Le Roi Charles III, Fès et la culture soufie

Un entretien avec Faouzi Skali

Dans l’interview qui suit, le Professeur Faouzi Skali, annonce la 15eme  édition du Festival de la Culture Soufie qui se tiendra du 22 au 29 Octobre 2022 à Fès. L’occasion pour Maroc-Diplomatique de l’interroger sur la visite à Fès du Roi Charles III en avril 2011 où il a assisté à un évènement culturel soufi. Un évènement qui au regard de l’actualité britannique prend un relief particulier. Faouzi Skali a fondé et dirigé le Festival des Musiques Sacrées du Monde qu’il a dirigé de 1994 à 2014. Il préside actuellement le Festival de la Culture Soufie.

Entretien réalisé par Taoufiq Boudchiche

  • Tout d’abord en tant qu’anthropologue pouvez vous nous dire quel regard vous portez sur l’actualité d’un peuple qui pleure Sa Reine Bien Aimée et vient de couronner Charles III comme nouveau Roi du Royaume Uni. Pourriez-vous  nous éclairer à ce sujet ?

Ce que l’Europe et l’Occident découvrent à cette occasion, et par l’émotion même que cela suscite à travers le monde,  c’est l’importance de certaines institutions qui maintiennent dans le temps une forme de transcendance et impliquent  dès lors  une continuité de culture et de civilisation dans une sorte de roman ou d’imaginaire national collectif. Nous sommes frappés de voir avec quelle fascination mêlée à une forme d’envie et d’admiration pour ce pays, les Français par exemple, suivent  par médias interposés, cette actualité du Royaume-Uni qui montre de quelle façon celui-ci a su préserver cette continuité et lui donner une forme de sacralité. Non pas dans le sens religieux du terme mais par le fait que cela soit considéré, quelles que soient les opinions politiques par ailleurs, comme un bien ou un patrimoine commun. La Reine défunte a incarné ce rôle et cette fonction au plus haut point. Mais c’est aussi le résultat d’une élaboration culturelle très subtile, très ritualisée qui s’est accomplie progressivement depuis des siècles. Car en Angleterre comme ailleurs l’histoire était pleine de tragédies et d’aléas. Dans des moments comme celui ci on se rend compte de l’importance des symboles qui fondent les sentiments d’appartenance à un destin commun et la singularité historique d’une civilisation.

  • Vous évoquez l’importance d’un patrimoine culturel et spirituel qu’en est il de la prochaine édition du Festival de la Culture Soufie dont vous êtes le Président et qui prépare sa prochaine édition du 22 au 29 octobre sous l’intitulé « Science et conscience » ?

La culture du soufisme constitue en effet une sorte d’ADN qui a sculpté depuis des siècles l’identité spirituelle de l’Islam au Maroc et en a fait un vecteur de civilisation. Lorsque Sa Majesté en tant qu’Amir Al Mouminine avait installé le Conseil Supérieur des Oulémas à Tétouan il avait particulièrement insisté sur cette dimension soufie et spirituelle de l’Islam au Maroc à côté des autres dimensions malikite et achaarite. Il s’agit de fait d’une culture vivante qui assure une continuité historique et spirituelle mais aussi qui est capable d’une créativité et d’un renouvellement permanents. C’est de cela que l’on essaie de rendre compte lors de chaque édition. Notre culture marocaine est imprégnée de cette forme d’humanisme spirituel portée par les valeurs  et une pensée dynamique du soufisme. C’est ce que essaierons d’aborder cette année à travers la thématique « Science et conscience ».

  • La vocation internationale de Maroc Diplomatique nous incite à vous interroger sur votre vision de la diplomatie culturelle, facteur de connaissance et de rayonnement du Royaume à l’étranger.

Le Maroc en tant que Royaume a une vraie vision à faire valoir sur un plan aussi bien intérieur qu’international. Celle précisément d’une politique et d’une vision du monde basées sur des valeurs universelles fondée sur un Islam des Lumières et d’un humanisme spirituel pour notre temps. Il s’agit d’une vision et d’une stratégie qui ne sont pas de circonstance mais qui s’inscrivent dans une profondeur de champ réelle de notre histoire marocaine. De grandes initiatives de Sa Majesté sont portées par cette vision  qui est d’ailleurs maintenant inscrite dans la Constitution marocaine.  C’est elle qui est à la base de la gouvernance des cultes et des cultures qui institue leur diversité comme une chance pour l’évolution et le développement de notre civilisation marocaine. Car il ne faut pas confondre en tant que tel le soufisme qui est une spiritualité musulmane et la culture soufie qui est ouverte par définition aux autres cultures et spiritualités. Cette vision du Maroc a quelque chose de réel à apporter à notre humanité et peut être partagée avec un grand intérêt à l’échelle internationale.

  • Pour revenir au Royaume Uni le Festival de la culture soufie a t-il construit des attaches et des amitiés fidèles à la culture marocaine et soufie en particulier ?

Je tiens à souligner que j’ai quitté le Festival des Musiques Sacrées en 2014 après avoir fondé le festival de la culture soufie. Par rapport à cette période, il m’est agréable de partager avec vous quelques souvenirs notables. Notamment, celui de l’initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui avait tenu à associer dés le début du Festival des Musiques Sacrées le Prince de Galles, l’actuel Roi Charles III, à la création de cet événement en l’invitant à en être le Co-Président du Comité d’honneur. Il est par ailleurs remarquable  que quelques années après le Prince de Galles avait tenu à envoyer un enregistrement vidéo à l’adresse de Sa Majesté ainsi qu’aux participants du Festival à partir d’un lieu du Palais qu’il avait appelé  « son jardin islamique ». Ce jardin rappelle dans sa conception un patio ou un Riad hispano-mauresque, semblable à nos Riads. Dans cette vidéo qui a été diffusée sur place aux participants du Festival mais aussi sur les ondes de la télévision marocaine le Roi Charles III évoquait le patio magnifique du Palais Batha et de son arbre multi-centenaire au pied duquel se déroulaient les concerts et surtout les conférences du Festival. Il a mentionné le désir de s’y rendre un jour pour assister au pied de ce même arbre à un concert de chants soufis. Et c’est exactement ce qui allait se produire lorsque le Prince de Galles d’alors s’était rendu à une visite officielle au Maroc pour ensuite se rendre à Fès où a été organisé le 6 avril 2011 un concert de chants soufis avec la participation du groupe Ibn Arabi et de l’ensemble de samaa al Boussiri de Fès. La question du dialogue entre l’Occident et l’Islam a toujours fait partie des grands centres d’interêt du nouveau monarque du Royaume-Uni (à propos duquel il a écrit plusieurs articles dont l’un dans un livre dédié au Festival, intitulé Esprit de Fès), comme son intérêt d’ailleurs  pour la spiritualité soufie. Le Roi Charles III était accompagné de son Epouse la Duchesse de Cornouailles, lors de ce déplacement à Fès, et  par deux autres personnalités qui lui étaient très proches  fins connaisseurs du soufisme, dont Sir Nick Pearson, Directeur du Centre TEMENOS, Présidé alors par le Prince de Galles, le Roi Charles III, nouvellement couronné dans une grande  ferveur populaire.

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