« Le Printemps marocain » de Abdelaziz Tribak

Par ABDELKRIM CHIGUER

« Le Printemps marocain», le premier roman d’Abdelaziz Tribak, est un récit fait d’allers-retours de son narrateur- personnage-, Mehdi, entre son passé de militant d’extrême-gauche et un présent momentanément court-circuité, perturbé en raison d’une séparation subie autant que voulue, avec Zahra, son épouse. A l’issue de cette difficile épreuve,  le divorce augure néanmoins d’une nouvelle ère, et le récit, lui, n’aura de cesse d’avancer en une suite d’instantanés, ceux d’une réalité chaotique autant qu’ordonnée, mieux,  féconde car porteuse d’une série d’événements imprévus et  imprévisibles de par leur teneur critique voire iconoclaste. Mehdi,  héros postrévolutionnaire «s’y adapte en se faufilant entre les vagues», préférant, «à l’absence des nuances», la «logique des contrastes» visibles, criants dans une urbanité en transition, audacieuse  prometteuse en même temps qu’improbable qu’est la ville du détroit. Le roman dont le titre initial devait être «Le train de la vie», dit le devenir d’un pays, d’une ville et surtout, de Mehdi partagé entre appartenances pesantes, encombrantes et un «exil intérieur». Faisant preuve de sobriété et de distance quant au besoin et à l’urgence  de se greffer, de nouveau, mais autrement sur l’Histoire, le roman fait de celle-ci une vraie fiction et/ou une fiction vraie, se frayant une voie entre le couple que forment, au départ, Imad et Ilham, la jeune «frondeuse» du 20 février, et l’ex-militant, Mehdi, son nouvel amant, désormais électron libre. Les fragments du récit, relatifs au passé «engagé» de ce dernier, agissent en éclairage d’un passé a priori révolu mais toujours vivace au sens où il se conjugue encore au présent et au futur comme champ de nouveaux possibles, de nouvelles utopies. L’Histoire est désormais interpellée à contre-courant de toute assurance définitive, fût-elle «messianique» et «progressiste». Celle- là même qui,  prenant le visage, la voix et les cris des «jeunes» d’aujourd’hui brandissant le slogan : «Tous pourris», l’auteur narrateur la qualifie, sans détours, d’«antichambre de tous les fascismes», martèle-il, un soir, à ce propos: «Ilham le regarda longuement, puis elle se retira pour aller dormir après lui avoir lancé un furtif «bonne nuit»». Elle devient irascible, et même si lui faisait tout pour éviter toute polémique, elle finit toujours, «enthousiasme et volontarisme juvénile» aidant, par l’y entraîner. Pour lui les «pourris» doivent être désignés nommément et, surtout, les accabler de preuves et d’arguments sinon  c’est le règne du «discrédit général», versant dans le sens de ceux qui se prétendent «purs» et «immaculés». Mais comment faire pour qu’en politique l’on évite de répéter les «erreurs» des «anciens» : «se cogner la tête contre les murs avant de comprendre?». A coups de succès et d’échecs, le pays et l’État, nommé Maroc, s’est construit   en tant qu’édifice peu ou prou consensuel alors que bien d’autres pays voisins ou non «explosaient littéralement». Le récit, menaçant, par moment, de se laisser dominer par le discours relatif au parcours de la gauche, de l’extrême-gauche et du Mouvement du 20 février, la narration, proche et distante, grave et ironique, s’y oppose ou, tout au moins, veille à contraster, nuancer grâce à une matière suffisamment dense pour pouvoir creuser dans la singularité d’une suite de micro-récits parallèles ouvrant l’ère des «aventures hors normes» de deux amants décalés. Ilham, son corps se révèle rétif aux certitudes qui furent les siennes,  finissant amoureuse du «vieux jeune célibataire» qu’elle qualifie, par moment, de «bourgeois». Évoquant leur expérience érotique, leur «corps à corps», elle la juge comme une vraie rupture. Le «bon vivant»  et «séducteur», «maître de son destin», encore dans le souvenir de son passé d’étudiant «militant», «palestinien» et «monaddamatiste» ne peut,   lui, s’empêcher de mesurer et d’admettre, désenchanté mais heureux, à quel point le langage politique vieillit. La formule: «Le pays tenu par une clique à la solde de l’impérialisme mondial», lui semble fragment d’une archive révolue, langue de bois d’un autre âge. La grossesse, apparemment non programmée de Ilham, advient telle une semence, une mémoire d’avenir.

3 Juillet 2011

Un train pour «revivre»

Depuis qu’il avait opté pour revenir à Tanger, sa ville natale, il s’était soumis au rituel du train, sauf en de rares exceptions. (…) Le terroir n’était plus le même. Ses anciens amis et connaissances n’avaient pas encore commencé leur retour aux sources, pour ceux qui étaient partis, sauf de rares exceptions. Les autres, restés sur place, étaient pris dans les mailles du «système» local pour la plupart. Les affaires, dont la politique devenue très rentable… Et un encéphalogramme proche du zéro. Tanger, la perle du détroit, se transformait à vue d’œil en une entité difforme. Écrivains et poètes «maudits» pouvaient se retourner dans leurs tombes ou chercher un autre port où choir. Bertolucci irait boire son thé loin des «Petit» et «Grand Socco», de leurs cafés, ruelles et porte éternelle. Mais, la ville était bonne pour les affaires. Les claires, les «claires-obscures» et les sales aussi et surtout. Lui, il avait appris à forcer sa nature et à se déplacer entre les eaux. Tanger n’était-elle pas éternellement confrontée à plusieurs eaux ? Ville charnière, ville de contact. Ville où un océan venait buter, éternellement, sur une mer, faussement paisible, qui lui rendait ses vagues avec le moins d’écumes. C’était ce spectacle fantastique qui l’avait toujours attiré vers Tanger et son cap de toutes les rencontres, où il faisait bon méditer le déclin du soleil qui s’en va dormir dans l’océan, tout en réveillant d’autres peuples à leurs besognes. (….) Tanger l’ancienne, son charme naturel et ses mystères romancées (Parfois romantiques, d’autres fois plus terre-à-terre) a fait place à une autre Tanger avec ses nouveaux mystères et nouveaux mythes sonnants et trébuchants. L’ancienne qualité de vie est tombée à l’eau, partagée entre la méditerranée et l’atlantique. Un autre mode de vie s’est installé, fait de luxe et de son corollaire, la misère, comme si les deux formaient un couple inséparable. (…)»

 (Extraits de l’œuvre)

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