Le Moussem de Sidi Ahmed Oulmaghni très folklorisé par le Moussem des fiançailles une œuvre de l’administration

Par Mohammed Drihem

Dimanche 22 septembre dernier ; le rideau est tombé sur le Moussem des fiançailles d’Imilchil coïncidant avec la 16ème édition du Festival des musiques des cimes organisé à Imilchil du 20 au 22 Septembre 2019.

Pour avoir une idée sur le Moussem de Sidi Ahmed Oulmaghni ainsi folklorisé, malheureusement, par ce Moussem des fiançailles d’Imilchil et son sosie qu’est ; le festival de la musique des cimes d’Imilchil ; nous invitons nos fideles lecteurs (trices) à voyager avec nous au cœur du rituel le plus surprenant du mariage de la Tribu d’Ait Hdiddou concernée par ces deux événements et ce ; avec l’écrivain et chercheur Bassou Oujabbor originaire de cette tribu ancestrale qui a bien voulu nous accorder cette interview :

Question : Si on parle un peu de ce patrimoine immatériel représenté par le Moussem de Sidi Ahmed Oulmaghni d’Imilchil connu depuis les années 60-70 par : « Moussem des Fiançailles d’Imilchil » ?

Réponse : Le Moussem de Sidi Ahmed Oulmghenni est effectivement, comme vous le dites, très folklorisé par ces festivals qui sont l’œuvre d’administrateurs marocains pour attirer les touristes depuis le début des années soixante sans le moindre respect pour notre culture. Ils se sont accaparé l’espace du Moussem de Sidi Ahmed Oulmghenni pour y implanter un marché de rêveries et de fantasmes pour touristes. En toute candeur, des familles ont laissé leurs enfants participer à ces « fiançailles » mais à la longue, les caméras ont éloigné les familles qui tenaient à marier leurs enfants dans le respect.

Depuis plusieurs années, pour pallier au nombre décroissant de couples à marier, des administrateurs du même acabit que les premiers ont pris la décision de faire venir des couples des tribus voisines pour les marier lors du Moussem. Les images diffusées par les médias nous ont valu et nous valent encore des moqueries sur tout le territoire marocain sous prétexte que nous vendons nos femmes. Les boutades du genre « Est-ce que 200 dirhams me suffiraient pour venir acheter une femme chez toi ? » fusent.

Devant de telles provocations émanant parfois de personnes apparemment respectables, j’ai dû répondre un jour devant une assemblée que les femmes de chez moi n’épousent que les hommes. Aussitôt, j’ai entendu : « Prétends-tu que je ne suis pas un homme ? »   « Un mâle, tu l’es, ai-je répondu. Mais un homme ne tiendrait jamais les propos que tu m’as tenus. » . A propos d’argent, j’aimerais préciser que la dote nous a été imposée par l’administration marocaine. J’ai toujours entendu que nos femmes se résignent à recevoir une dote symbolique pour l’obtention de l’acte de mariage, mais sitôt sorties, elles remettent l’argent aux maris. Elles se considèrent en général égales aux hommes. J’en veux pour preuve le fait qu’elles ne se rabaissent pas à laver les vêtements de leurs maris. Ces derniers lavent les leurs et ceux de leurs enfants mâles le temps qu’ils apprennent à les laver eux-mêmes. N’y aurait-il pas là matière à réflexion pour certains donneurs de leçons sur l’égalité des sexes qui nous rendent visite périodiquement ?

Question : Pourquoi alors ce festival de la Musique des cimes organisé depuis déjà 16 ans à Imilchil en parallèle avec le Moussem de Sidi Ahmed Oulmaghni ?

Réponse : De peur que le boycotte de cette fête annuelle qui attire les étrangers ne s’amplifient d’avantage, ces forces occultes, comme vous les appelez, ont eu recours à un nouveau stratagème. Elles ont inventé un festival qu’elles ont appelé Festival des Chants des Cimes. On avait simplement changé l’appellation « Festival des Fiançailles » par « Festival des Chants des Cimes » tout en gardant la même volonté mercantile. Les gens, des pacifiques notoires, ont fini par réagir avec des invectives avant de passer la dernière fois à la violence en lançant des projectiles sur les artistes qui montaient sur scène. Ajoutons à cela le fait que nombre de chercheurs occidentaux ont écrit sur Aït Hdiddou sans jamais découvrir la véritable richesse immatérielle de cette tribu foncièrement pacifique, laquelle richesse qui faisait sa cohésion et sa ténacité dans les pires moments ou dans des combats meurtriers. Cette cohésion émane de deux choses qui me paraissent capitales : d’abord, l’indéfectible relation qui existe entre les époux et de l’éducation que les ancêtres avaient tenu à perpétuer en ce sens. Ensuite, l’humour décapant qui désenfle les têtes et nous fait garder les pieds sur terre. Les chercheurs ne s’y sont jamais consacrés jusqu’à présent. La raison en est qu’ils ne se sont jamais intéressé qu’aux hommes et que leurs traducteurs ont souvent été des personnes imbibées d’autres cultures où l’homme est dominateur dans la vie conjugale. De ce fait, on a cru que nous étions des phallocrates parce qu’il existe une image qui frappe toujours les visiteurs :   des femmes dans les champs sans la moindre présence masculine. Mais ; ce que tout le monde ignore c’est que l’homme et son épouse se partagent tous les travaux en se réservant chacun ses tâches selon ses capacités physiques, que ce soit dans les champs ou à la maison. Les hommes labourent, les femmes sarclent ; les femmes fauchent le blé, les hommes le transportent etc. Les femmes choisissent généralement la même date pour chaque activité, question d’avoir de la compagnie, mais sans la présence des hommes et vis-versa.

Si aujourd’hui Facebook a fleuri aux quatre coins du monde favorisant les rencontres en vue de mariage sans l’intervention des parents, la tribu d’Aït Hdiddou le fait à sa manière depuis la nuit des temps ; hommes et femmes non mariés peuvent faire connaissance et discuter en public sur tout le territoire d’Aït Hdiddou et pas seulement à Imilchil. Il est inconcevable qu’une jeune fille se marie avec un homme qui ne lui plait pas. Elle seule peut décider de la date de son mariage et de sa vie de couple. De ce fait, elle n’accepte pas la bigamie. Le divorce est rare. Quand il survient, la divorcée n’est pas une honte pour sa famille car nous savons qu’elle n’a choisi la séparation que pour une incompatibilité de caractère et non pour autre chose, ce qui facilite amplement le remariage.

On me pose souvent des questions sur la différence entre les coiffes qui ornent la tête de nos femmes. Je profite de l’occasion pour expliquer aux lecteurs qui se poseraient la même question : La coiffe de la jeune fille épouse la rondeur de sa tête. La femme mariée et la divorcée portent toutes les deux une coiffe pointue, mais nous savons très bien faire la distinction entre les deux pour éviter tout malentendu. Il y a le voile qui couvre la bouche de la mariée ; il y a aussi une différence dans le maquillage et il y a surtout le regard qui ne trompe pas ; la femme mariée, si elle vous parle, sera laconique. On évitera donc toute conversation avec elle. Les occidentaux regrettent de ne pas comprendre le tamazight pour profiter de notre humour décapant parce qu’ils ont appris que nous pratiquons l’autodérision à outrance et nous flirtons avec l’athéisme. Il suffit de demander aux berbères du Haut Atlas et du Moyen Atlas de vous parler de l’humour des Aït Hdiddou et ils éclateront de rire avant de vous raconter quelques blagues du terroir. Dieu, les anges, les prophètes et le commun des mortels peuvent nous aider à passer d’agréables moments. Nous sommes pourtant extrêmement croyants. J’ai la nette certitude après de nombreuses années de recherches que le monde biblique était beaucoup plus vaste qu’on ne le pense et que l’image de l’Islam véritable ne nous est pas étrangère depuis Abraham. Il y a une vingtaine d’années, j’ai fait un sondage auprès de plusieurs personnes d’âge respectable pour savoir pourquoi nous intégrons la religion dans nos anecdotes. Ils ont tous éclaté de rire avant de me répondre : « Nous ne craignons pas le feu de l’enfer parce que nos parents nous ont bien tracé le chemin de l’honnêteté. Les humains devraient craindre leur conscience avant tout. Enfin, Allah est tellement grand qu’il ne va pas se rabaisser à nous punir pour des blagues. Il devrait plutôt se réjouir de nous voir nous marrer dans un bled où les pâturages sont minuscules et où le gèle nous immobilise pendant des mois pendant que d’autres ne cessent d’amasser et de s’empiffrer nuit et jour en regardant le ciel pour se plaindre qu’ils n’ont pas assez ».

Question : Dans ce même ordre d’idées, voulez vous bien nous parler un peu du Rituel du Mariage chez les Ait Hdiddou et de sa relation étroite ave le Moussem de Sidi Ahmed Oulmaghni?

Réponse : Le mot Moussem a une connotation religieuse. Il concerne une fête religieuse. Quant à Sidi Ahmed Oulmaghni, il a vécu il y a quatre siècles. Comme pour tous les saints dans le monde, les visites répétées à sa tombe ont engendré des rassemblements répétitifs qui ont fini par se fixer après les moissons. C’est le cas de tous les rassemblements autour des tombes des saints du Maroc où ils s’appellent tous Moussem. A Imilchil, ces rassemblements, à l’origine religieux, ont fini par donner naissance à leur tour à un commerce régional qui s’est amplifié pour donner un marché annuel appelé Souk 3am où l’on exposait, plus qu’aujourd’hui, toute sorte de marchandises provenant du Haut Atlas, du Moyen Atlas et du Sahara.

Contrairement à son père Sidi Oulmghenni qui avait consacré sa vie à la méditation, ce saint-homme Sidi Ahmed Oulmaghni a passé la majeure partie de sa vie à dénouer les problèmes entre les tribus en usant de serments religieux. Pour que vous puissiez percevoir l’amalgame à la base de cette confusion, je puis vous assurer que ce saint-homme, qui avait choisi le célibat, ne s’était jamais immiscé dans aucune quelconque affaire de femmes en général ou de fiançailles en particulier. Imaginez que l’administration marocaine refuse depuis des décennies l’affectation d’un juge à Imilchil pour nous forcer à nous marier selon ses désirs lors du festival qui n’a aucun lien avec le Moussem.

Pour l’acte de mariage, nous devons quitter le territoire d’Aït Hdiddou. Pendant de nombreuses années, même loin de chez nous, on nous refusait le mariage dès l’approche du Moussem pour nous forcer à nous marier à une date et un lieu qu’on a choisis pour nous.

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