Les retombées de la Covid-19 risquent de radicaliser le hirak algérien

Les retombées économiques et sociales de la crise déclenchée par la Covid-19 et les mesures de confinement mises en place par les autorités algériennes risquent de radicaliser le mouvement de contestation (hirak), souligne lundi un rapport de l’Intenational Crisis Group.

Ce rapport de 32 pages, intitulé « Algérie : vers le déconfinement du hirak ? », prévient que malgré les mesures d’urgence prises par les autorités algériennes, « la plupart des projections demeurent pessimistes quant à la capacité de l’Algérie, qui tire la majorité de ses recettes fiscales de l’exportation d’hydrocarbures, à faire face à des défis macroéconomiques devenus colossaux, en raison de la paralysie économique mondiale ».

Depuis la chute du prix du Brent en 2014, les dépenses publiques augmentent par rapport aux revenus de l’Etat, alors que les volumes de production et d’exportation d’hydrocarbures diminuent régulièrement, obligeant l’Etat à emprunter auprès des banques nationales, relève l’étude.

La crise s’accélère brutalement avec la chute historique des prix du pétrole et s’exacerbe davantage par les effets de la Covid-19, qui font plonger les cours du baril aux niveaux les plus bas de ces 40 dernières années, tandis que les déficits budgétaires et commerciaux ne pourront se résorber sans un endettement extérieur et des mesures d’austérité susceptibles d’attiser les tensions sociales.

Les autorités ont beau écarter l’éventualité de laisser la monnaie nationale se déprécier et de recourir à l’endettement extérieur, l’Algérie pourrait néanmoins avoir besoin du soutien du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale afin de renflouer ses réserves de change, pour qu’elle puisse mener d’éventuelles réformes économiques, sans pour autant imposer des conditionnalités trop strictes.

Si l’Algérie les acceptait, en effet, elles risqueraient –comme dans les années 1990– de déstabiliser d’importants réseaux de clientèle qui participent à la gestion de la rente tirée des hydrocarbures et d’intensifier les violences.

D’autres facteurs risquent de nuire à l’économie nationale, la purge au sein des milieux politique, administratif et économique que les autorités ont entamée fin 2019 en réponse aux revendications du hirak ayant conduit à la liquidation de plus de 60% des entreprises de bâtiments publics, l’un des secteurs économiques les plus importants, en dehors de celui des hydrocarbures.

Plus de 10 millions de travailleurs informels (soit environ la moitié des travailleurs), en particulier dans l’agriculture mais également la construction, le commerce, les hôtels-restaurants, les industries manufacturières, les transports, la communication et le marché de change, ont vu leurs revenus sensiblement réduits au cours du confinement partiel.

Autant dire que la levée du confinement partiel pourrait marquer le début d’une période de plus forte agitation sociale, qui mettrait potentiellement fin au statu quo entre le pouvoir et le hirak, débouchant sur une lutte plus offensive, dont les conséquences sont imprévisibles.

Pour le moment, poursuit le rapport, les grèves et la désobéissance civile sont restées marginales, mais de nouveaux manifestants, heurtés de plein fouet par l’impact économique de la crise de la Covid-19 (jeunes travailleurs du commerce formel et informel surtout), pourraient encourager le hirak à y recourir davantage.

Plusieurs jeunes en situation précaire dans le secteur privé affirment en effet ne plus avoir aucun revenu depuis trois mois, ce qui alimente leur défiance à l’égard des institutions et pourrait les pousser sur la voie de la délinquance et de la petite criminalité.

A court terme, le gouvernement algérien pourrait devoir recourir à l’endettement extérieur et renforcer considérablement les mesures d’austérité budgétaire, avec pour conséquence possible une recrudescence des tensions sociales.

Lorsque les mesures de confinement seront levées dans l’ensemble du pays, le hirak pourrait adopter une position plus offensive, relève l’étude, notant que les conditions sont réunies pour que les marches bihebdomadaires reprennent et que s’y ajoutent des grèves générales et la désobéissance civile, ce qui exacerberait le conflit avec le pouvoir, au risque de créer un vide laissant la place, dans quelques années, à des groupes minoritaires prônant un discours plus dur et des modes d’actions plus radicaux.

Ceci est d’autant plus vrai que, en dépit des promesses d’ouverture démocratique, les militants du hirak restent méfiants quant aux intentions du pouvoir, plusieurs contestataires soutenant que les faits contredisent ces promesses et craignent que les dispositions libérales prévues dans la future constitution ne se concrétiseront pas.

De plus, nombre d’activistes redoutent que les autorités utilisent la Covid-19– la peur du virus et les mesures prises pour l’endiguer– pour réaffirmer leur emprise, signale encore le rapport.

Et de conclure qu’il est nécessaire d’éviter que le pouvoir et le hirak n’entrent dans une lutte plus offensive, ou que le hirak ne s’enlise, car faute d’un dialogue politique qui puisse mettre fin aux hostilités, les autorités devraient profiter de l’union nationale face à l’épidémie pour desserrer leur étau sur la contestation populaire.

Ce rapport se fonde sur des entretiens conduits entre février 2019 et mai 2020 avec des hauts fonctionnaires, principalement d’anciens responsables administratifs, des universitaires algériens, des élus locaux, des responsables de partis politiques, des citoyens impliqués dans le hirak et des membres d’organisations internationales. L’International Crisis Group est une organisation non gouvernementale indépendante à but non lucratif basée à Bruxelles qui emploie près de 120 personnes présentes sur les cinq continents.

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