Le nouveau modèle de développement et les territoires : Une Contribution au débat

Par Monceyf Fadili (*)

Le Nouveau modèle de développement (170 pages) porté par la Commission spéciale sur le développement et présenté à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le 25 mai 2021, analyse les enjeux et défis du Maroc, et formule les priorités au changement à l’horizon 2035. Il a notamment pour objet de « libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous ».

Ce document ambitionne de renouveler le Pacte national en faveur d’une collectivité nationale « en quête d’un souffle nouveau », en mettant l’humain au coeur des priorités et en plaçant l’institution monarchique comme « clef de voûte de cet édifice dynamique ».

En plaçant l’humain au centre des politiques publiques, dans « un climat marqué par une crise de confiance », il s’agirait de recentrer l’action de l’Etat autour du citoyen et faire en sorte que le secteur public, qui fonctionne selon un modèle centralisé, top-down, soit plus accessible, équitable, et sur la base d’une gouvernance territorialisée.

Un dessein porté par une ambition commune qui se fixe, pour les quinze prochaines années, de fédérer autour « d’un Maroc prospère, d’un Maroc des compétences, d’un Maroc inclusif et solidaire, d’un Maroc durable et d’un Maroc de l’audace. »

Le rapport est divisé en trois parties, la deuxième portant sur le Maroc de demain et ses principaux défis. Parmi ceux-ci, figure la question des Axes stratégiques de transformation, qui traite de la problématique des territoires sous le titre Des territoires résilients, lieux d’ancrage du développement. Un défi d’autant plus important à relever que le Maroc dispose d’un cadre institutionnel et juridique, qui accorde aux régions des missions et prérogatives issues de la Constitution de 2011 et du nouveau découpage territorial portant à 12 le nombre de régions.

Choix stratégiques

Cinq choix stratégiques président à cet axe consacré aux territoires (pages 130 à 146) :

  1. Faire émerger un « Maroc des régions » prospère et dynamique ;
  2. Assurer une réorganisation innovante des échelons territoriaux et favoriser leur articulation ;
  3. Favoriser un aménagement intégré des territoires, améliorer l’habitat et le cadre de vie, et renforcer la connectivité et la mobilité
  4. Préserver les ressources naturelles et renforcer la résilience des territoires face au changement climatique ;
  5. Préserver les ressources en eau à travers une meilleure valorisation de la ressource et une gestion plus rigoureuse de sa rareté pour les générations actuelles et futures.

→ Lire aussi : L’appareil administratif, une condition de réussite du nouveau modèle de développement

Cinq choix censés intervenir en faveur d’une territorialité rénovée et déclinés comme suit :

  1. Le « Maroc des régions » émergent propose d’accélérer le processus de régionalisation avancée sur la base d’une « déconcentration efficiente », dont le transfert de pouvoir doit s’effectuer sur la base du « renforcement du rôle des walis » et d’une administration ad hoc en renfort. Cette nouvelle territorialité prend pour appui des Autorités Régionales de Développement comme développeurs de projets, à l’instar de l’Agence spéciale Tanger Med-TMSA ou l’Agence Bouregreg, que viendraient compléter des Conseils régionaux économiques, sociaux et environnementaux.
  2. Il s’agit de mettre « le citoyen au centre des politiques publiques », notamment en reconnaissant le « douar comme unité territoriale de base », lui-même relayé par le renouveau des « cercles » comme entité administrative, et sur leur capitalisation. Ce nouveau cadre aurait pour mandat d’adapter les outils d’aménagement aux spécificités des zones rurales, notamment par la généralisation de la couverture numérique en milieu rural et la promotion de l’agriculture solidaire et familiale.
  3. Il est préconisé « une refonte de la doctrine de l’aménagement du territoire » en centrant la planification urbaine sur la qualité de vie et la mixité sociale. L’un des instruments projetés est le contrôle rigoureux de la politique de dérogation, en « rupture avec le mode d’urbanisation actuel ».

Face à l’importance du logement décent, mis en exergue par la crise sanitaire, il s’agit de réorienter « la politique d’appui à l’accès au logement » et d’adopter une politique de l’habitat inclusive, notamment par l’appui au développement de « projets de logements sociaux à l’intérieur des villes » – par opposition à la tendance de déploiement de logements sociaux dans les périphéries –, tout en mettant l’accent sur l’inclusion numérique des territoires.

  1. Face aux contraintes du changement climatique, il est préconisé de « renforcer la gouvernance des ressources naturelles » tout en apportant des « réponses de fond aux contraintes structurelles de l’agriculture marocaine », et en mettant en relief la question de durabilité et de valorisation au coeur de la stratégie agricole.
  2. En réponse au « stress hydrique qui ne cesse de s’accentuer », quatre propositions sont à retenir : (i) réformer le secteur et « renforcer la transparence sur les coûts de la ressource » ; (ii) instaurer une tarification adaptée à la valeur de la ressource ; (iii) mettre en place une Agence Nationale de Gestion de l’Eau ; (iv) mobiliser des ressources pour des projets d’urgence tels que le dessalement de l’eau de mer.

Remarques et éléments de propositions

Le présent axe sur les territoires – considérés comme lieux d’ancrage du développement – appelle certaines remarques, dans le cadre du débat portant sur le document soumis à la plus haute instance de l’Etat, et pour une contribution à la réflexion collective.

 Le premier questionnement, concernant l’axe sur les territoires et le rapport de manière globale, est celui de la notion de modèle dont se veut porteur le document auprès de la communauté. Si l’on entend par modèle – selon l’acception courante – le produit d’une démarche expérimentée dont les résultats, aboutis, sont reconnus par la collectivité comme référentiel, la présente analyse des territoires relève – en l’étape actuelle – davantage d’une plateforme ; une force de propositions pour un plan stratégique de développement à l’horizon 2035.

L’ambition du modèle pose la question des diagnostics territoriaux, c’est-à-dire celle de l’évaluation des expériences passées et des enseignements tirés. De nombreux rapports et plans stratégiques rapportés aux territoires ont été initiés à cet effet, dont il importe de tirer parti en termes d’évaluation (Programme Villes sans bidonvilles, Initiative nationale pour le développement humain, Rapport du Cinquantenaire…).

L’ambivalence dans la démarche, en termes d’analyse et de propositions, laisse croire que les options de modèle seraient déjà arrêtées. Si les principes et valeurs préconisés pour un Maroc inclusif sont clairement énoncés – renouveau de la gouvernance des territoires, valeurs de solidarité et d’équité, redevabilité, renforcement de l’inclusion et de la mixité sociale –, ils ont pour contrepartie des choix d’ores et déjà fixés tels que le « renforcement du rôle des walis » par une « administration ad hoc », le renforcement d’entités territoriales telles que le cercle et, en termes de développement, la création d’Autorités Régionales de Développement sur le modèle de celles existantes, comme entités de développement de projets.

L’enjeu de la déconcentration et de la décentralisation, l’un des piliers pour un renouveau des territoires, et propre à regagner la « confiance à l’égard de l’action publique », n’accorde pas la place qui lui revient aux pouvoirs locaux et au rôle des élus, dans cette nouvelle vision du développement. Or, c’est à l’aune de la démocratie représentative, de son engagement et de sa marge de manoeuvre que pourra se construire la gouvernance territorialisée recherchée.

La question des villes et de l’urbanisation croissante est éludée du présent axe, alors que le Maroc s’achemine vers une population à 70% urbaine à l’horizon 2030, et que les villes représentent 80% du PIB national. Or les villes ont aujourd’hui – malgré les efforts consentis – pour principales contraintes : (i) la fracture urbaine et des inégalités territoriales persistantes ; (ii) le déficit en logements, services de base et transports ; (iii) le chômage et le sous-emploi, notamment chez les femmes et les jeunes ; (iv) le poids de l’économie informelle.

S’il est fait mention d’un « appui à l’accès au logement » et de la structuration de l’offre en logement social, les solutions à apporter doivent intégrer le droit au logement comme composante d’un habitat décent, conformément à la Constitution de 2011. Face aux délais de mise en oeuvre (2035), les acteurs en charge du Nouveau modèle de développement auront pour tâche d’opérationnaliser dans les meilleurs délais les axes et choix stratégiques, selon des indicateurs de résultats faisant état d’une réelle amélioration aux différentes échelles territoriales.

On retiendra, à titre indicatif et dans l’optique de l’efficience recherchée : La désignation, dans le cadre du Maroc des Régions, de quatre ou cinq régions tests – deux littorales et deux enclavées – en vue de mettre en oeuvre les axes d’intervention retenus, et de leur donner un cadre référentiel constitutif d’un modèle à construire collectivement. Il s’agit ainsi de donner au document élaboré par la Commission une matérialisation spatiale, sachant que « la carte n’est pas le territoire ».

Un processus associant l’ensemble des parties prenantes au développement local sera requis, selon un partage équitable des prérogatives, responsabilités et engagements aux différents niveaux institutionnels. Des signes forts en matière institutionnelle, afin d’apporter à la gouvernance territoriale des preuves tangibles de transformation, à l’instar du « contrôle rigoureux de la politique de dérogation ».

Un bilan d’étape à mi-parcours sous la forme d’une évaluation des programmes et des actions mis en oeuvre, en s’appuyant sur les principes de la transparence et de la gouvernance des projets.

L’articulation aux agendas internationaux et aux engagements du Royaume du Maroc, en particulier l’Agenda 2030 ou Programme de développement durable à l’horizon 2030, dont les 17 Objectifs de développement durable1 (ODD) constituent la feuille de route, pour « une action locale qui intègre les transitions nécessaires dans les politiques, budgets, institutions et mécanismes de gouvernance des États, des villes et des autorités locales ».

Une évaluation de la mise en oeuvre et des avancées du Nouveau modèle de développement, à la lumière de l’évaluation des indicateurs de l’Agenda 2030 adopté par la Communauté internationale.

On retiendra l’Objectif 11 : « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables. »

Enfin, on ne saurait assez insister sur la nécessaire démarche de dialogue et de concertation qui doit présider à ce processus, notamment en termes de transparence et de redevabilité.

Si une gouvernance territorialisée est revendiquée, elle doit avoir pour corollaire une gouvernance globale afin que la présente initiative, d’envergure nationale et portée au plus haut niveau du Royaume, puisse être un modèle synonyme d’exemplarité.

Monceyf Fadili

(*)Expert international en planification urbaine et développement territorial

Ancien Conseiller UN-Habitat

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