Les vulnérabilités sociales: Concepts, approches et perceptions (Analyse du PCNS)

Dans une publication de Policy Center for the New South (PCNS), Larabi Jaidi*, économiste et membre de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement a réalisé un Policy Papier (PP) intitulé « La mesure des vulnérabilités sociales : L’éclairage de la Covid-19 » afin d’éclairer l’opinion publique sur les limites de certains concepts pour saisir les vulnérabilités sociales.

Résumé_La mesure des vulnérabilités de notre société a été mise à mal par la Covid-19. La pandémie nous a dévoilé les insuffisances des concepts de pauvreté, de vulnérabilité, d’emploi, d’activité, de classes moyennes…mobilisés par les chercheurs et les décideurs pour connaître les différentes facettes des phénomènes de vulnérabilité et de précarité.  La pauvreté dans notre pays commence où ? Les pauvretés monétaires et multidimensionnelles désignent-elles les mêmes réalités que seule la quantification différencie par des pourcentages ? Quel rapport y-a-t-il entre la pauvreté et la vulnérabilité ?  Ces phénomènes peuvent-ils être l’expression d’une même réalité ?  De qui et de quoi parle-t-on quand on évoque le chômage et la précarité de l’emploi ? Pourquoi les revenus de nombreuses catégories sociales ne sont-ils pas connus ?

Les approches et définitions de nos vulnérabilités sociales sont-elles neutres ? C’est, précisément, sur ces catégories d’analyse et sur les manières dont nos statistiques les mesurent que cette contribution propose de revenir pour apporter un éclairage sur leur relativité et, surtout, sur leur difficulté à saisir une réalité mouvante qui se refuse à être enfermée dans des notions statiques.

La pauvreté monétaire aurait enregistré une diminution qualifiée de sans pareil. Le Maroc ne compterait plus que 1 605 000 personnes pauvres. Dans la mesure de la pauvreté monétaire, l’identification des pauvres est rendue possible par le choix d’un seuil de pauvreté. Or, ce choix est discutable parce qu’il est plus ou moins subjectif et dépend d’hypothèses de type normatif. Des aspects plus généraux de la pauvreté ont été pris en compte dans le concept de pauvreté multidimensionnelle, mesurée par un indice spécifique reflétant l’intensité de ces privations pour chacun des ménages pauvres.  Dans cette approche, il y aurait 2,8 millions d’individus pauvres au Maroc. Nul ne conteste la multidimensionnalité de la pauvreté. Ce qui fait débat, c’est la manière de refléter cette multidimensionnalité dans les mesures de la pauvreté. La construction de cet indicateur pose de nombreux problèmes méthodologiques : biais déclaratif, comparaison dans le temps, pondération des variables, choix des dimensions, etc.

Malgré la prolifération des écrits, la pauvreté est un concept qui reste globalement vague et peu précis. Pour essayer de le cerner, des hypothèses simplificatrices et des approximations sont inévitables. Les politiques de lutte contre la pauvreté qui seraient tentées se trouvent inévitablement atteintes. Le concept de vulnérabilité, tel qu’il est mesuré statistiquement, n’est non plus pas suffisamment pertinent pour saisir toutes les facettes de la vulnérabilité sociale.  Il se limite à ajuster le seuil de pauvreté monétaire par un coefficient multiplicateur. La saisie de la vulnérabilité sociale au Maroc reste encore à construire, si l’on veut tenir compte de la portée et de l’échelle de la connectivité et des insécurités associées, tout comme les menaces de contagion et d’exposition aux catastrophes naturelles et aux conflits violents.

Quel poids occuperaient les classes moyennes dans notre pyramide sociale ? Quelle peut être la signification autre que statistique du caractère « moyen » ou « médian » d’un ensemble aussi hétérogène que celui de classe moyenne, construit à partir de variables aussi disparates ? Le défi est immense, car la notion de classe moyenne est construite, en amalgamant des critères quantitatifs et des appréciations qualitatives, voire idéologiques quasi intuitives. Dans tous les cas, définir les classes moyennes (ou la classe moyenne) repose sur des choix arbitraires donnant à cette notion une forme plus ou moins large et plus au moins homogène. Il n’existe aucune définition objective des classes moyennes, de même qu’il n’existe pas de consensus sur les seuils de revenus délimitant, de manière évidente, ce qui constitue ou non les classes moyennes. Cette indétermination ne signifie pas qu’il faut cesser de s’interroger sur la dynamique de cette catégorie sociale.

Combien y-a-t-il de chômeurs au Maroc ? La question est simple, la réponse ne l’est pas. Quels que soient les critères utilisés, force est de constater que les statistiques peinent à appréhender fidèlement la galaxie du chômage. La principale difficulté réside dans la définition des frontières entre chômage, emploi et inactivité, que le sous-emploi et la précarité de l’emploi contribuent à rendre de plus en plus floues. Les progrès à réaliser portent sur la définition d’une batterie d’indicateurs permettant d’identifier les différentes formes de sous-utilisation ou de mauvaise utilisation des capacités de travail

Le vrai visage d’une société est façonné par la manière dont ses revenus se répartissent. Qu’en est-il de la connaissance des revenus au Maroc ? Dans notre planète des revenus, il y a des faces éclairées, celles des revenus connus, et des faces cachées, celles des revenus peu connus ou mal saisis. Or, on ne peut conduire une politique de cohésion sociale efficiente dans l’ignorance de cette nébuleuse des revenus. Dans cette perspective, les informations dont on dispose, si partielles soient-elles, peuvent nous renseigner sur la structure des revenus salariaux mais elles ne nous informent pas, avec la même profondeur, sur différentes catégories de revenus, ni sur l’ampleur des inégalités de revenus.

La connaissance de notre réalité sociale constitue une base partielle, mais indispensable, pour fournir au débat démocratique des références rigoureuses. Or, cette connaissance est confrontée à une difficulté :  le manque de lisibilité des faits et phénomènes sociaux décryptés pas les statistiques. Mais, admettre que les chiffres ne sont pas vrais ne veut pas dire qu’ils sont faux. La confiance que l’on peut avoir dans une statistique est le résultat d’une élaboration, à la fois politique et scientifique. Le recours à des conventions plus solides parce qu’elles ont été collectivement débattues, leurs méthodes éprouvées, créerait, alors, un langage commun qui rend possible le débat démocratique et les négociations entre les acteurs sociaux. Sans ce langage commun, nous vivrions dans un monde borné et peuplé de fantasmes.

Pour lire l’intégralité de la publication: La mesure des vulnérabilités sociales : L’éclairage de la Covid-19

Larabi Jaidi

*Larabi Jaidi est Senior Fellow au Policy Center for the New South, économiste et actuellement membre de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement. Il a également été Conseiller du Premier Ministre et du Ministre de l’Economie et des Finances. Ses domaines d’expertise incluent les politiques économiques, les relations économiques internationales (Europe et Monde Arabe) et l’économie des régions.

 

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page