L’apprentissage par le choc : de la diplomatie statu quo réactionnelle à la diplomatie-action-rabattage des cartes

Par Kamal F. Sadni  (Gėopoliticien)

L’apprentissage par le choc ! Le choc de la verité ! Le choc tout court. Il en faut dans la vie –d’ailleurs, c’est inévitable. Il en faut en politique et en diplomatie. Le pari est risqué, mais là aussi, c’est incontournable. L’histoire contemporaine, du moins celle portée à notre connaissance par différents médiums, en atteste avec chaque jour son lot de surprises.

Et on a l’embarras du choix, sauf que cette fois-ci, il faut faire le bon choix. A notre risque et péril, on retiendra parmi tous les chocs, celui de l’apprentissage. Les acteurs en présence sont dans une position de dépendance totale ou d’interdépendance unilatérale favorable aux acteurs majeurs. Ils ne veulent pas perdre au change. Pourtant…

On appréciera l’apprentissage par le choc à la lumière du bras de fer entre le Maroc et des pays européens, dont principalement l’Espagne et l’Allemagne avec la complicité implicite d’autres membres de l’Union européenne. Le choc de l’apprentissage sera apprécié également à la lumière de ce que certains appellent ‘cognitive dissonance’ (Festinger Leon, 1957), soit le changement d’attitude -qui est un processus complexe- ou ‘déni’ de la réalité -qui est plus grave que la schizophrénie. Cette appréciation cible la fois des acteurs internes et externes. Dans les deux cas, elle met en évidence la cacophonie du discours –et surtout sa charge d’hypocrisie.

L’apprentissage par le choc : choix rationnel et choix tout court

Remontant un peu l’histoire, on citera un certain nombre d’évènements d’importance fondamentale. En premier lieu, la Longue marche de Mao Tsé- toung de 1934-1935. Une marche qui, quelle que puisse être l’interprétation que lui donnent les historiens, en intégrant l’idéologique et le politique, continue d’intriguer. Ses adversaires l’ont appris à leurs dépens. Mais le choc provoqué à l’époque a scellé la victoire des communistes et l’éclosion d’un pays qui, de nos jours, se dispute le leadership aux Etats-Unis, à leurs alliés et à la Russie.

En deuxième lieu, la crise des missiles d’octobre de 1962 durant laquelle une troisième guerre mondiale a été évitée de justesse. Les rapports de force entre les acteurs en conflit (les Etats-Unis, l’URSS, Cuba et leurs alliés) ne permettaient l’ascendance d’aucun d’entre eux. Les dommages auraient été catastrophiques pour tout le monde. Et puis, les conteurs de ce qui devait être le conflit Est-Ouest étaient en train de prendre leur vitesse de croisière. La sagesse (plutôt le réalisme et le souvenir proche de la Deuxième Guerre mondiale) a fini par l’emporter.

La suite est connue avec des implications sur l’échiquier politique intranational américain et l’entrée dans une phase d’acceptation-neutralisation réciproque entre les deux grandes puissances de l’époque. L’apprentissage par le choc a évolué vers un choc de la vérité. Et la diplomatie en est sortie vainqueur.

En troisième lieu, la construction européenne est un autre exemple de choc de l’apprentissage, car elle est le résultat de l’ambition de sept leaders dont notamment Konrad Adenauer, Jean Monet et Robert Schuman. Au sortir de deux guerres mondiales dévastatrices, et en pleine esquisse de la guerre froide, rares sont ceux qui auraient parié sur la réussite du projet. L’Union européenne actuelle doit reconnaître à ses fondateurs le mérite de l’effet surprise qui aurait pu être un coup d »épée dans l’eau. L’Union ne se porte pas bien pour autant ; en partie parce qu’elle se montre incapable d’expérimenter ou de subir d’autres chocs –qui sont en tous cas inévitables.

Pourtant, l’Union ne se serait pas réalisée sans la production d’un choc aussi imprévisible que porteur d’espoir : la réunification allemande en octobre 1990. Le choc est ressenti par de nombreux allemands de l’Est comme une trahison. Et malgré les images euphoriques qui sont projetées encore de nos jours, cette catégorie de citoyens allemands n’en reste pas moins -en privée- nostalgique de l’ancien mode de vie et de pensée. Mais le choc de l’apprentissage de la nouvelle citoyenneté était inévitable, car se situant dans la foulée de la décomposition de l’Union soviétique.

→ Lire aussi : Amrani présente dans un panel la perspective marocaine d’une diplomatie post-covid

En quatrième lieu, la guerre arabo-israélienne de juin 1967 et la guerre d’octobre égypto-israélienne de 1973. Beaucoup d’encre a coulé sur l’appréciation de l’effet surprise. Trahison dans le premier cas, arrangement préalable pour le deuxième cas et découverte de la puissance et de l’impuissance des uns et des autres dans tous les cas. Le plus important est le fait que le choc quant aux conséquences stratégiques et géopolitique a été total. Le panarabisme est porté disparu. L’échiquier est chamboulé dans tous les sens. Les deux chocs ont été indirectement à l’origine de la visite d’Anouar Al-Sadat en Israël et son discours devant le Knesset, à la suite de la signature des accords de Camp David en 1978. Quelle que puisse être l’interprétation que l’on donne à cet événement, il est certain qu’il a réalisé une brèche psychologique et initié les autres processus qui ont suivi avec les bonheurs différents qu’on leur connait.

En cinquième lieu, la visite historique de Nixon en Chine en 1972. Cette visite était un choc dans la mesure où au sein du monde communiste, et malgré les divergences fondamentales entre l’URSS et la Chine, il était impensable, au nom de la solidarité idéologique, qu’un tel revirement puisse se produire. Les deux pays ont gagné au change. Les Etats-Unis sont entrés dans une phase d’apaisement avec la Chine pour créer une brèche dans le conflit Est-Ouest. La Chine a obtenu la reconnaissance des Etats-Unis, la neutralisation de Taiwan et l’accès au Moyen Orient grâce à la reconnaissance d’Israël, une décennie plus tard.

En sixième lieu, la révolution islamique iranienne de 1979 et les trois guerres du Golfe (1988-1991-2003) représentent une autre facette du choc de l’apprentissage, mais cette fois-ci avec des schémas prémédités qui ne se sont pas totalement traduits dans la réalité. Echec et déceptions des acteurs instigateurs et incrédulité des acteurs cibles ou dindon de la farce. Le panislamisme prend un coup de vieux et le nationalisme arabe se perd dans ses ambitions cacophoniques.

En septième lieu, la Russie qui sort essoufflée de la décomposition, au début des années 1990. Elle reçoit son propre choc et voit ses ambitions géopolitiques rétrécir comme peau de chagrin. Les ambitions de ses adversaires sont plus grandes. Ces derniers veulent la mettre à genou. Ils ferment les yeux ou deviennent complices des mouvements dissidents dans les républiques autonomes dans le Caucase du Nord, notamment en Tchétchénie et au Daguestan. La Russie riposte comme il le faisait par le passé : elle les laisse venir avant de réagir et mettre de l’ordre de manière agressive (certains diraient légitime) et repartir de plus belle dans la recomposition de l’échiquier géostratégique régional. Une attitude qui, selon de nombreux experts russes et occidentaux, condamne indirectement le non-respect par les Européens et les Américains des engagements pris devant Mikhaïl Gorbatchev à la veille et pendant le déroulement de la Perestroïka (M. Gorbatchev, 1997).

En huitième lieu, la Marche Verte de 1975 qui a déterminé le sort du Sahara en son rattachant au Maroc. Tout n’est pas dit sur le déroulement de ce processus, mais cette Marche aura été un choc pour de nombreux intervenants au moment où l’échiquier géostratégique était en train de connaître des remous exaspérant davantage la division du système international entre Est et Ouest. La Marche aura été surtout un choc intranational permettant aux acteurs politiques en compétition d’entendre raison et de réfléchir ensemble à sauver la nation au lieu de s’acharner à défendre l’idéologie coûte que coûte et servir, à leur insu, les visées hégémoniques des voisins.

En neuvième lieu, la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara le 10 décembre 2020. D’aucuns ont été surpris sauf les acteurs qui ont été parties prenantes dans le processus étalés sur trois ans au moins. Et le choc continue de résonner et explique tout le remue-ménage et les actions-représailles émanant de certains acteurs européens, nord-africains et africains au sud du Sahara.

En dixième lieu, le réveil européen sous forme de réaction à cette reconnaissance ; qui est en fait une réaction d’incrédulité, d’arrogance et de perceptions erronées des changements sur l’échiquier géopolitique régional et global. Le rappel de ces faits historiques autorise d’avancer l’argumentaire que voici : la lecture géopolitique des événements qui ont lieu se doit d’être tempérée et de prendre du recul par rapport aux décisions politiques et diplomatiques prises. Elle devrait se baser sur la perception de la magnitude du choc de l’apprentissage, de l’appréciation de la nature et de l’étendue des rapports de force entre acteurs en présence et de l’identification de ses acteurs en fonction des relations de dépendance totale, d’interdépendance et de dépendance unilatérale circonscrite dans le temps et l’espace.

Une observation d’emblée : l’appréciation est équivoque, en ce sens que certains acteurs se croient en droit de provoquer les chocs qui servent leurs intérêts immédiats et les refuser aux autres, mêmes si tout le monde n’est pas le véritable instigateur. Le cas marocain est très éloquent à cet égard.

L’apprentissage par le choc : de l’attentisme, au sursaut séquentiel, à l’appréciation audacieuse de la géopolitique régionale

Durant le protectorat et pendant les trois premières décennies post-indépendance, le Maroc a eu son lot d’apprentissage par le choc.  Des chocs qui ont été négociés avec des bonheurs différents, mais au final, ils ont permis de mettre en équation les ambitions des différents acteurs et surtout reconstruire l’Etat. Toutefois, l’originalité de l’expérience marocaine, en dépit des différences de lecture et d’appréciation, c’est qu’elle trouve une base solide dans la structure mentale des marocains.

Le premier choc a été celui de tenter de dépasser la perception segmentaire des rapports inter-sociétaux –et partant politiques. Cela n’était pas facile tant il est vrai que des survivances se plantaient à tous les coins de rue. Mais en somme, des résultats prometteurs ont été atteints et la société a appris à se ressourcer dans sa pluralité pour avancer et se mettre en valeur.

Le deuxième choc est le traitement de dossiers tabous et la participation à leur résolution quoique parfois, compte tenu des contraintes, de manière laborieuse. Il fallait des chocs qui interpellaient et pas des chocs qui semaient la panique. Et heureusement, que les protagonistes d’hier, à différents niveaux de l’échiquier, ont assimilé et le processus et son déroulement dans le temps et l’espace. Tout cela a produit une société consensuelle sur les questions stratégiques qui demeure parallèlement ouverte au débat sur les autres.

Le processus continue son bonhomme de chemin malgré les écueils. Fort des résultats atteints, le Maroc s’est livré au jeu des chocs, en matière de politique étrangère, en accusant le coup de certains et en en produisant d’autres. Cependant, tous ces chocs ont été liés à la question du parachèvement de son intégrité territoriale. De la diplomatie sous forme d’accommodation sans céder sur l’essentiel, on est passé à la diplomatie clarification des équivoques, à celle de la confrontation feutrée.

Trois étapes en témoignent de manière éloquente. La première étape est l’organisation de la Marche Verte pour désarçonner les adversaires. L’apprentissage par le choc se situait à deux niveaux : i) au niveau marocain quand on s’est aperçu que la continuation des négociations avec l’Espagne ne menaient nulle part. Il fallait trouver une autre voie pour obtenir gain de cause et ii) au niveau des détracteurs quand ils se sont rendu compte que le contrôle du jeu leur échappait. On verra plus loin que l’argument avancé par certains partisans du juridisme à tout crin les fait passer à côté de la plaque notamment en croyant que la bonne foi peut encore jouer sur l’échiquier diplomatique entre acteurs en relation asymétrique étriquée.

La deuxième étape est celle de quitter l’Organisation de l’Unité africaine en 1984 quand les membres africains les plus influents à l’époque avaient imposé le fait accompli. Le Maroc a subi le choc et il s’y attendait de toute façon, en raison de la nonchalance de ses alliés ou (leur impuissance à renverser la tendance en sa faveur). Critiqué, il n’en avait cure, car il y allait de sa souveraineté et de sa détermination à consolider les structures de l’Etat réinventé. Et malgré sa grande déception, le Maroc a continué à renforcer ses relations avec les pays africains sur le plan bilatéral en se gardant d’adopter une position hostile à l’égard des dossiers qui revêtaient une importance stratégique pour eux. Il aura eu raison sur toute la ligne en adoptant une politique africaine vigilante et réaliste.

Comment le Maroc a reconquis sa place au sein de l’Union africaine

Et c’est cette logique qui a permis au Maroc, dans une troisième étape, de regagner sa place au sein de l’Union africaine en 2017, en dépit des complots ourdis par ses adversaires. L’apprentissage par le choc se résumait en deux séquences. La première était le constat que la chaise vide n’était pas payante à long terme. La deuxième séquence était que le regain de position était un élément déterminant dans le processus de mise en accusation de la vraie partie dans le conflit régional autour du Sahara. Cela, avec, comme quintessence, la désorientation de ses détracteurs au sein des Nations unies qui cherchaient à le pénaliser et lui faire porter le chapeau de l’échec des efforts présumés de résolution du conflit. La reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis est l’aboutissement logique des différents processus en relation avec la cause nationale. C’est un choc d’une telle magnitude qu’il continue de faire couler beaucoup d’encre. Certains sombrent dans le scepticisme, l’incrédulité sinon le pessimisme les plus étonnants.

Et d’autres ont saisi l’opportunité du bras de fer entre le Maroc et l’Espagne pour broder sur des conclusions fantaisistes, en épousant la thèse espagnole selon laquelle il n’y aurait pas eu de crise entre les deux pays s’il n’y avait pas eu cette reconnaissance. Ceux qui croient que la décision américaine a été un geste personnel de l’ancien président Donald Trump, ne connaissent que dalle au système décisionnel américain.

En effet, quand les Américains perçoivent leurs intérêts en fonction d’une nouvelle équation stratégique dans une région donnée, ils n’hésitent pas à aller au charbon. Ils l’ont prouvé dans le cas de la Chine en 1972 déjà cité plus haut. Ils l’ont démontré sur deux dossiers particulièrement sensibles liés à la technologie nucléaire à des fins militaires en prenant langue avec la Corée du Nord (1989-1994 et 2018-2019) et avec l’Iran (2012-2015).

L’approche américaine du Maroc ne déroge pas à cette perception tant il est vrai que ce dernier a, depuis trois décennies au moins, gagné son droit au chapitre dans les équations géostratégiques régionales. Et il a réussi une percée notoire en Afrique grâce à une nouvelle vision de coopération Sud-Sud rénovée se ressourçant dans le codéveloppement rationnel et prometteur. La porte de l’Afrique commence au Maroc.

Or, la nouvelle position américaine a eu le mérite de jeter les dés et permettre aux attentistes et aux bénéficiaires du statu quo de sortir de leur double jeu et se mettre à table. Les Européens ont été surpris de voir le Maroc chercher à se libérer de leur ‘paternalisme hypothétique’ dépassé –et mieux est, offrir une opportunité aux Américains de reprendre du poil de la bête pour venir les narguer dans leurs supposés jardins d’influence (hégémonique) en Afrique.

L’esprit de la flagrante méthode Baker

La nouvelle donne a été de voir les Etats-Unis trancher sur leur préférence quant à la résolution du différend régional autour du Sahara. Pas question de créer une entité fantoche qui viendrait faire le lit des ‘Etats défaillants’, des ‘Etats fantômes’ ou ‘Etats autant en vaut le grain de sable’. C’était en fait là l’esprit du Plan Baker II au bout d’une période de transition poudre aux yeux.  Et c’est dans la même perception que l’on peut caser sa prise de décision au même titre que celles de John Bolton, de Christopher Ross et de certains lobbyistes à Washington DC., travaillant pour le compte de ses adversaires.

Et même si les détracteurs du Maroc revendiquaient la mise en œuvre d’une politique équilibrée entre les deux acteurs majeurs en Afrique du Nord pour sauvegarder la stabilité régionale, que pourrait offrir l’Algérie toujours incapable de sortir du tunnel en termes de transition politique et de développement économique sans les hydrocarbures ? Ceci sans parler de l’implication de certains cercles du pouvoir dans les différentes zones d’ombre liées au séparatisme, au terrorisme et aux réseaux du crime organisé non seulement en direction du Maroc, mais aussi dans la bande sahélo-saharienne?

L’histoire est bavarde même si -par inadvertance ou à dessein- on veut la faire taire. L’apprentissage par le choc est une expérience que le Maroc a vécue durant le règne du sultan sa’dien Ahmed Al-Mansour Eddahbi (Sa’di Abderrahmane, Tr, 1964). Au moment où les Ottomans installés en Algérie voulaient s’emparer du Soudan et couper le Maroc de l’Afrique subsaharienne, le sultan consulta son entourage et différents intervenants dont des oulémas.

Dans un premier temps, il se rangea à l’opinion de ceux qui lui avaient déconseillé d’intervenir. Puis, devant la multiplication des provocations ottomanes, il autorisa la conquête du Soudan (Abû Abbâs Ahmed Nâciri). Le sultan ottoman fut offusqué que le sultan Al-Mansour tardât à lui répondre après avoir envoyé une délégation et des cadeaux dont une épée unique en son genre pour le féliciter de la victoire sa’dienne à l’issue de la bataille des trois rois (Mohammed Saghir Al-Ifrâni, Ed. Houdas, 1888).

L’intervention marocaine est d’ailleurs qualifiée par des historiens et spécialistes des affaires africaines comme ayant été ‘un fait isolé’ dans les relations entre le Maroc et ses racines africaines (A. Michel, 1979).

C’est le cas ici d’épiloguer sur les opinions de certains analystes qui sont d’avis que la gestion à la fois de la reconnaissance américaine de la marocanité des provinces du sud et des relations avec l’Espagne et l’Allemagne aurait mieux gagné en privilégiant la diplomatie secrète ou la fermeté derrière des murs hermétiques au lieu de se laisser entraîner dans la surenchère médiatique ? Ils avancent pour cela un argument classique, l’existence d’accords de dialogues politiques et stratégiques ou de canaux spéciaux de résolution des confits en suspens. Argument qui aurait pu être valable s’il n’y avait pas eu ‘Le fait américain’ ; une sorte de printemps précoce auquel les météorologues de l’obstruction ne s’attendaient guère.

Là aussi, l’apprentissage par le choc a eu son effet salvateur pour le Maroc et de regret-déni pour ses adversaires. Justement parce que les partenaires ne pensent que dalle de ces formes de dialogues (et de partenariats somme toute asymétriques), qu’ils cogitent des scénarios susceptibles de porter atteinte à la stabilité du pays par son morcellement à long terme, en espérant, ruminent-ils, que les ingrédients du dialogue -quels que puissent être l’endroit et le format- ne seront plus aussi déterminants dans l’orientation consensuelle de la boussole.

L’hypocrisie flagrante de l’Union européenne

Maintenant sur la question de l’assaut de Sebta qui a motivé l’adoption par le Parlement européen d’une résolution-recommandation regrettant que le Maroc « ait délibérément » utilisé des enfants mineurs non accompagnés pour exercer ‘une sorte de chantage à l’Espagne et à l’Europe’, outre le fait que l’institution européenne se mêle d’un conflit bilatéral causé par une action délibérée de la part de Madrid de nuire à l’intégrité territoriale du Maroc, il y a une hypocrisie flagrante, d’ailleurs dénoncée par Rabat le lendemain de l’adoption de la résolution.

Rabat explique que la question des enfants mineurs est gérée par les Nations-Unies et que les organes spécialisés de celles-ci se félicitent de la coopération exemplaire du Maroc en la matière dont atteste sa décision de rapatrier les enfants mineurs en Europ non accompagnés bien avant le déclenchement des manœuvres par les députés espagnols. De même que le Parlement européen a outrepassé ses compétences et a cherché par ricochet à imposer le fait accompli colonial à Sebta, Melillia et les îles qui en dépendent.

A ceux qui disent que la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces du sud par les Etats-Unis ne résout pas le différend régional, il faudra observer qu’ils font fi de l’effet surprise et de l’apprentissage par le choc. Ils omettent aussi de rappeler que le décret présidentiel américain publié dans le Registre Fédéral et communiqué par note diplomatie aux Nations-Unies et la déclaration tripartite de reconnaissance précisent que la recherche de la solution doit se faire impérativement dans le cadre du plan d’autonomie sous souveraineté marocaine. Il s’agit d’un pas crucial qui met fin au statu quo dangereux pour la stabilité régionale et internationale.

La reconnaissance ne fait que constater et entériner un fait important, celui de la réintégration des provinces du sud récupérées en 1975 dans la même logique que celle de Tarfaya (1958) et de Sidi Ifni (1969). Si bien que la déclaration récente de la cheffe de la diplomatie espagnole selon laquelle l’Espagne serait ouverte à discuter avec le Maroc sur le Sahara laisse croire deux choses : i) soit elle brasse du vent ; ii) soit elle n’assimile pas bien l’évolution du dossier depuis 2007 faisant que point de solution réaliste en dehors d’une large autonomie dans le cadre de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Maroc. Elle serait avise par ailleurs à clarifier le fond de sa pensée en commençant par donner des réponses convaincantes sur l’origine de la crise entre les deux pays et les risques de son prolongement à l’infini. Il en va de même pour Sebta et Melillia. Il était temps de signifier à l’Espagne (et à la communauté internationale) que la revendication de la restitution des deux villes et des îles y adjacentes est toujours motivée par la même logique que celle des provinces du Sud. Il est certain que les décideurs marocains mesurent parfaitement les difficultés d’opérer sur deux fronts avec une Espagne qui ne s’est pas encore remise de son choc d’avoir été obligée de quitter le Sahara en 1975.

Laissez-faire, tournez la page

L’offre de trouver une solution concertée est toujours sur la table. Mais il est certain que le cas des deux villes ne peut être assimilé ni à ceux de Hong Kong et de Macao, ni à certaines îles de l’Océan atlantique, de l’Océan indien ou de l’Océan Pacifique sans parler de litiges opposant des pays européens et autres sur la souveraineté d’îles ou d’enclaves particulièrement vitales sur le plan géostratégique. Le leasing des îles et des parcelles de territoires n’est plus une option, n’en déplaise aux partisans de « Laissez-faire, tournez la page ! » De même que le parallélisme entre Sebta et Melillia et Gibraltar ne devrait pas être occulter le fait qu’il s’agit de deux cas différents.

 Le Maroc ne peut se permettre de laisser le temps au temps du moment que l’apprentissage par le choc provoqué par les Etats-Unis a fait sortir ses partenaires (dits stratégiques) de leur duplicité et langue de bois. Son choc à lui est de se rendre compte -et sans équivoque- que de partenaires, il n’y a que du vent du moment qu’ils ont manqué le rendez-vous vital qui le confirme dans ses droits.

Le Maroc opte pour une diplomatie calme. L’originalité de cette diplomatie est la maestria dans les coulisses (plus productive et plus sage) et la retenue quand les enjeux deviennent politiciens chez ses partenaires. Il l’a fait dans le traitement de nombreux dossiers, notamment au Moyen Orient, en Afrique et dans le monde arabe. Et c’est la même approche qui est privilégiée dans ses relations avec l’Europe. Mais il fallait interpeller ses partenaires sur leur position réelle quant à la question de son intégrité territoriale.

Le Maroc ne se prend pas pour une puissance régionale comme le laissent entendre certains analystes. Il se prend pour un pays qui a une longue tradition étatique et qui est arrivé à la conclusion que le temps des tergiversations, du double jeu, de la mauvaise foi est révolu. Ce faisant, il continue de jouer son rôle d’acteur de paix et de réalisateur de deals salvateurs. La Libye, le Mali, le conflit palestino-israélien, entre autres, en offrent l’illustration la plus parfaite. Apprentissage par le choc chez ses détracteurs ? Pas exactement ! Choc tout court.

Quel sera l’avenir des relations entre le Maroc et l’Europe ? Le Maroc fait la différence entre l’Union européenne et les pays qui la composent. Globalement, les relations sont prometteuses. Certains spécialistes sont d’avis que la politique étrangère européenne commune est le résultat de compromis difficiles et que chaque pays membre adopte en fait la politique qui tient compte de ses intérêts vitaux.  Le recours par l’Espagne au Parlement européen dans son conflit avec le Maroc le prouve de manière éloquente. Et malgré le soutien de façade, il est reconnu dans les coulisses que la démarche espagnole a indisposé tout le monde ; car conscient de la dimension foncièrement bilatérale du bras de fer entre le Maroc et l’Espagne.

Alors quel avenir ? Lao-Tseu, fondateur du Taoïsme dit : ‘Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas.’. Et le Maroc sait pertinemment que certains parmi ses partenaires sont à bout de nerfs, comme en témoignent la rencontre récente entre responsables espagnols et allemands à Berlin, ou la tentative du Chef de gouvernement espagnol de faire pression sur le Président américain en marge du sommet de l’Otan à Genève, il y a quelques jours.

Le Chef du gouvernement espagnol aura fait l’expérience de l’apprentissage par le choc qui rappelle celui de l’un de ses prédécesseurs en pleine crise sur l’île Leila en 2002. Ce dernier avait tenté d’entrainer l’Otan (et les Etats-Unis) dans le conflit sur la base de l’article 5 de la charte de l’Organisation. Il a fini par déchanter. Cependant le Maroc sait aussi que la diplomatie finira par calmer le jeu et relancer les relations avec les Européens sur une nouvelle base : celle d’acteurs partenaires et non pas d’acteurs en situation de dépendance unilatérale qui doit, du reste, rejoindre le musée de l’histoire. Il faudra toutefois que les Européens intègrent les dimensions histoire et civilisation dans leur perception du Maroc, car elles constituent le socle de la personnalité marocaine. C’est d’ailleurs la même erreur de perception qu’ils commettent à l’égard de la Chine, de la Russie ou de la Turquie pour ne citer que ces pays. Tant qu’ils ne comprendront pas que civilisation, histoire et culture vont de concert, ils continueront à patauger et à faire fausse route quant à l’intelligibilité du concept de « Partenariat ».

Du reste, en faisant de l’esprit, on pourra dire que l’apres-Covid-19 sera une période ou toutes les pistes seront ouvertes, et tout le monde sera en droit de revendiquer le droit de participer à la course dans laquelle les lièvres et les coureurs de fond se mettent ensemble pour battre les records et non pas poser un lapin les uns aux autres. Naturellement, à condition d’être bien préparé. Et le Maroc semble bien préparé. Un autre apprentissage par le choc est dans l’air du temps… Et il s’y adaptera et en sortira plus fort, plus tranquille que jamais.

Références

– Abitbol Michel : ‘Tombouctou et les Arma’, G.P Maison-Neuve et Larose, Paris, 1979.

– Abû Abbâs Ahmed Nâciri : ‘Kitâb al-Istikaa’, Vol, IV, rev. , par Ja’far & Mohamed  Nâciri.

– Al-Ifrâni Mohammed Sağir : ‘ Nuzhat Al-hâdi fi Aǩbâri Mǔlǔk Al-qarn Al-hâdi’, éd. Houdas, Paris,  1888).

– Festinger Leon:  ‘A Theory of Cognitive Dissonance’, Stanford University, Stanford

California, 1957.

– Gorbatchev Mikhaïl : ‘Mémoires’, Editions des Rochers, 1997.

– Sa’di Abderahmân : ‘Târiǩ as-Sudân’, éd. Houdas, Paris, 1964.

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