Le Maroc face à la nouvelle Amérique

Par Hassan Alaoui

Lorsqu’en 1787-1788, parmi les tout premiers États existants, le Royaume du Maroc reconnut la jeune République d’Amérique, il ne croyait pas si bien faire ! Le Roi (Sultan) Mohammed Benabdallah avait procédé avec Georges Washington à un important échange de correspondances diplomatiques qui avaient valeur de symbole à l’époque : la prénégociation pour l’établissement de relations bilatérales privilégiées.

La République américaine était composée de 13 colonies comme on dit, polies, pétries au fur et à mesure qu’elle prenait corps et se transformait en Fédération de cinquante États. Le premier président des États-Unis avait sollicité officiellement le Sultan du Maroc, lui demandant d’intervenir afin que les bateaux américains de commerce eussent l’accès libre à la mer méditerranéenne et échapper aux agressions de pirates et corsaires et autres puissances étrangères voisines, ratissant la zone et s’en prenant particulièrement aux bâtiments américains.

Le Sultan accéda dare-dare à l’appel de détresse lancé par le président américain qui s’empressa naturellement de le remercier. Ainsi furent libérées les flottes américaines, tandis qu’une relation exceptionnelle s’instaurait entre les deux dirigeants marocain et américain. Un échange « d’ambassadeurs » fortifiera cette relation transversale qui franchira l’océan atlantique et lui conférera la réelle mesure d’une vision partagée. Depuis lors, les relations maroco-américaines ne se sont jamais départies d’un principe cardinal : la solidarité ! À telle enseigne que pendant le XXe siècle, marqué par deux guerres mondiales, le Maroc était considéré par les responsables américains comme un Allié, mieux : l’Allié des Alliés. Les soldats marocains étaient engagés par milliers dans la guerre contre les nazis aux côtés des soldats américains pour la libération de l’Europe, sous le commandement du général Eisenhower.

Il convient de rappeler qu’en 1944, en plein conflit mondial, les Alliés s’étaient retrouvés à Anfa (Casablanca) lors de la fameuse conférence de concertation qui avait réuni le président Roosevelt, le Premier ministre britannique Winston Churchill et le général de Gaulle. L’objectif était de conjuguer leurs efforts pour faire face à Hitler. À cette conférence historique sur le sol marocain, participèrent notamment le Roi Mohammed V et le Prince Héritier Moulay Hassan. La présence du Souverain marocain aux côtés des trois Grands était non seulement significative, mais porteuse d’ores et déjà d’une illustration qui constituera le socle de la relation privilégiée entre le Maroc et l’Amérique. En 1959, le président républicain des États-Unis, Dwight Eseinhower, leader décoré de la Deuxième Guerre mondiale, s’était rendu au Maroc en visite officielle sur invitation du Roi Mohammed V, confortant ainsi une relation exemplaire déjà. Il avait applaudi des deux mains les efforts de notre pays, engagés par le Roi, pour asseoir une démocratie solide et engager de sérieuses réformes de développement de l’économie et de promotion des libertés. Cette visite avait jeté les bases d’une nouvelle relation, marquée du sceau d’une continuité des siècles précédents.

Non seulement le Maroc sera l’Allié de toujours, mais l’acteur indéniable de la conceptuelle géopolitique en gestation. Celle de l’atlantisme qui se muera peu ou prou en doctrine occidentale. L’originalité dans cette alliance est que la relation entre le Maroc et l’Amérique n’est jamais une contrainte, autrement dit à sens unique, notre pays s’accommodant aisément et avec intuition aux paramètres de la politique et aux majorités américaines, fussent-elles démocrates ou républicaines. Le Roi Hassan II était reçu, en 1963, à la Maison-Blanche, par John Kennedy avec un faste qui lui seyait, comme aussi par certains de ses successeurs. Sous Lyndon Johnson, Richard Nixon, Jimmy Carter, la ligne de conduite ne changera point, l’enjeu étant le même : la défense du libéralisme face à la montée en puissance de l’Union soviétique. Or, inspiré et guidé par le non-alignement souscrit par Hassan II, lors de la conférence de Belgrade en 1962, le Maroc préservait farouchement son indépendance. Il sut se frayer son chemin « royal » entre les deux puissances, l’Amérique et l’Union soviétique, engagées dans une rivalité sans répit.

Avec l’arrivée, à la Maison-Blanche, en 1980, de Ronald Reagan, un nouveau pas exemplaire avait été franchi dans la consolidation des relations maroco-américaines, concrétisée par le voyage historique de feu Hassan II aux États-Unis. L’image des deux chefs d’État, prononçant tour à tour leurs allocutions sur la pelouse de la Maison- Blanche ou partageant une promenade à cheval, est demeurée gravée dans les mémoires. Elle illustrait la profondeur d’une amitié enracinée désormais dans le sillage d’une histoire commune. La Maison- Blanche était devenue, comme l’a suggéré un grand diplomate de l’époque à Rabat, « le deuxième gîte » du Maroc. Et de fait, l’arrivée aussi bien de Georges Bush père, républicain, que de Bill Clinton, démocrate, n’y changera rien. Ce dernier avait à coeur de régler le problème de la Palestine et il s’y mit avec résolution, non seulement encore une fois, sans le soutien logistique et diplomatique du Maroc et du Roi Hassan II.

Le Souverain avait reçu à plusieurs reprises de nombreux émissaires et hauts responsables israéliens dont Itshaq Rabin qui, accompagné de Yasser Arafat, fit « le voyage de Rabat » et se rendit aussi à la Maison-Blanche pour parapher l’Accord de paix en 1993. C’est peu dire que la marque marocaine fut incontestablement imprimée à cet accord et au processus de règlement conduit sous l’auspice de Bill Clinton. Au demeurant, la relation entre ce dernier et le Maroc n’avait jamais été autant profonde qu’en ces temps-là, et dans le même sillage, son épouse, Hillary Clinton nouera une amitié particulière au Maroc. Il faut rappeler qu’au lendemain du décès, en juillet 1999, du Roi Hassan II, Bill Clinton fit le voyage à Rabat pour prendre part aux côtés de très nombreux chefs d’État et de gouvernement, aux funérailles du défunt souverain.

Avec Georges Bush junior, comme avec Barack Obama, la relation demeurera normalisée, l’enjeu étant la conscience que le Maroc de Mohammed VI est un allié stratégique, avec cette nuance qu’il raffermit son indépendance et n’obéit pas au pas de clerc. Président du Comité al-Qods, Mohammed VI a ferraillé avec le président sortant, Donald Trump, dénonçant ses décisions unilatérales, notamment l’ouverture d’une ambassade à al-Qods, la suppression du soutien américain aux Palestiniens à travers l’URNWA, et l’appui unilatéral à la politique de colonisation des terres en Cisjordanie lancée par Netanyahou.

On imagine que l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche ne changera point la perception par le Maroc de cette nouvelle Amérique qui émerge sur les ruines d’un « trumpisme » abracadabrant qui sacrifie plus au déclin qu’à la renaissance. Le Maroc n’a jamais fait un choix tranchant visà- vis de l’Amérique dont il partage les valeurs de liberté et de progrès. Il se réjouit sûrement du retour de l’Amérique nouvelle dans le giron mondial, le succès de Biden est celui de la Raison.  

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