« Le Temps du Maroc », ou le dernier livre « coup de cœur » de Abdelmalek Alaoui

Par Hassan Alaoui

Dans un contexte particulier, c’est le cas de le dire, le dernier ouvrage de Abdelmalek Alaoui : « Le Temps du Maroc » (1) nous apporte comme une fraîcheur d’âme. Le titre générique est doublé d’un autre qui, pour tous ceux qui, affectionnent l’histoire immédiate, y trouvent matière à réfléchir : « 2020-2021, résilience et émergence du Royaume chérifien ». Un texte de près de 355 pages, composé de quelque 16 chapitres, qui pourrait être le « grand voyage » étalé sur une année entière, celle du Covid-19 qui a révélé un autre Maroc, mais également celui d’une réflexion philosophique menée au fur et à mesure du développement d’une actualité à chaud. Qui nous éclaire, chiffres et science à l’appui…

Il convient de souligner de prime abord cette possession magnifique de la langue et de la stylistique chez l’auteur qui, de l’exorde jusqu’à la conclusion de l’ouvrage, embrasse un vaste champ de problématiques diverses, dévoilant une large culture manifeste, une curiosité à toute épreuve et, ce qui ne gâte rien, le socle de références comparatives.  Manifestement, l’auteur a beaucoup lu et parcouru aussi les pays. Il fait sienne cette tentation « globalisante de la complexité », pour reprendre une formule de l’un des ses auteurs préférés et néanmoins ami, Edgar Morin. L’ouvrage démarre sur des chapeaux de roue au cœur de l’actualité, c’est-à-dire en pleine pandémie de la Covid-19 , non sans prendre soin de remonter à quelques cinq siècles auparavant qui sont à la mémoire collective ce qu’est une marque douloureuse aux époques : les traces singulières, la crainte collective, l’inquiétude populaire qui interpelle les responsables à tous les niveaux, enfin la prise en main du problème par le Roi .

Les lointains passés épidémiques du Maroc

A ce croisement imposé de questionnements, le Maroc n’a pas échappé, tant s’en faut. Abdelmalek Alaoui estime que « le Maroc n’a pas fait exception(…) Ces mois d’inquiétude, de confinements et de flottements, de croyances irraisonnées et de doutes sur les talents des scientifique, des pouvoirs publics et des décideurs nous ont renvoyés à de tristes pages de notre histoire… »…Il continue sur la même lancée : « Hassan al-Wazzan, surnommé Léon l’Africain est mort autour de 1535. Diplomate et explorateur, né à Grenade et éduqué à Fès, il a décrit dans sa célèbre Cosmographia de l’Affrica, l’Afrique du Nord de son époque, subissant la variole, le typhus, la peste ou le choléra… ». Et de nous édifier avec cette sentence : « Les grandes pandémies entre le XVème et le XVIIème siècle ont ravagé le Maroc. »

Le rapport avec ce que le même Maroc connaît depuis bientôt deux ans, s’il semble à la limite hâtif, n’en est pas moins interpellant. Prudent tout de même, il a vite fait de prévenir : « Il serait hâtif, écrit-il, de conclure à l’absence de tout rebondissement. Les vagues violentes liées aux différents variants sont des signes qu’il faut jauger avec lucidité. La crise sanitaire n’est pas finie et ses conséquences économiques et sociales risquent d’être durables ». L’analyse à laquelle il procède ensuite tout au long des pages suivantes, résumant les dix-huit mois d’épreuve que le Maroc a traversés est un regard sans concession à la politique menée pour combattre le fléau. C’est surtout un hommage au Roi Mohammed VI qui, dès mars 2019, autrement dit à peine ou presqu’annoncés les premiers et graves signes du virus, a pris la tête de ce combat inédit.

Donnant l’exemple en personne, le Souverain a pris les devants, mobilisant un premier Fonds de solidarité auquel ont participé, outre l’Etat et le Fonds Hassan II, des opérateurs privés, grands, moyens et petits, les diverses institutions , le peuple d’une manière générale et décisive. Dans la foulée, le Roi convoqua les chefs de l’armée, de la gendarmerie, de la police, les responsables de la santé et tout ce qui s’apparente à l’Etat global. Outre ses hautes instructions, il leur insuffla l’esprit d’une solidarité exigeante, un engagement ferme. Abdelmalek Alaoui nous dit que « dès le départ, le Roi du Maroc a pris la menace du virus très au sérieux.(…) En s’impliquant sans retenue, il a montré une volonté et tenu un cap. Mais il a également du tirer parti de la crise pour continuer à moderniser le Royaume ».

Le tropisme propre au grand texte de ce livre, est une sensibilité aigue à l’actualité pandémique et , en même temps, une vision anthropologique à la fois du monde et du Maroc. Le recours à l’histoire et à la mémoire est une méthodologie comparative salutaire ici pour ancrer les événements spécifiques du Maroc et les contextualiser. L’auteur s’appuie sur l’une et les autres avec le souci de dégager un modèle. Celui d’un Maroc qui, sous la conduite éclairée et judicieuse d’un chef d’Etat ayant su gérer dès le départ la crise avec talent et détermination. Tant et si bien que notre pays est cité en exemple depuis le début de la pandémie, il a su également s’approprier les moyens et les techniques pour fabriquer ses propres masques, ses respirateurs, voire bientôt ses propres vaccins.

Un combat national dont Abdelmalek Alaoui, souligne d’un bout du livre à l’autre, le rôle central du Roi Mohammed VI. Quand d’autres, de la grande et belle Europe à l’Asie, nous affirme l’auteur, en étaient encore à s’interroger sur la nature des vaccins ou ergotaient sur leur efficacité, le Maroc a commencé à vacciner ses populations massivement, autant que peuvent le lui permettre les quantités de doses réceptionnées. Fin juillet nous en arrivons à pas moins de 13 millions de citoyens vaccinés sur une population de 36 millions d’âmes, soit à peu près quelque 33% …

Sobre, bien écrit, ne sacrifiant à aucun dogme

L’opération rondement menée du combat anti-covid ayant de l’avis de tous réussi , le livre « Le Temps du Maroc » l’inscrit dans le contexte d’un grand et prioritaire souci royal, celui d’épargner au peuple marocain la détresse médicale et sanitaire. Toutefois, nous assure-t-il, elle serait vaine et non avenue si elle ne s’accompagnait d’une autre exaltante conquête : la poursuite du développement économique et social. Là aussi, le détricotage analytique auquel l’auteur se livre est une véritable exploration judicieuse à grande échelle. Interdisciplinaire, multiforme, elle n’épargne nul secteur d’activité , aucun champ : politique, économique, social, culturel, religieux, technologique…Méthodiquement ou feignant l’inadvertance Abdelmalek Alaoui accorde à chaque activité la pertinence nécessaire et adéquate , le mot juste qui convient, l’objectivité qui lui sied, sans langue de bois mais rigoureuse.

Sobre et bien écrit, ne sacrifiant à aucun artifice partisan, objectif à l’envie mais personnel dans le jugement, plus que tout libéré de cette empoisonnante rhétorique de « futuriste » engoncé dans le langage technocratique, à sa manière une prose poétique, ce livre est une contribution à la connaissance du Maroc présent, d’un pays engagé dans la modernité, en son siècle. S’il fallait sacrifier à quelque métaphore , l’on dirait volontiers qu’il constitue une sorte de bréviaire ou une mannette à clés !  Les dix-huit mois dans lesquels l’auteur prétend ou souhaite enfermer le pays sont, à vrai dire, vingt-deux ans de réalisations acharnées, menées tambour battant sous le règne d’un Roi pressé dès son arrivée au pouvoir en 1999 d’en découdre avec le sous-développement, les fanges de la pauvreté, la corruption au cœur de l’Etat, l’isolement diplomatique et la marginalisation. Mohammed VI qui est au principe de ce livre ce que l’âme est à la nation, se reflète avec bonheur dans un ouvrage écrit avec une lente passion,  dominé par une conviction chevillée au corps chez l’auteur : témoigner….Témoigner à l’instar de cet « universel reportage » dont s’était inspiré un certain Malraux, dans son œuvre lumineuse s’il en est.

Le mot suffit à lui seul pour nous dire avec quel scrupule Abdelmalek Alaoui est sorti des sentiers battus – notamment suite à ses derniers livres – pour à la fois changer de style, réorienter ses préoccupations, non pas changer de cap, loin de là, mais également nous projeter dans une autre étrangeté : la réflexion panoptique, celle qui embrasse un champ large de problématiques, avec un même fil conducteur, celui de la discrète critique voltairienne. Vaste et monumental – et le mot ne sacrifie à aucune complaisance -, ambitieux, « Le Temps du Maroc » est d’une écriture limpide, si fluide et profonde qu’il ne nous laisse pas, à travers ses pages captivantes, de surprendre. Il incarne à présent et dans les circonstances exceptionnelles que la planète vit et supporte, et que le Royaume chérifien assume à son tour, la réflexion majeure et nécessaire que tout intellectuel devrait s’imposer à lui-même.

Un livre éminemment politique

Il a vite fait, quant à lui, de nous suggérer un « modèle national » d’engagement. Disons l’archétype d’adhésion aux valeurs que notre pays n’a de cesse d’épouser sous la conduite de ses Rois. De cette vaste et longue fresque quasi picturale du Maroc aux diverses couleurs, aux siècles successifs de luttes, Abdelmalek Alaoui a presque donné la substantifique science, il a défini le nouveau patriotisme, ouvert la voie au chemin laborieux de la solidarité. Dans le sillage, ne l’oublions jamais, de son digne père Moulay Ahmed Alaoui, fondateur et bâtisseur du groupe de presse « Maroc-Soir » et « Le Matin », ministre d’Etat de feu le Roi Hassan II qui portait comme un colifichet le patriotisme sur son cœur. Comme une tendre filiation, le fils a repris le titre du magazine « Temps du Maroc » que son défunt père avait lancé en novembre 1994…

« Le Temps du Maroc » , ce grand livre nous révèle en revanche un auteur à grande dimension, un témoin contemporain de nos marches multiples. Il convient de souligner que l’essentiel de cet ouvrage qui fera date, réside probablement dans le fait qu’il s’impose comme l’œuvre d’un intellectuel qui ambitionne de rallier ceux qui veulent faire partie de la Solution et qui adhèrent au Pacte de progrès marocain, sans jamais sombrer dans la complaisance ou minimiser les défis. En ce sens , et pour conclure, « Le Temps du Maroc » constitue un livre éminemment politique.

(1) « Le Temps du Maroc », édité chez La Croisée des chemins , Casablanca

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