouve forme dans une ancienne proposition appelée plan SAD (Sahara demain), en 1979, comportant un schéma de partage aussi irréaliste que hasardeux. Un plan  a été rejeté en son temps par le Maroc et l’Algérie.

Pourquoi cette effervescence de la part des opposants-activistes-analystes algériens ? Une réponse simple : quelle que soit leur opinion politique sur la situation intérieure de leur pays, ils s’accordent dans leur majorité sur son choix stratégique de contrecarrer les intérêts du voisin marocain par tous les moyens. La doctrine militaire et la doctrine civile, pour ainsi dire, vont de concert.

L’autre réponse est  cependant plus claire : la ‘doctrine militaro-civile’ tombe dans l’eau, car le Maroc a gagné la bataille du Sahara et l’Algérie ne ramasse même pas des miettes. Elle hérite d’un mouvement séparatiste qui va lui donner du fil à retordre.

Quel serait le nombre de locataires dans les camps de Tindouf originaires authentiques des Provinces du Sud? Personne ne le sait tant il est vrai que la majorité d’entre eux est d’origine algérienne, mauritanienne, malienne, nigérienne et autres. L’incohérence prend son envol. Et voila les mêmes opposants-activistes-analystes algériens qui mettent en garde l’institution militaire contre son acharnement à refuser le recensement de ces populations.

Non seulement cette opération doit avoir lieu d’urgence, mais, estiment-ils, il est impératif d’accorder à ses populations le statut de réfugiés. Comble d’ironie, ces opposants-activistes-analystes ne semblent pas réaliser que l’Algérie  refuse d’autoriser le UNHCR à recenser les locataires des camps, en dépit des injonctions du Conseil de sécurité des Nations unies, parce qu’elle joue la carte de la diversion.

Une observation toutefois : les locataires, dont il s’agit, constituent une armée  qui livre une guerre au Maroc avec le soutien effectif et continu de l’armée algérienne et des conseillers étrangers, dont certains appartiennent à des milices extrémistes dans leurs propres pays d’origine. Or, dans d’autres cieux, les réfugiés sont normalement des populations civiles déplacées et recensées par le UNHCR et ne peuvent être utilisés comme soldats ou boucliers humains, notamment quand il s’agit d’embrigader des enfants.

De surcroît, ce qui fait peur à l’institution militaire et aux opposants-activistes-analystes algériens, c’est l’horizon sombre qui se profile devant une population qui broie du noir. Une partie est sans doute victime, mais les commanditaires et leurs agents ne le sont pas.

D’où l’amalgame et l’incohérence de la proposition de voir le Polisario devenir une formation politique (transportant avec elle ses structures aléatoires héritées de Tindouf) avec l’espoir qu’elle accepte les règles de la démocratie, une fois l’autonomie est mise en place.

Les auteurs de cette proposition l’auraient fait de bonne foi pour marquer les conteurs de l’évolution future du dossier, maintenant que l’on s’achemine vers la résolution du conflit selon la proposition d’autonomie jugée la plus sérieuse, crédible et réaliste. Ils seraient d’avis que les populations sahraouies des Provinces du Sud, qui sont restées loyalistes, et qui ont participé au processus démocratique dans tout le pays, ne soient pas pénalisées, du jour au lendemain, ou soient contraintes à céder la place à des gens qui ne portent pas le Maroc dans leurs cœurs. Des gens qui ne croient pas à la démocratie et aux droits de l’Homme pour les avoir reniés dans les camps de Tindouf sous supervision algérienne. En guise de bonne foi, et tenant compte des traditions de conciliation, dont sont réputées les tribus du Sahara, rien ne s’opposerait, estiment-ils, à ce que les revenants soient intégrés dans le jeu politique.

Toutefois, le risque ne serait pas seulement de voir ceux amenés à retourner dans le cadre des paramètres du Plan d’autonomie (notamment l’amnésie générale) faire main basse sur l’échiquier politique local. Il serait à craindre aussi qu’ils soient instruits par l’Algérie (ou autres forces internationales latentes) de jouer de l’obstruction, semer la zizanie et provoquer une guerre civile.

Si bien que le retour, si tel est la finalité au terme de la mise en œuvre du Plan d’autonomie, doit être géré de telle manière que la stabilité du pays soit garantie et que les revenants ne croient pas avoir droit à des privilèges par rapport aux autres composantes de la population des Provinces du Sud. Certes le Plan d’autonomie est entouré de garde-fous précis sur cette question, mais il faudra rester vigilent.

Entre le marteau et l’enclume, la fuite en avant

Une autre interrogation: qu’en est-il maintenant de l’Algérie qui prétend être une partie non impliquée directement, mais seulement partisane du droit des peuples à l’autodétermination ? Que faire de l’argumentaire de Mohammed Bedjaoui devant la Cour international de justice, en 1974, philosophant sur ‘Terra nullius’, ‘droits historiques’ et ‘autodétermination’? Et quel est son impact sur la Kabylie et les Touaregs du Sud ?

Les opposants-activistes-analystes procèdent par des schémas tactiques divers qui visent le même objectif : semer le doute et proférer des menaces. Comment cela se fait-il ? En faisant mine de souscrire à la solution d’autonomie, mais selon les propositions précitées comportant conditions préalables. Cela se déclinerait de la manière suivante.

Premièrement, en contrepartie de l’acceptation hypothétique par l’Algérie de l’autonomie des Provinces du Sud, et bien avant le déclenchement du processus de négociation,  le Polisario n’aura plus raison à rester sur le territoire algérien. Il doit trouver refuge ailleurs. Où ? Pas de proposition concrète. L’idée est malicieuse dans la mesure où ces opposants-activistes-analyste  cherchent à cacher l’évidence que  leur pays est la principale partie au conflit régional autour du Sahara.

Deuxièmement, pour noyer le poisson, les opposants-activistes-analystes mettent le Polisario en garde, en cas de refus, de se faire épingler en tant que mouvement terroriste. Pour nuancer leur idée, ils parlent de la branche armée du mouvement séparatiste. La démarche vise à distinguer l’aile politique de l’aile militaire, alors que dans les faits il s’agit de la même composante.

Le paramètre militaire inclus dans le raisonnement veut insinuer que le retour à la lutte armée, en cas d’échec des négociations entre le Maroc et l’Algérie, reste une option, en fait un moyen de marchandage incontournable entre les mains de cette dernière.

En réalité, le dilemme pour l’Algérie officielle et les opposants-activistes-analystes reste Tindouf et le Sahara oriental que l’Algérie veut nettoyer de la présence du mouvement séparatiste et, partant, contourner ses obligations aux termes de l’accord frontalier de 1972 avec le Maroc, dont l’interprétation prête à confusion sur un certain nombre de dispositions.

L’Algérie ne peut plus se permettre de tourner autour du pot. Elle sait qu’elle doit s’asseoir à la table des négociations en tant que principale partie au conflit. Les décideurs algériens sont convaincus que le carnet d’adresse de leur diplomatie, celui des autres structures sécuritaires de l’Etat ainsi que les complicités des caciques du régime, réhabilités depuis peu, ont fait long feu.

Ils sont surtout convaincus que la reconnaissance de la marocanité des Provinces du Sud, quelle qu’en puisse être la formulation, par de nombreux pays est une réalité avec laquelle ils doivent vivre. Preuve en est l’indifférence avec laquelle les diplomates algériens sont regardés chaque fois qu’ils evoquent la question du Sahara, lors des conférences régionales ou internationales,  même si elle ne figure pas à l’ordre du jour.

Les décideurs algériens sont surtout convaincus que la position des organisations arabes et islamiques (Conseil de Coopération du Golfe, Ligue des Etats arabes arabe) est sans équivoque, et elle est en faveur de l’intégrité territoriale du Maroc.

Il reste à l’Algérie l’Union africaine. Or, depuis 2017, date de la réintégration du Maroc, les choses ont évolué. D’où la troisième proposition insidieuse émise par les opposants-activistes-analystes algériens : il y aurait risque que l’Union africaine implose si le Polisario était chassé de l’organisation comme beaucoup d’observateurs le pronostiquent. La constitution récente du G4 (Afrique du Sud, Algérie, Ethiopie, Nigéria) serait l’anticipation d’une telle implosion.

En somme, les opposants-activistes-analystes algériens veulent faire porter le chapeau au Maroc. Et ils redoutent, à leur tour, comme les décideurs de leur pays, que le séparatisme finisse par avoir le dessus et miner l’unité nationale en Kabylie et dans le sud, où un mouvement touareg, dit de libération du sud, vient de se faire signaler. Ils craignent surtout que les réseaux du crime organisé que l’institution militaire a créés (ou soutenus) ne fassent cause commune avec des sécessionnistes algériens auxquels les dirigeants du Polisario, déçus par la tournure des événements, se rejoindront.

Et c’est dans cet esprit qu’il faut lire les assertions des opposants-activistes-analystes sur la futilité ‘des aspirations étatiques’ basées sur des considérations ethniques ou tribales. Ils ferment les yeux sur le fait que la thèse fondamentale de l’Algérie officielle depuis 1975, repose sur la dimension tribale comme pièces maitresse dans le but de séparer le Sahara du Maroc. Pour rappel, elle a joué sur sa connotation émotionnelle ponctuelle pour amener la Mauritanie à se désister en 1979.

Les opposants-activistes-analystes se permettent de jouer les samaritains. Il faut les comprendre. L’Algérie n’est plus à l’abri du séparatisme. Et elle doit réfléchir sérieusement à la manière dont elle doit résoudre la présence, entre autres,  de mouvements paramilitaires sur son territoire : le Polisario, des experts inféodés à des groupes extrémistes proches de certains services de renseignement, des éléments de Wagner ou des chefs de guerre évoluant dans l’espace sahélo-saharien prenant  les pays subsahariens en otage.

(Géopoliticien)*

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