L’endettement des entreprises : le revers de la médaille

Positionné en ligne de front pour faire face aux effets de la crise, le secteur bancaire propose essentiellement de la dette aux entreprises. Une bouffée d’oxygène bienvenue mais qui risque d’alourdir sérieusement leur passif. Une bombe à retardement dangereuse dont les dégâts peuvent être circonscrits avec de nouvelles approches notamment pour renforcer la capitalisation. Décryptage.

 Plus de 9.620 entreprises marocaines pourraient faire faillite en 2020. C’est ce qui ressort d’une nouvelle étude d’Euler Hermes sur le risque d’impayés. La tendance devrait même s’accentuer d’environ 11% en 2021, avec 10.583 cas. Dans ce rapport, le spécialiste mondial de l’assurance-crédit détaille notamment l’impact de la Covid-19 sur la santé financière des opérateurs économiques. Les experts de l’assureur-crédit tablent ainsi sur une hausse de 14% des défaillances d’entreprises au Maroc cette année, après +6% en 2019. Des chiffres qui donnent des sueurs froides aux entrepreneurs marocains.

Pour éviter les faillites en série, le Maroc, à l’instar de nombreux pays du monde, a donc ouvert le robinet pour irriguer l’économie, largement affectée par la pandémie, notamment grâce à la facilitation de l’accès au crédit pour les entreprises. Les banques incarnent désormais le fer de lance des mesures mises en place pour soutenir la production et la compétitivité économiques. Ainsi, plusieurs dispositifs ont été mis en place par le gouvernement afin d’aider les entreprises, plombées par une chute brutale de leurs revenus. L’un d’eux consiste à garantir les prêts accordés par les banques pour faire face aux besoins de trésorerie. C’est en ce sens que verront le jour des produits à l’instar de Damane Oxygène et Damane Relance. Pour le premier, les entreprises durement touchées peuvent par exemple emprunter jusqu’à 20 millions de dirhams afin de faire face aux charges courantes. Une sorte de découvert exceptionnel pour lequel l’État se porte garant à hauteur de 95% à travers la Caisse Centrale de Garantie (CCG), les 10% restant étant supporté par la banque prêteuse. L’État a donc largement ouvert les vannes. Pour Kamal Zine, consultant en banque et assurance à Paris, « nous assistons aujourd’hui à une «première vague» de demandes de financement des entreprises où ces dernières essaient de survivre en répondant à des besoins urgents et aigus de trésorerie. La «deuxième vague» concernera, outre les besoins de trésorerie qui continueront d’exister, le financement des investissements liés à la phase de relance ». Certes, cet engouement est à saluer. Toutefois, ces mesures prises pour soutenir le tissu économique ont été toutes basées sur le crédit, ce qui interpelle sur le risque de surendettement des entreprises ainsi que sur la hausse du coût du risque pour les banques.

Un endettement de trop les entreprises et pour le secteur bancaire ?

Le surendettement des entreprises marocaines constitue le principal danger de ces produits si la crise économique persiste. Représentant 88% du total des financements aux entreprises, les crédits accordés par les banques ont enregistré une accélération à 5,6%, après 0,7% l’année précédente à la faveur des entreprises privées qui ont vu leur encours augmenter de 6,4% à près de 401,5 milliards de dirhams, indique Bank Al-Maghrib (BAM) dans son rapport annuel sur la supervision bancaire au titre de l’exercice 2019. Pour les crédits accordés par les sociétés de financement aux entreprises, ils ont marqué une croissance de 4,4% à 59 milliards de dirhams, contre 4,7% une année auparavant, grâce essentiellement à la hausse des opérations de financement via le leasing (+4,2%). Quant aux crédits accordés aux très petites, petites et moyennes et entreprises (TPME), ils constituent 37% du total accordé aux entreprises. Alors que les TPME constituent 95% du tissu économique et sont malheureusement en ligne de front de cette guerre qui risque de faire beaucoup de victimes.

Mais, cette forte sollicitation du secteur bancaire pourrait engendrer deux risques majeurs. Selon notre consultant, le premier concerne le surendettement des entreprises. Ces dernières « auront moins de marges de manœuvre pour saisir de nouvelles opportunités d’investissement, de développement d’offres ou de conquêtes de marchés. Ceci risque de ralentir, voire compromettre la création d’emploi et de valeur pour l’entreprise, l’État et la société. En plus, la question de la solvabilité se posera de plus en plus », explique-t-il. De quoi aggraver davantage les créances en souffrance, ce qui constitue le second risque, encouru par les banques cette fois-ci. « Selon BAM, les créances en souffrance ont connu une hausse soutenue depuis le début de l’année pour atteindre 5,8%. Ainsi, leur montant croit plus vite que le montant des crédits octroyés aux entreprises. Ceci conduirait donc à une hausse du coût du risque des banques et impacterait leurs résultats nets. Si cette tendance se poursuivait, la capacité de financement par les banques du tissu économique risquerait d’être fragilisée », insiste Zine. Notons que les créances en souffrance ont progressé à 70 milliards de dirhams, soit un taux de sinistralité de 7,5% en hausse de 20 points de base. Par conséquent, dans les mois prochains, on va se rendre compte qu’on a réussi à maintenir les sociétés en vie, mais au prix d’une augmentation substantielle de leur dette alors même que la profitabilité va plutôt baisser. De quoi se retrouver dans les deux prochaines années avec des entreprises surendettées. Une vraie bombe à retardement… D’autant plus qu’avec les taux bas de la Banque centrale, les patrons n’ont pas hésité à solliciter leur banquier.

Faut-il donc conditionner l’accès aux financements ? « Vous savez, l’analyse des dossiers de crédit par la banque a comme finalité d’évaluer la capacité de l’entreprise à générer du cashflow et un résultat d’exploitation couvrant les échéances du crédit. Les banques n’ont pas pour vocation d’imposer une orientation stratégique, un plan de recrutement ou bien une transformation des outils de production », souligne notre interlocuteur. « Il est néanmoins souhaitable que la relation formation des outils de production », souligne notre interlocuteur.

« Il est néanmoins souhaitable que la relation entre l’entreprise et la banque s’inscrive dans une démarche de concertation et de consultation pour garder une relation gagnant-gagnant, capable de sécuriser la croissance et la pérennité de l’entreprise. » Sans oublier qu’à la base, l’État vise toujours à créer de l’emploi et de la valeur en accordant des financements directs (dette ou apport financier) ou indirects (exonérations fiscales ou garanties). D’ailleurs, il n’a pas hésité à exiger la préservation de l’emploi en contrepartie des avantages ou financements octroyés dans le projet de loi de finances rectificatif (PLFR) où le gouvernement a conditionné les aides à la reprise de l’activité économique au maintien de 80% des salariés déclarés à la CNSS.

Quelles solutions alternatives ?

Pour remédier à cette situation de surendettement qui risque de grever encore plus l’activité économique, plusieurs pistes sont évoquées çà et là par les économistes et concernent essentiellement le renforcement des capitaux propres. Car il ne faut pas oublier que la crise de la COVID-19 a mis en évidence le problème de la sous-capitalisation des TPE et PME marocaines. Dans un entretien accordé à Médias24, Saad Bendidi évoque ainsi l’option d’un crédit avec possibilité de reconvertir la dette en capital. « On dit à l’entrepreneur de définir ses besoins en crédit. S’il demande un million, on le lui accorde, mais en lui disant que s’il ne rembourse pas, on rentre dans son capital et il se retrouvera dilué », explique l’ancien patron de l’ONA. Cette stratégie a pour conséquence de rationaliser l’endettement, puisque l’entrepreneur fera attention aux montants demandés afin de ne pas perdre le contrôle de sa boîte et dans le cas où il ne peut pas rembourser, l’État récupère une participation qui pourra être revalorisée.

Kamal Zine aborde dans le même sens et préconise le renforcement des capitaux propres comme « une solution qui peut être mise en place grâce à des mesures d’incitation fiscale. Dans ce cadre, une exonération fiscale de 20% du montant du capital apporté peut être appliquée pour encourager les opérations d’augmentation de capital. L’utilisation de la dette convertible en actions ou bien des actions préférentielles peut être encouragée également », précise-t-il. Pour lui, « nous pouvons imaginer des mécanismes de prise de participation par des acteurs publics, privés ou hybrides pour renforcer la capitalisation des TPE/PME et les accompagner dans l’amélioration de leur gouvernance et l’optimisation de leurs ressources financières ». Une option devenue aujourd’hui possible avec la réforme enclenchée de la CCG qui passe au statut de banque publique avec la possibilité d’investir. En outre, le report des échéances fiscales, sociales et bancaires a certes soulagé la trésorerie des PME, mais la crise économique s’étend, malheureusement, à d’autres aspects et sur un horizon plus long. D’où la nécessité de repenser, en impératif, les mécanismes de soutien et de financement pour assurer la relance.

Il n’empêche que toutes ces solutions, pour attractives qu’elles soient, ne pourront être tout à fait pertinentes sans des plans stratégiques sectoriels clairs et bien définis par l’exécutif afin de relancer la machine économique. Après une loi de finances rectificatives tirée à blanc, tous les espoirs reposent sur le prochain texte et attendent avec impatience 202.

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