Le gouvernement Benkirane entre promesses et réalisations

DOSSIER DU MOIS

« La méthode Benkirane dans la gouvernance »

Mustapha Tossa

Journaliste politologue

 

Lorsque le premier ministre marocain Abdelilah Benkirane rencontrait des personnalités étrangères, notamment européennes, il avait ce tic involontaire, devenu presque une marque de fabrique, de les snober avec un enviable taux de croissance de l’économie marocaine et une solide popularité à toute épreuve de son image et de sa gouvernance. L’interlocuteur étranger repartait chez lui avec cette lancinante interrogation : « Quelle était la part de responsabilité de cet islamiste modéré, à la barbe bien taillée et aux yeux qui souriaient en permanence dans ce bilan qui fait du Maroc une oasis d’espérance dans un océan d’amertumes et de frustrations? »

C’est que l’heure des bilans a sonné pour la gouvernance Benkirane. L’homme avait séduit les marocains par l’introduction, dans leur vie politique, d’un nouveau langage, eux qui étaient habitués, depuis des décennies, à un discours gouvernemental constipé par la gravité de la fonction et les pesanteurs des responsabilités. Même la parenthèse dite d’Alternance du socialiste Abderahman Youssoufi, qui aurait dû innover en la matière, est restée, désespérément, classique. Abdelilah Benkirane, lui, par nature plus que par choix tactique, a fait « exploser » le verbe gouvernemental. Démagogique et populiste pour les uns, bonimenteur et expert en enfumage pour les autres, il donnait, à chaque fois, l’impression de parler de choses graves avec une légèreté et une décontraction dont on ne sait si elle est maîtrisée à but vulgarisateur ou si elle reflète une impuissante nonchalance.

Cet exercice n’était pas sans risques. L’art de l’improvisation conjugué à l’effet multiplicateur des réseaux sociaux peut aisément vous tisser une réputation et installer une image. Pas encore assez étudiée, la comparaison est souvent inconsciemment  faite avec le destin d’un autre premier ministre, celui du voisin algérien, l’inénarrable  Abdelmalek Sellal, devenu par la Force des choses, un producteur d’un éclat de rire permanent sur la toile . Au comique involontaire de ce dernier qui fait les riches heures des réseaux sociaux, Abdelilah Benkirane oppose une posture grivoise à la malice permanente et calculée.  Les bourdes et les effets de manches donnent parfois cette étrange impression d’être travaillés. D’ailleurs, elles ne sont réellement réussies que lorsqu’elles échappent à cet effort de mise en scène. Il a souvent été écrit que Benkirane a dynamité  l’art de la communication politique. Il cause dans le poste comme on tchatche sur les terrasses d’un café.

Sans avoir révolutionné le mode de vie des marocains, la séquence Benkirane a aidé le Maroc à traverser le tourbillon politique qui soufflait sur la région, cinq années auparavant. Faut-il rappeler qu’à cette époque, le mot d’ordre décrété par les grandes capitales de la décision politique a été d’ouvrir les portes du pouvoir dans cet espace arabe en ébullition à l’Islam Politique ? Dans cet esprit, l’utilisation du segment Benkirane et la posture islamiste modérée qu’il incarnait permettait d’arrondir les angles aigus, d’éviter les ruptures et d’éteindre ainsi les possibles incendies. Dans un premier temps, il n’était pas demandé à Abdelilah Benkirane de réaliser de grandes performances économiques ni d’opérer des réformes structurelles mais de remplir une fonction politique. La paix sociale étant au sommet de ces  priorités. Sur ce front, la situation est beaucoup plus calme que ne le laissaient prévoir les ingrédients d’un contexte social prompt à l’effervescence. Benkirane était  aidé, il est vrai, par une conjoncture économique favorable au Maroc, caractérisée par une baisse notoire de la facture énergétique et par une affluence record des investissements étrangers  vers le Maroc.

Dans le périmètre qui était le sien, Abdelilah Benkirane s’est distingué par une approche clanique dans ses relations compatibles avec la logique PJD, par nature hermétiquement fermé et exclusif  à ceux qui ont fait allégeance au parti. Il est vrai qu’il affrontait des logiques partisanes tout aussi fermées que celle d’un Chabat à la tête de l’Istiqlal, d’un Lashgar aux commandes de l’Usfp, ou d’un Omari, manitou du PAM. Le fait que quatre années à la Primature n’ont pas permis à Benkirane de se hisser au dessus de la basse cour, ont obéré ses chances d’acquérir le statut d’homme d’Etat que pourtant un contexte d’une extrême turbulence était capable de lui offrir.  Dans ses démarches et dans son approche, Benkirane est resté, en permanence, ce coq en chef tout aussi capable de donner des coups de bec que de recevoir des coups de griffes.

Durant tout son mandat, Abdelilah Benkirane est, rarement,  sorti de sa posture d’homme en campagne, donnant souvent dans la séduction et parfois dans la justification quand il n’est pas sur la défensive. Ses années de premier ministre,  il les a presque passées à justifier pourquoi il était là. A aucun moment, il ne s’est installé dans l’esprit des marocains comme un homme qui gouverne leurs affaires et tient leurs destins en main. Dans les secteurs clefs, lui et ses amis donnaient cette impression d’être plus spectateurs qu’acteurs. Le jeu de la coalition gouvernementale à multiples composantes y était pour beaucoup. Mais la personnalité de Benkirane, devenu chef du gouvernement, abhorrant la confrontation et le conflit, n’y était pas étrangère non plus. Conséquences immédiates, les bourdes les plus graves de ses ministres demeurent sans sanctions, participant à cet énorme voile de discrédit qui se jette sur la politique au Maroc. Cette situation doublée d’une inévitable rupture de charme devrait militer pour que Benkirane cède son fauteuil et son magistère à une autre manière d’appréhender la politique et d’approcher la chose publique. Pour beaucoup d’observateurs, Benkirane a fait son temps et rempli sa mission. Rempiler serait vraiment tirer le diable par la queue.

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