Le triomphe modeste du Dr. Omar, mon fils

Par Abdelkader Dalil (*)

Le 28 juillet 1977, à l’issue d’une soutenance corsée qui dura cinq longues heures, devant un jury de grands économistes présidé à l’époque par le pape de l’économie marocaine qui allait devenir plus tard un des plus grands ministres de l’économie et des finances du pays, devant un parterre de ministres dont le puissant ministre Zemmouri de l’intérieur, le père a soutenu brillamment son travail de recherche sur la stratégie des investissements de l’Etat au Maroc (1912-1977). Il obtint, à cette même occasion solennelle, le Premier prix de recherche en économie publique et l’autorisation de publication du manuscrit.

Le comble c’est qu’à quelques minutes de l’entrée au purgatoire de cette épreuve de soutenance, mon assurance était au zénith, la certitude que je ressentais d’obtenir la meilleure récompense était aussi inébranlable qu’arrogante. Mon ami de toujours, AB, en est le témoin privilégié !

J’avais juré, en sirotant quelques bières au bar du Terminus à Rabat-ville, que « je brûlerai ce bouquin en public si je n’obtenais pas le prix d’excellence ». Je n’ai pas eu, heureusement, à le faire. Car les résultats furent au-delà de mes attentes, puisque l’université Aix-Marseille m’a choisi pour m’inscrire, par mérite, en Doctorat d’Etat!
Le 28 juillet 2022, une pure coïncidence chronologique, quarante cinq ans jour pour jour après, le fils, un de mes fils soutient aussi brillamment une thèse de Doctorat en médecine devant un parterre aussi fameux d’illustres professeurs de médecine qui lui décernèrent la plus haute et prestigieuse mention « Très honorable » et l’autorisèrent, lui aussi, vu la grande qualité de sa recherche médicale, à la publier entre pairs et en public.

Omar a non seulement exaucé le vœu de feu son oncle, Dr. Dalil que Dieu ait son âme en paix, mais il a perpétué la tradition familiale de l’excellence intellectuelle. Quelle belle continuité, quelle magique performance ! Mais à l’inverse du père, gonflé de certitude, le fils donnait l’impression de douter de la qualité de sa production ! Aux yeux de ceux ou celles qui ne connaissaient pas finement Omar, son doute serait permis, mais pour le père qui avait une conscience aiguë des potentialités exponentielles du fils, le doute qui l’a en apparence traversé n’était en réalité qu’une des formes de sa marque de fabrique qu’est la modestie!

Omar change, ce jeudi 28 juillet 2022, de statut : d’étudiant en médecine il devient, à l’issue d’un exposé magistral, clair, « didactique » même, docteur en médecine ! Il perpétue ainsi le souvenir de feu son oncle, chirurgien ORL de son vivant, rejoint la communauté familiale de médecins et de professeurs ; il fait honneur à son père, à son frère aîné manifestement très heureux, à sa sœur tourbillonnante de bonheur et surtout à sa mère dont il est la coqueluche, le titre de légitimité sociale, l’assurance-vie, une autre forme d’exhibition de sa réussite financière, la récompense symbolique de son franc engagement pécuniaire.

Nous découvrons, ce jour, que Omar n’était pas aimé et admiré seulement par ses proches, mais également par ses illustres et éminents professeurs qui ont, unanimement, mis en exergue en boucle, dans un amphithéâtre quasiment bondé, devant un public fervent et enthousiaste, ses grandes qualités extra-professionnelles de modestie, d’humanité, de politesse et de sympathie. Ces membres du jury ont tous, sans exception, souligné, au passage, le rôle des parents dans la bonne éducation, tant louée et admirée, de Omar.

Émue, mon épouse fut ébranlée aux larmes ; aussi ému à ses côtés, j’ai lutté de toutes mes forces psychiques contre la pression lacrymale ! Je n’ai cependant pas réussi à l’inhiber ! Il s’agit là d’une traduction physiologique irrépressible de la joie intense ! Il n’y a pas à en rougir, même en public. Une délicieuse sensation de joie intense traversa, à l’instar d’un fort courant électrique, l’ensemble de mon corps : ce jeudi béni laissera à jamais une empreinte indélébile dans la mémoire familiale. D’autant plus, fait remarquable, que toute la petite famille était ce jour-là irrémédiablement réconciliée et joyeusement rassemblée !

Mon épouse et moi-même pouvons, aujourd’hui, crier, haut et fort, que nous sommes des parents comblés ! Nous pourrons, à l’échéance prédéterminée, partir, ailleurs, en toute tranquillité car nous demeurerons, sans doute, vivants à travers notre excellente progéniture.

(*) Economiste, ancien haut cadre au ministère de l’Intérieur

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