Le système de santé marocain : Une réforme en profondeur

Par Tayeb Hamidi

La refonte du système de santé marocain est un pilier incontournable pour la réussite du chantier de la généralisation de la couverture médicale et de la protection sociale. L’appel Royal pour «Refondre en profondeur le système national de santé, qui se caractérise par des inégalités criantes et une faible gestion», a été lancé lors du discours Royal du 30 juillet 2018, et rappelé à d’autres occasions, et devient, aujourd’hui, une urgence pour le succès du chantier encore plus vaste vers une justice sociale.

Indicateurs de santé : des acquis à améliorer

 

Un effort considérable sur le plan sanitaire a été consenti par le Maroc avec des résultats probants. Néanmoins ses indicateurs sont au-dessous des attentes et des ambitions, et surtout au-dessous des performances que le Maroc pouvait connaître avec les moyens mis en œuvre malgré leur limitation. Le Maroc a amélioré l’état de santé de sa population, ainsi que ses indicateurs de santé sur plusieurs niveaux. Il a réduit, en l’espace de 15 ans (de 2013 à 2018), de plus de deux tiers la mortalité maternelle (de 227 pour 100.000 naissances vivantes à 72,6), a réduit de plus de moitié la mortalité des enfants de moins de 5 ans (de 47 pour 1000 naissances vivantes à 22‰), et a amélioré l’espérance de vie de ses citoyens de plus de six ans. Mais il y a une nécessité de renforcer les moyens, conjointement à la réforme du système de santé, en agissant parallèlement sur les autres déterminants de santé (nutrition, habitat, revenu, sport, travail …). Les études ont montré que les systèmes de santé n’agissent sur la santé que dans une proportion de 25%. Sur les 30 années gagnées en espérance de vie, 8 années sont attribuées au système de santé, les 22 autres années sont dues aux autres déterminants de santé.

Un Conseil Supérieur de la Santé : vision stratégique

Une vision stratégique de politique de santé est la base de la réussite de la prise de décision et de l’évaluation. La politique de santé se base sur des visions au-delà d’un mandat ministériel ou même d’un mandat électoral. Elle définit les objectifs et les moyens sur le long terme, contrairement aux programmes segmentaires et de court terme. L’absence de vision stratégique constitue une perte de temps, de budgets, d’indicateurs de santé et de chance pour le système de santé et pour la santé de la population. Un Conseil Supérieur de la Santé pour une vision nationale stratégique issue d’un débat sociétal et plurisectoriel permettra alors de cadrer les différents programmes.

Un système de santé basé sur les soins primaires et la médecine de proximité

Un système de santé non basé sur les soins primaires (Primary Care) consomme beaucoup de budgets, de ressources humaines, d’infrastructures, pour de faibles résultats. Il est urgent de recentrer notre système de santé, à l’instar des pays développés et autres moins développés, sur les soins primaires, la médecine de proximité, de première ligne, l’éducation et la prévention.

La médecine et la santé de proximité sont le pivot des systèmes de santé efficients et équitables, alliant la performance à l’efficience.

Conclusions de quelques études :

–  «Les médecins de famille assurent une meilleure continuité des soins et sont associés à des taux d’hospitalisation plus faibles et de mortalité toutes causes confondues»

–  «Chaque praticien général additionnel par tranche de 10 000 habitants est associé à une diminution de la mortalité d’environ 6%»

–  «Les auteurs ont observé que plus le système a une forte orientation vers des soins primaires, plus les coûts de l’ensemble des services de soins de santé sont bas»

«Les soins de santé primaires améliorent aussi l’équité des services de santé. Un système de santé fondé sur des soins de santé primaires soutenus serait donc plus équitable, plus efficace et plus efficient»

Deux grands défis se posent : la transition démographique et la transition épidémiologique.

Transition démographique :

Un Marocain sur 10, actuellement, a plus de 60 ans. En 2050, ce chiffre sera triplé.

Donc des personnes âgées et plus de maladies chroniques qui nécessitent plus de soins et plus de dépenses.

Dépenses de l’AMO : les plus de 60 ans consomment 70% de dépenses, les moins de 60 ans se partagent les 30% restants.

Transition épidémiologique :

3 décès sur 4 actuellement au Maroc ne sont plus attribués aux maladies transmissibles.

3% des assurés de l’AMO consomment plus de 50% des dépenses car porteurs de maladies chroniques.

Parcours de soins coordonnés : optimiser les ressources

Le parcours de soins du patient est de plus en plus compliqué dans un système de santé labyrinthique par son mode organisationnel, sa diversité, ses spécialités différentes et les super spécialités. Un parcours non balisé est source de perte de temps, de financement, et d’utilisation abusive de ressources humaines déjà insuffisantes. Un parcours de soins ordonnés (PSC) donne à chaque citoyen le droit de choisir son médecin traitant qui l’oriente, l’accompagne et coordonne son parcours dans le système, pour une rationalisation des efforts des professionnels de santé, des dépenses de santé, de l’usage des infrastructures et une amélioration de la qualité des soins.

Ressources Humaines : insuffisance, émigration, et absence d’attractivité du secteur public comme du privé

Le Maroc, qui compte 28.000 médecins, a besoin de 32.000 autres médecins selon les normes basiques de l’OMS, alors qu’environ un médecin marocain sur trois est installé à l’étranger. En France, ils sont plus de 250 000 médecins. Le Maroc ne peut compter principalement, et pour sa souveraineté, que sur ses ressources : il faut produire plus de médecins, mais aussi savoir les retenir, et encourager ceux installés à l’étranger à revenir au pays, riches de leurs expertises et expériences variées. Le phénomène de l’émigration pour les médecins des pays du sud risque de s’amplifier dans l’après Covid avec la multiplication des incitations de la part des pays du nord.

Les incitations peuvent passer par l’amélioration des conditions matérielles des professionnels de santé dans le secteur public et de leurs conditions de travail. Par ailleurs, une réforme de l’environnement sociojuridique de l’exercice médical libéral, de sa fiscalité, du conventionnement avec les caisses de maladie, est nécessaire pour rendre le secteur plus attractif.

Le secteur médical libéral est un secteur privé qui assure un service public, et il doit être traité en tant que tel, pour permettre au citoyen de jouir d’un droit garanti par la Constitution : le droit à la santé.

Carte sanitaire : justice territoriale et sociale, rationalisation de l’offre de soins

Parmi les inégalités territoriales, plus de 50% des médecins exercent dans l’axe Jadida, Casablanca, Rabat, Kénitra.

4 Marocains sur 10 doivent parcourir plus de 10 km pour un premier contact de santé.

En ce qui concerne les inégalités sociales, l’accès aux soins passe par l’accessibilité territoriale et sociale.

La carte sanitaire s’impose pour assurer une équité territoriale et une optimisation des ressources humaines, des infrastructures et des dépenses. Il faut orienter les investissements publics et privés vers les zones sous médicalisées, selon des normes préétablies dans la carte sanitaire. Une politique incitative est nécessaire pour réussir le défi.

Régionalisation avancée

Il est primordial de décentraliser la réflexion, la gestion et la recherche de solutions, et d’impliquer les acteurs régionaux et locaux pour plus d’efficience en rapport avec les spécificités et particularités régionales.

Financement de la santé :

un handicap structurel

Les dépenses de santé représentent moins de 6% du PIB. Plus de 50% de ces dépenses sont assurées par les ménages.

L’OCDE estime que le Maroc devrait augmenter le niveau des dépenses de santé de 2.5 points de pourcentage de PIB, pour atteindre 8.2% du PIB, soit 107 milliards de dirhams dont 77 milliards pour la dépense publique, en agissant sur l’élargissement de l’AMO (généralisation), les cotisations AMO et certains impôts. Il faut également élargir l’assiette des cotisations et œuvrer pour son renforcement.  Par ailleurs, il est nécessaire d’agir sur les taxes intérieures de consommation des produits nocifs pour la santé (tabac, alcool, sucre) et mettre en place une véritable fiscalité environnementale.

Partenariat Privé-Public :

valoriser l’existant, se projeter dans l’avenir

Insuffisance d’effectivité du PPP : la mise en place de partenariats public-privé est une solution pour mobiliser des fonds, intégrer le privé dans la politique de santé publique, bénéficier des services des ressources humaines du privé, de ses infrastructures et de ses fonds. Il faut rationaliser l’usage de l’offre de soins en intégrant les structures et les services assurés par le secteur libéral, combler les déficits au niveau du service public, mutualiser l’usage des plateformes et les ressources humaines. 94% des dépenses de l’AMO sont captées par le privé. Plus de 9 Marocains sur 10 parmi les assurés ont recours au privé.

Rendre le secteur de la santé privé attractif

En plus des insuffisances en ressources humaines, le secteur de la santé a besoin d’investissements pour mettre à niveau le volet hospitalier. Le Maroc dispose d’environ 33.000 lits hospitaliers dont presque le tiers au privé. Ce ratio de moins d’un lit pour 1000 habitants au Maroc est le double en Algérie et en Tunisie, presque 7 fois en France et 14 fois dans les pays les mieux lotis.

Pour les professionnels, pour l’investissement national ou étranger, le secteur a besoin d’une mise à niveau. Révision nécessaire du mode de conventionnement et de la Tarification Nationale de Référence (TNR), qui revient à la convention de 2006, et qui devrait être révisée tous les 3 ans. Révision nécessaire de la nomenclature des actes, de la responsabilité médicale, l’informatisation du système de santé, les incitations pour médicaliser les déserts médicaux.

Investissement dans la santé et les nouvelles tenchologies :

les Health-Tech

Le secteur de la santé est prometteur pour l’investissement. Et pour cause, au Maroc il y a un véritable déficit à combler, et une généralisation de l’assurance maladie qui va générer plus de demandes de soins, couplée à la croissance démographique, le vieillissement de la population et la demande de plus en plus forte sur le bien-être.

Les secteurs de l’investissement national et étranger en matière de santé :

–  Secteur des services de soins (hospitalisation, bien-être, biologie, radiologie …)

–  Industrie pharmaceutique

–  Matériel médical

– Les nouvelles technologies de santé, Health Tech, dont :

Med Tech : Outils de diagnostic et de traitement.

Bio Tech : Bio médicaments et autres.

E-santé : Digitalisation, télémédecine, robotisation ….

Les nouvelles technologies (exemple Télémédecine) comme voie de démocratisation de l’accès aux soins de qualité, tout en réduisant les coûts et en assurant la qualité de vie. Plus on s’engage tôt et fort dans la voie des nouvelles technologies, plus ces technologies assureront équité et efficience au lieu de l’élitisme et les disparités.

Couverture socio-médicale :

Un handicap structurel

Le système de santé est appelé actuellement, et de plus en plus dans l’avenir (avec la généralisation de la couverture médicale), à répondre à une demande croissante de soins en prévention et soins de qualité. Plus de 50% des dépenses de santé sont supportées directement par les ménages. Pour les assurés eux-mêmes, de 30 à 50% de reste à charge, pourcentage qui s’aggrave d’année en année au lieu de se rétrécir. Les salaires bas malgré leurs cotisations ne peuvent accéder aux soins.

Aussi faut-il optimiser les dépenses de l’AMO : Révision de la tarification de référence, de la nomenclature des actes professionnels, les protocoles thérapeutiques et le référentiel des professionnels de santé.

Généralisation de l’Assurance Maladie : santé, développement et paix sociale

Il convient d’assurer un accès équitable aux soins, préparer la riposte aux défis de la transition démographique et épidémiologique.

Problème de gouvernance du secteur public de santé  

Des budgets supplémentaires n’apportent pas proportionnellement une amélioration de l’offre de soins, ni des indicateurs de santé.

Optimisation, rationalisation, efficience et attractivité.

L’hôpital public doit opérer des réformes profondes pour être plus attractif et capter sa part du financement venant de l’AMO.

Au lieu de 6% seulement qu’il capte actuellement, il devrait être plus concurrentiel pour sa viabilité, pour le bien du citoyen et pour diversifier ses ressources de financement, surtout avec la généralisation de l’assurance maladie.

Absence de Plan national de riposte

Les pays préparés aux crises sanitaires ont moins souffert sur le plan économique, social et sanitaire de l’actuelle pandémie.

Un budget à base de 1,69 dollars USA/habitant serait suffisant pour monter un programme national de riposte et de gestion des crises sanitaires (Rapport de la Banque mondiale), et ainsi mieux protéger le système de santé, la vie sociale et l’économie.

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