L’écriture, un autre pilier de la résilience !

Hassan Bakhsiss

Ça semble logique qu’on soit tous égaux, mais en matière de résilience, donc de capacités de se reconstruire après un traumatisme subi, nous sommes très loin d’être égaux. Certains sont plus égaux que d’autres ! En réalité, nous n’avons pas les mêmes capacités à encaisser les coups et à nous relever. Chaque être est unique. Suite à des drames et des détresses à répétition pendant l’enfance ou même plus tard, nous réagissons tous face à la difficulté de vivre comme des ressorts soumis à des chocs. « En sciences physiques, la résilience est la capacité d’un matériau à absorber de l’énergie lorsqu’il se déforme sous l’effet d’un choc ». Le ressort intime est souvent utilisé en psychologie pour expliquer le processus de la résilience chez les êtres humains. Chaque individu a sa propre constante de raideur. Sous un choc répétitif, certains reprennent leur état normal ou presque, mais d’autres sombrent dans le silence. J’étais moi-même un sujet torturé parfois en rupture. Et j’avais trimbalé trop longtemps dans mon âme, un halo obscur qui m’a empêché de voir la lumière.

Comme si j’étais happé par le trou noir : ce monstre cosmique doté de la plus intense gravitationnelle de tout l’Univers. Comme le fait l’eau avant de s’engouffrer dans le trou d’un lavabo. Mais l’objectif de cet article n’est pas de ressasser sans fin les pages douloureuses de mon enfance. En écrivant, je cherche à redonner vie à ce qui a été tué en moi autrefois ! Les spécialistes savent bien que l’affectif et la verbalisation sont deux facteurs importants dans la résilience. Le neuropsychiatre français et auteur de nombreux ouvrages Boris CYRULNIK a écrit sur la résilience, cette capacité de se reconstruire et de vivre en dépit d’un traumatisme. Orphelin, il a échappé à une rafle de justesse à 6 ans pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier écrit « Pendant quarante ans, ma vie a été muette, jusqu’au moment où je me suis décidé à écrire… »

Dans ma carrière d’enseignant et éducateur, j’avais remarqué que les enfants victimes d’afflictions diverses ou de carences affectives avaient un penchant de distraction pendant mes cours de mathématiques à dessiner ou à écrire leurs histoires aux autres. J’étais intrigué par ce besoin d’écrire qui était propre à ce profil d’enfants. Dans mon cas, la lecture a été une phase nécessaire et un facteur déclencheur dans mon processus de reconstruction. En l’absence de l’écriture, les détresses pénètrent par effraction dans le psychisme et elles y demeurent. Et en ce qui me concerne, elle était salutaire, car je me voyais plonger dans une forme intense de rêveries qui me couperait du réel. En m’intéressant à l’origine de ce besoin d’écrire, j’ai appris que parmi les trente-cinq écrivains les plus célèbres du XIXème siècle, qui nous fascinent par la qualité de leur écriture, le nombre d’orphelins et d’abandonnés est anormalement élevé. Sur trente-cinq écrivains, dix-sept sont concernés.

 Je constate que l’écriture est liée intiment à l’imagination et cette dernière flambe en choisissant les mots actifs qui empêchent l’agonie psychique. Lorsque le mal –être devient profond et augmente son emprise, l’écriture devient alors libératrice. C’est une passeuse de vie ! Pendant l’acte de l’écriture, les mots s’affairent pour être à son service et l’écrivain raccommode les fragments éclatés de son propre être. L’écriture semble donner du sens à l’incohérence, au chaos et comble le gouffre de la perte (par exemple le décès de Léopoldine chez Victor Hugo). Je ne prétends pas affirmer que l’écriture est la seule voie qui permet l’accès au chemin de la résilience. Mais il paraît évident qu’au-delà d’un seuil de souffrance, les victimes en butte aux persécutions formalisent leur mal-être pour le voir hors de soi. Ils utilisent d’autres échappatoires dans la création tels que la peinture, la caricature, la musique, la danse, le théâtre pour se reconstruire. La mise en scène du malaise et du mal-être semble être le point commun entre la création et l’écriture. Formaliser son mal-être libère de l’énergie pour mieux le comprendre et de s’en séparer.

 Ferdinand Hodler fut traumatisé lorsqu’il était enfant. Toute sa famille avait été décimée par la tuberculose. Hodler a fini par avoir l’impression qu’il y avait toujours un mort dans la maison et qu’il devait en être ainsi. Plus tard, Hodler est devenu l’un des plus célèbres artistes peintres suisses, la mort fut le sujet principal de sa peinture ! Les exemples sont trop nombreux qui montrent que la verbalisation semble être une composante essentielle dans le processus de résilience. Dans mon cas, c’est la fureur de l’écriture qui m’a dominé pour en finir avec tous mes tourments. Pour guérir, celui qui écrit ne doit pas s’enfermer dans le spectre de l’écriture sans voir ses traumas. L’écriture permet d’évacuer le désordre intérieur !

Certains traumatismes sont parfois invisibles, labyrinthiques, silencieux et voraces, il faut qu’on les voie et c’est l’écriture qui s’en charge. En ce qui me concerne, pour progresser dans sa propre reconstruction, l’écriture sombre ne doit pas s’apparenter à un tombeau qui consiste à ruminer en boucle sa souffrance ; elle doit avoir une projection vers ce qui est de mieux ou de meilleur. Elle doit inviter à la vigilance et à l’ouverture vers d’autres univers mentaux, à la socialisation et l’épanouissement. Elle doit contenir le démon qui nous hante et l’extraire hors de nous, hors état de nuire. L’écriture avant d’être une pensée est un acte. Dans le processus de résilience, l’objectif de l’écriture est de mettre le trauma en scène afin qu’il soit vu. L’écriture réfléchie recèle un pouvoir de guérison. Je n’étais jamais aussi vivant et aussi complet que depuis je me suis débarrassé de tous les tourments encombrants ! Je suis persuadé des bienfaits de l’imaginaire et des capacités de résilience que recèle l’écriture. Le célèbre écrivain Ernesto SABATO écrivait : « L’essentiel de l’œuvre d’un créateur, c’est ce qui résulte d’une obsession de son enfance. » Et c’est mon cas !

L’écriture est un baume au cœur, elle m’a guéri. Je ne saurais mieux dire. Elle métamorphose notre vie et notre destinée.

Il y a toute une genèse autour de la résilience et sans vouloir entrer dans des considérations d’ordre sémantique, c’est le bien être des individus éteints et impactés par la difficulté de vivre qui compte ! Et comme écrivait Xiaoping Deng : « Peu importe que le chat soit gris ou noir pourvu qu’il attrape les souris. » Mais, ce qui me différencie peut-être des autres, c’est que je crois intensément à Dieu et peu aux Hommes. Et c’est grâce à mes prières, mon ADN, que Dieu allège mes tourments. Il polarise ma plume avec une énergie décuplée et les mots fusent pour donner corps aux démons qui me hantent afin que ces derniers soient vus !

Inconditionnel de la plume et malgré les « technologies nouvelles », je vis encore et je suis heureux. Le livre n’est pas encore mort. Un bon signe pour la résilience. Et c’est réconfortant.

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