Le Maroc entre désenchantement et sursaut

Une décision d’acquittement prononcée par le tribunal d’Inezgane, en faveur des deux jeunes filles accusées de transgression, un revirement plus que renversant du ministre de la Justice et des libertés, une procédure judiciaire bien en règle contre deux des lyncheurs du jeune gay à Fès, marquée au sceau de la fermeté, et puis dans la foulée ce flot inattendu de déclarations de hauts responsables – y compris du chef de gouvernement – pour dénoncer les dérives contre les libertés et les dépassements de certains groupes qui ont simplement oublié que le Maroc, terre d’accueil et de tolérance, ne peut se renier ou perdre son identité, encore moins se soumettre à leurs fantasmes…

Nous avons vécu quelques semaines agitées, où les esprits se sont chauffés, les haines déchaînées. Une violence protéiforme a pris le dessus sur la simple et basique décence, le désarroi sur la sérénité, l’inquiétude enfin sur cette proverbiale et fragile assurance dont, à tort ou à raison, nous nous sommes fait les spécialistes et défenseurs acharnés. Confirmant à rebours le paradoxe qui est le propre de notre culture sociale, le mois de Ramadan qui eût pu, en principe, nous réconcilier avec nous-mêmes, a plutôt provoqué de graves ruptures, une prise de conscience aigüe que nous ne sommes pas, nous ne serons jamais cette exception que d’aucuns, sacrifiant à la béatitude, entendent nous livrer sous forme d’une image lisse, si fausse qu’elle nous fourvoie.

Nous ne cédons pas, ici, à un pessimisme de mauvais aloi ! Tant s’en faut ; pas plus que nous nous réjouissons de ce que nous voyons et qui caractérise ce qu’on appelle un « changement tellurique » du Maroc, à tout le moins dans ses aspects urbains et extérieurs. Et que, avouons-le, nous sommes incapables de bien maîtriser. C’est peu dire en effet que le changement se produit de nos jours plus dans la rue et les réseaux sociaux que dans les sphères du pouvoir. On ne cessera jamais de souligner à notre corps défendant que la théorie quelque peu hasardeuse selon laquelle la « rue opère le changement et impose la règle de vivre », semble de nos jours se vérifier. Dans le cas du Maroc, il y a bien longtemps que ce postulat s’est enraciné dans les esprits, notamment chez celles et ceux qui se font une vocation de déchiffrer et de lire entre les lignes cette étrange évolution sociale apparentée, dans ses convulsions et ses soubresauts furtifs, à une poupée gigogne…aussi mystérieuse qu’imprévisible.

Un bel esprit s’est hasardé à affirmer il y a quelques jours sur Facebook qu’un « Mai 68 » marocain se préparait. Il ne croyait pas si bien dire ! Parce que c’est littéralement faux, le contexte marocain, notamment politique, n’ayant aucune ressemblance avec la France de mai-juin 1968 ! C’est se méprendre sur nos propres chocs et nos traumatismes , autrement plus insaisissables parce que spontanés et n’obéissant à aucune logique révolutionnaire, que de croire et de faire croire – dans un style de cancans – que le Maroc se soulèvera dans un mouvement massif à l’instar de celui qui mit le pouvoir du général de Gaulle à genoux pendant quelques longues semaines !

L’exception marocaine, c’est qu’il n’y a pas d’exception justement. Mais, il n’y a pas non plus le « feu dans la baraque », ni même une virtuelle contestation du système ou de l’ordre en vigueur. Si loin que l’on puisse se positionner et regarder, la seule revendication tangible qui a eu le mérite de susciter un tant soit peu d’interrogation, avant que certains ne transforme celle-ci en inquiétude, c’est le Mouvement du 20 février, spontané dans sa forme et déchiré dans son fond ! Quelques formations politiques, notamment al-adl wa il-Ihssane et même le PJD se sont bousculés à son portillon pour le récupérer, et de fait ils l’ont éventé et subverti…La reforme constitutionnelle majeure, contenu dans le discours royal du 11 mars 2011, est venue le vider de sa substance politique…

Cette furie sociétale à laquelle nous assistons, loin de constituer un épiphénomène, une irruption marginale, est « a contrario » le signe d’une intangible revendication , une exigence même sur laquelle tous les acteurs s’accordent, quels que soient leurs bords et tendances : celle de la liberté qui ne se négocie pas, mais s’exprime avec exaltation.

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