Le Maroc de demain se construit dès aujourd’hui : un plan de vol pour les vingt prochaines années ?

Par Sébastien Boussois
Chercheur en sciences politiques associé à l’ULB
Auteur de « Portraits marocains, vingt ans de règne de Mohamed VI », éditions du Cygne, Paris, 2019

C’est en grandes pompes que le Maroc célèbre ce 30 juillet 2019, les vingt ans de l’accession au trône de Mohamed VI. C’est un anniversaire historique à plus d’un titre mais c’est aussi déjà une forme de témoignage pour l’histoire. Car ce pays est plus que jamais à un carrefour de son histoire contemporaine. Tout d’abord, parce que Mohamed VI lui-même en arrivant était à un carrefour de l’histoire du pays en 1999. Longtemps dans l’ombre de son père, il s’est construit une image à la fois respectée, sérieuse, et velléitaire sur le plan national comme international. Il n’est pas un roi comme les autres. Nourri au biberon de la tradition du royaume chérifien et de l’Europe où il se rend très souvent, il est à la croisée des routes orientales et occidentales. Entre son grand-père, Mohamed V, qui avait assuré les débuts de l’ère de l’indépendance après le départ des Françai, et son père Hassan II qui hissa le Maroc parmi les régimes les plus stricts et autoritaires de la région tout en en maintenant la stabilité et le développement, Mohamed VI devait trouver sa place et laisser son empreinte sur le Maroc du XXIe siècle, entre vision déterminée de progrès et libéralisation maîtrisée. Et il commença par expurger le passé et tenter par l’Instance Vérité et Réconciliation de réunifier la nation pour construire l’avenir. La pierre fondatrice de son règne était posée.

En effet, le Maroc est à un carrefour à ne pas rater donc pour au moins quatre raisons. Premièrement, le pays a peu été ébranlé par la vague de contestations populaires traditionnellement appelées « Printemps arabes » malgré le mouvement du 20 février en 2011, et celui du Hirak dans le Rif plus récemment. Deuxièmement, car peu de Marocains auraient souhaité le départ du Roi, mais surveillent et observent la montée en puissance du Prince héritier Hassan avec intérêt et confiance. Bien sûr, cela interrogerait parfois sur la manière dont le Roi actuel compte poursuivre son règne dans les années à venir mais l’on sent aussi une puissante volonté de transmission et de préparation du Père au Fils. Troisièmement, car les élections communales-régionales-législatives de 2021 approchent et force est de constater que le parti islamiste PJD (Parti Justice et Développement) qui gouverne depuis 2012 se retrouve aujourd’hui bien isolé sur la scène nationale mais surtout internationale, après la quasi disparition des gouvernances de partis fréristes dans le monde arabo-musulman et le retour de l’autoritarisme régional conduit surtout par des militaires. C’est peut-être donc l’occasion d’un retour des partis plus traditionnels et ouverts sur le monde en tout cas pour le prochain scrutin. Quatrièmement, si la colère ne cesse de monter, en même temps que la crise économique et sociale, les disparités régionales, le chômage des jeunes, la pauvreté, le niveau d’éducation qui peine à progresser, l’analphabétisme que l’on ne semble pas vouloir endiguer tout comme la corruption sont encore des réalités contre lesquelles il faut lutter. Beaucoup a été fait mais ce sont donc à de vrais défis stratégiques et cruciaux de société que sera confronté le Maroc dans les deux décennies à venir. Et c’est maintenant que tout se joue.

On ne peut le nier : depuis 1999, le Maroc a beaucoup évolué politiquement et socialement, et ce, bien avant les révoltes arabes qui ont eu lieu à partir de 2011. Ancrés dans l’histoire et tournés vers le futur, Les Marocains demeurent plus que tout attachés à leur monarchie mais aspirent aussi à un changement en profondeur et en douceur. Arrivé au pouvoir après la mort de son père Hassan II, Mohammed VI, le nouveau monarque un temps appelé « roi des pauvres », l’a entendu rapidement, et a entamé une série de grands chantiers d’infrastructures et de création de filières industrielles, ainsi qu’une politique moderne de production d’énergie verte dès son accession au trône. Il est le seul dans la région à avoir eu cette vision de grand « Plan Vert » préfigurant l’accueil de la Cop 22 des années plus tard. De toute évidence, ce roi a transformé l’image du pays, par sa jeunesse, sa vision du monde et de la géopolitique, son tempérament de modéré et de médiateur, son intérêt pour les affaires et la logique économique qui ont relancé le pays, sa politique économique de redéploiement pro-africaine et subsaharienne, la réforme de la constitution qui a permis une plus grande ouverture de la société, la réforme du code de la famille et la nouvelle place de la femme dans la société, la reconnaissance nationale de la langue et culture amazigh, sa politique en matière de lutte anti-terroriste qui en a fait le bon élève régional idéal pour les USA et pour l’Europe (après les attentats en Europe mais aussi à l’Argana à Marrakech en 2011). La lutte contre la radicalisation a porté ses fruits et un institut de formation des imams avec la Rabita des oulémas accueille les futurs imams d’Europe.

Mohammed VI a fait du pays un partenaire privilégié et de l’Europe et des USA dans cette lutte contre la menace sécuritaire. Il a lancé une politique de grands chantiers, depuis le port de Tanger Med, la ligne TGV de Tanger à Casa, jusqu’au refinancement de la région du Rif et le réinvestissement de l’État dans une région souvent abandonnée par son père, mais aussi le maintien de l’autorité de Rabat sur le Sahara malgré les contestations diverses, front Polisario en tête. Maintenant, il faut continuer à préparer l’avenir et poursuivre les efforts pour pallier la pauvreté croissante des Marocains, lutter contre le chômage endémique des jeunes, l’explosion du nombre de candidats au départ qui rêvent encore d’Europe ou d’Amérique, poursuivre le désenclavement de régions entières qui sont une richesse pour le pays, améliorer la capacité de l’Etat à enrayer la corruption à commencer à l’échelon local, la défaillance du système de santé et l’impossibilité pour des millions de Marocains de se soigner correctement. La mise en place d’une couverture mutuelle universelle et l’équivalent du RSA comme en France sont un bon début.

Si régulièrement des mouvements de protestation ont lieu de la capitale Rabat au Rif, ils témoignent aussi surtout d’une volonté du peuple de se développer, de profiter des fruits de la modernisation et d’une meilleure redistribution des nombreuses richesses du pays. La société civile marocaine est suffisamment importante et responsable pour accompagner cette transition en douceur et construire le futur du pays. Si l’économie est relancée, le reste doit suivre. Casablanca est devenu une capitale africaine de premier plan et une ville-monde, puissance économique majeure et hub tournés vers l’Afrique tout entière, notamment grâce au travail de Mohamed VI pour réinscrire le pays dans son « africanité » élémentaire. Tout le Maroc doit pouvoir profiter de ses richesses et d’une meilleure répartition de celles-ci sur l’ensemble de son espace. Car c’est cette diversité et cette pluralité d’individus et de visages qui font aussi toute la richesse du Maroc et qui le rendent si attachant. Tous les paysages de la planète semblent y avoir été concentrés. Pays de lumières et de contrastes, et de nature ! Et quelle nature ! le Maroc est aussi devenu le pays de la COP 22 en 2016, propulsant le pays sur la scène internationale dans une logique de développement durable unique dans le monde arabe. Et depuis, le Maroc est aussi devenu le spécialiste mondial de l’énergie photovoltaïque, avec l’inauguration en 2016 de la plus grande centrale solaire de la planète.

Le Maroc, doit enfin tenir son rang régional et poursuivre sa normalisation avec certains de ses voisins tout en maintenant ses relations de voisinage avec l’Europe. C’est le moment idéal. Car alors que l’Algérie est en pleine transition pour reprendre son destin en main, mais également sa place sur le continent et dans le monde, c’est le Maroc qui avait profité du vide de son voisin rival. Ce n’est jamais bon de ne pas avoir une relation win-win avec le premier de ses voisins. En réalité, fait historique qui pourrait survenir et dynamiser tout la région : une solution à la question du Sahara mais également la réouverture de la frontière entre les deux pays qui restent un traumatisme pour des millions de Marocains et d’Algériens qui vivent non seulement divisés depuis des décennies sur le terrain mais également au sein même de leurs familles.  Les défis sont immenses pour les deux prochaines décennies de la Monarchie chérifienne : il faut donc poursuivre le progrès social et la stabilité dans le même temps pour que le Maroc demeure ce pivot triplement stratégique et pour le Maghreb, l’Afrique et l’Europe.

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