Les dynamiques socio-économiques et politiques autour de la migration au Maroc

Amal El Ouassif, Spécialiste en relations internationales au Policy Center for the New South

La position géographique du Maroc et son histoire en font un pays stratégique en matière de migration internationale. Longtemps considéré comme pays d’origine, le développement rapide du Maroc l’a fait passer du statut de pays d’origine à pays de transit et de destination pour les migrants d’autres régions d’Afrique. Ce changement dans le contexte migratoire du Maroc a conduit à l’adoption d’une série de politiques et d’actions gouvernementales pour tirer profit de la migration internationale et atténuer ses risques. Ce policy brief élaboré par Amal El Ouassif, spécialiste en relations internationales au Policy Center for the New South, donne un aperçu de la stratégie marocaine en matière de migration ainsi que des principaux moteurs de la migration au Maroc.

Principaux moteurs de la migration marocaine

Les résultats de l’Enquête nationale sur la migration internationale 2018-2019 (HCP) offrent un éclairage intéressant pour comprendre les moteurs de la migration au Maroc. Globalement, trois raisons sont à l’origine de la migration des Marocains à l’étranger.

  • Les migrants recherchent de meilleures perspectives socio-économiques, notamment des opportunités d’emploi, de meilleurs revenus et de meilleures conditions de vie.
  • Les migrants se déplacent pour des raisons sociales liées au regroupement familial ou au statut marital (mariage, divorce ou séparation).
  • Enfin, une petite proportion de Marocains a choisi d’émigrer pour des raisons humanitaires liées à l’intégration, aux traditions, aux coutumes et à la religion. Les libertés, les droits, la discrimination et le racisme sont également des motifs humanitaires, en plus de la perception d’un risque de persécution pour des raisons politiques ou religieuses.

Souvent, les pays d’origine des migrants illégaux présentent plusieurs facteurs qui poussent leurs ressortissants à rechercher des opportunités à l’étranger, même si cela implique d’entreprendre des voyages dangereux en tant que migrants illégaux. Ces facteurs vont de la pauvreté/manque d’opportunités, des niveaux élevés de chômage des jeunes, à la faiblesse des infrastructures et à l’insuffisance des services publics.

Outre les raisons économiques et sociales, l’absence de couloirs légaux suffisants pour la mobilité conduit à la migration irrégulière. Dans le cas du Maroc, l’obligation de visa pour entrer en Espagne n’a été imposée aux Marocains que lorsque l’Espagne a signé l’accord de Schengen en 1991. Par la suite, un grand nombre de migrants marocains illégaux ont commencé à arriver et à s’installer en Espagne.

Instruments légaux pour lutter contre la migration irrégulière au Maroc

En 2014, le gouvernement du Maroc a officiellement adopté la Stratégie nationale sur l’immigration et l’asile. Globalement, ses principaux objectifs étaient : la régularisation du statut administratif des immigrants illégaux qualifiés, l’intégration et l’accès aux services publics (éducation, santé et emploi), et la mise à niveau du cadre juridique (lutte contre la migration irrégulière et la traite des êtres humains). Conformément à cette stratégie, 23 096 réfugiés et migrants ont reçu un permis de séjour en 2014 et 20 000 autres ont été régularisés en 2017. Le Maroc est devenu, ainsi, le premier pays africain à procéder à la régularisation des étrangers en situation irrégulière.

→ Lire aussi : Afrique : Migration et intégration régionale

Parallèlement à l’approche humanitaire de la migration, le Maroc a mis à niveau son approche sécuritaire de la migration illégale. Au niveau institutionnel, le Maroc a adopté en 2003 la loi 02-03 relative à « l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’immigration et à l’immigration clandestine ». L’article 50 de cette loi pénalise l’immigration irrégulière.

Sur le terrain, le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) et la Direction générale de la surveillance du territoire national collaborent au démantèlement des réseaux de contrebande et du crime organisé. Selon le ministère marocain de l’Intérieur, en 2018 – derniers chiffres avant l’apparition de la pandémie de coronavirus en 2020 – plus de 76 000 tentatives d’immigration clandestine ont été déjouées, en plus du démantèlement de 174 réseaux de trafics. Ces chiffres sont comparables aux tentatives échouées détectées par les forces de garde aux frontières européennes la même année. De ce fait, la moitié des tentatives de traversées illégales vers l’Europe en 2018 ont été arrêtées au Maroc avant d’atteindre les côtes européennes.

La coopération transnationale est un autre outil puissant mobilisé par le Maroc pour limiter la migration irrégulière. Le premier exemple est la coopération bilatérale avec l’Espagne. Des sources gouvernementales et médiatiques espagnoles confirment que les efforts du Maroc ont contribué à réduire de moitié les traversées irrégulières en 2018. Le rapport de l’Organisation internationale pour les migrations a indiqué qu’en avril 2019, 820 migrants sont arrivés en Espagne, contre plus de 1700 le même mois l’année précédente.

Le Maroc affirme que la migration irrégulière ne peut être combattue uniquement par des mesures de sécurité. D’où le fait que, dans ses négociations avec ses homologues européens, le Maroc a toujours refusé de jouer le rôle de « police des frontières de l’Europe » et insiste sur l’importance du développement dans la prévention de la migration illégale. Les pays européens voisins semblent partager le même point de vue au niveau de l’UE, en faisant pression pour que davantage de fonds soient débloqués pour les pays qui limitent activement les traversées illégales en Méditerranée. Ainsi, l’Union européenne a fourni un fonds de 101,7 millions d’euros au Maroc dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, qui vise à stabiliser et à traiter les causes profondes de la migration irrégulière et des personnes déplacées en Afrique.

COVID-19 et son impact sur la migration irrégulière

Dès la mise en place des mesures de confinement et d’éloignement social au Maroc, un fonds de solidarité a été créé pour répondre aux besoins sanitaires et socio-économiques des catégories les plus vulnérables. Sachant que le Maroc ne disposait pas nécessairement d’une politique sociale globale qui aurait pu être adaptée pour atténuer les conséquences de la crise du COVID-19, l’opinion générale est positive quant aux décisions d’aide sociale prises par le gouvernement.

Toutefois, les choses ont commencé à changer avec le retour progressif à des activités professionnelles normales, car les travailleurs sans papiers, en particulier ceux qui travaillent dans le secteur des services, ont eu du mal à retrouver leurs niveaux d’activité d’avant la crise.

D’une part, la pandémie a accéléré le processus de développement du registre social unique, qui est un mécanisme de ciblage social qui permettra une meilleure inclusion sociale des populations vulnérables. D’autre part, les conséquences de la crise vont être économiquement très difficiles à court et moyen terme. Depuis le début de la pandémie, des millions d’emplois ont été perdus dans le monde. L’Afrique ne sera pas épargnée par cette tendance. Il y aura donc des pressions migratoires si des politiques d’atténuation efficaces ne sont pas adoptées rapidement.

En résumé, l’intérêt du Maroc pour les questions de migration et de mobilité, tant au niveau continental qu’international, semble être naturel et impliqué par son histoire géographique et politique. Les récentes mesures prises par le gouvernement pour promouvoir l’inclusion des migrants et prévenir la migration irrégulière reflètent un réel dévouement de la part des autorités marocaines, et un élan pour des politiques positives dans le domaine de la migration. Cependant, des obstacles à la mise en œuvre de cette vision persistent, notamment parce que le changement de la loi existante sur la migration irrégulière n’est pas encore opérationnel. En outre, la vision ambitieuse de l’inclusion sociale des migrants et des réfugiés nécessiterait une mobilisation totale des parties prenantes, ce qui pourrait être un défi.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page