L’énergie au cœur de l’accélération de l’intégration méditerranéenne

Tribune

Ferid Belhaj*

À l’heure où les pays méditerranéens s’efforcent de tracer leur voie dans le sillage des multiples crises qui ont bouleversé leurs économies, il est plus que jamais capital d’accélérer l’intégration régionale.

L’expansion des flux commerciaux, des investissements bilatéraux et de la mobilité entre pays du nord, du sud et de l’est de la Méditerranée constituerait en effet un moteur essentiel d’une reprise durable. Parmi les différents angles d’attaque possibles pour mener ce chantier à bien, il en est un qui revêt une importance particulièrement stratégique en ce moment charnière : celui de l’énergie.

Le commerce intra-méditerranéen est actuellement estimé à moins de 1 000 milliards de dollars par an, soit à peine un tiers de la valeur des échanges entre la Méditerranée et le reste du monde. Une situation qui tranche avec celle d’autres régions prospères, où les principaux partenaires commerciaux bilatéraux sont souvent des voisins régionaux.

En outre, sur le montant total du commerce régional, environ un tiers porte sur l’énergie. Une intégration économique plus poussée entre la rive sud de la Méditerranée et le bloc européen pourrait véritablement changer la donne énergétique. Une telle transition aiderait l’Europe à s’affranchir de sa forte dépendance aux approvisionnements russes, tout en faisant progresser les objectifs climatiques. Elle permettrait également de générer plus d’opportunités et de prospérité pour les populations du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), en contribuant ainsi plus largement à la stabilité de la région.

Les combustibles fossiles restent la première source d’énergie en Europe, les produits pétroliers représentant environ un tiers du total, suivis du gaz naturel (environ 24 %) et du charbon et autres combustibles fossiles solides (10 %). La guerre en Ukraine a porté un coup brutal aux marchés européens et mondiaux de l’énergie, rendant indispensable une réévaluation radicale de la sécurité énergétique européenne. À court terme, l’augmentation des importations de pétrole et de gaz en provenance des pays du sud et de l’est de la Méditerranée peut aider l’Europe à restructurer ses sources d’approvisionnement en énergie pour ne plus dépendre de la Russie, et ce, d’autant plus dans un contexte de réduction des livraisons de gaz. L’Algérie est déjà le troisième fournisseur de gaz naturel de l’Europe, qui pourrait encore accroître ses importations par gazoduc ou sous forme de GNL auprès des pays du sud et de l’est de la Méditerranée.

Lire aussi : Énergies renouvelables: le Maroc se positionne en leader mondial (PCNS)

À moyen et long terme, la transition de l’Europe vers les énergies renouvelables pourrait être de plus en plus associée à un développement vigoureux de la production d’énergie propre dans la région MENA. L’Union européenne (UE) s’est fixé des objectifs ambitieux en matière climatique et énergétique : elle doit réduire d’ici à 2030 ses émissions de gaz à effet de serre de plus de moitié par rapport au niveau de 1990 et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette demande croissante d’énergie propre est une incitation forte à développer le potentiel encore inexploité des énergies renouvelables dans la région MENA – énergie solaire et éolienne, mais aussi hydrogène vert –, en tirant notamment parti de l’avantage concurrentiel que procure son ensoleillement au versant sud de la Méditerranée.

L’hydrogène bas carbone, plus particulièrement, est désormais considéré comme une composante importante des plans de décarbonation de l’UE. Sa promotion vient compléter la politique énergétique extérieure de l’UE et, en raison de sa proximité géographique, la région de la Méditerranée orientale peut s’imposer comme un fournisseur fiable d’hydrogène vert auprès de l’Europe. La coopération énergétique dans cette région s’est concentrée ces dernières années sur le développement du gaz naturel, mais il est possible de créer des synergies en étendant cette coopération au développement de l’hydrogène, tant à l’export qu’à l’appui des objectifs nationaux de décarbonation.

Conscients de ce potentiel diversifié, de nombreux pays sont passés à l’action. En 2021, la Grèce, Israël et Chypre ont officiellement lancé une coopération autour de la construction de l’EuroAsia Interconnector, un projet de câbles sous-marins qui devrait permettre, dès 2025, l’approvisionnement en électricité produite en Israël à partir de sources renouvelables.

Un projet similaire est à l’étude entre l’Égypte et la Grèce, ainsi qu’entre l’Italie et la Tunisie et l’Algérie. ELMED, le projet d’interconnexion électrique entre l’Italie et la Tunisie, se trouve à un stade avancé de préparation tandis que, dans la région occidentale de la Méditerranée, le Maroc et l’Espagne échangent déjà du gaz et de l’électricité. La récente signature, lors de la COP27, d’un protocole d’accord sur l’échange durable d’électricité (SET) conclu entre le Maroc, l’Espagne, le Portugal, la France et l’Allemagne pour promouvoir le commerce transfrontalier des énergies vertes vient encore souligner l’accélération de l’intégration méditerranéenne dans le secteur de l’énergie.

La marche vers les énergies renouvelables s’accélère dans la région MENA. Le Maroc, par exemple, a pour objectif de porter la part des énergies renouvelables dans sa capacité totale de production électrique à 80 % d’ici 2050. Cette dynamique, qui bénéficie des accords d’investissement européens sur la production d’énergie propre dans la région, pourrait non seulement permettre d’augmenter le PIB dans les pays de la région MENA concernés, mais aussi créer des emplois qui font aujourd’hui cruellement défaut.

Le défi que constitue aujourd’hui la nécessité de fournir à l’Europe un approvisionnement énergétique suffisant – et de plus en plus propre – offre une occasion historique d’engager les pays de la région MENA dans un cercle vertueux d’échanges, de croissance et de paix, tout en avançant dans la transition vers le renouvelable. C’est une stratégie gagnant-gagnant et une chance qu’il ne faut pas laisser passer.

*Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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