Lettre à M. Antony Blinken

« Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste » ( Charles Péguy)

Monsieur le Secrétaire d’Etat,

Dans le cadre de votre récente tournée au Maroc et en Algérie, vous avez effectué un séjour rapide – l’un des plus court qui soit – à Alger. Il n’a duré que quelques heures, marqué par une audience avec le Président de la République algérienne, Abdelmajid Tebboune au cours de laquelle il a tenu à vous exposer la situation de son pays. Un récit global qui embrasse la quasi-totalité des questions auxquelles son gouvernement est confronté, notamment en politique étrangère.

En fait d’exposé, il s’est agi, c’est le moins que l’on puisse dire, d’un monologue lénifiant. Une sorte de plaidoyer pro-domo de son pays, hérissé de mensonges, de falsifications historiques, de volte-face surprenants, de paroles apocryphes avec l’objectif d’offrir le vrai et triste visage de Janus. Aussi bien sur le mal-voisinage avec le Royaume du Maroc, la normalisation des relations de ce dernier avec l’Etat d’Israël, le Sahara devenu l’obsession implacable de l’Algérie, la Monarchie et le Roi Mohammed VI, la « guerre des sables » lancée par Ben Bella en 1963 contre le Maroc qualifiée par les dirigeants algériens de hogra sans pudeur, la Palestine dont ils veulent récupérer à eux seuls le soutien, d’autres sujets nombreux évoqués et sur lesquels M. Tebboune a tenté de vous entretenir.

C’est si navrant de constater à quel point le président algérien, la voix monocorde, s’est efforcé de vous convaincre sur des problématiques que vous connaissez déjà. Vous en avez, de toute évidence, pris acte. Et , en grand et fin diplomate, vous vous êtes prêté à une scrupuleuse écoute de ce qui s’apparentait à un récit national . L’occasion, pour le président Tebboune, était manifestement idéale pour ne pas la saisir et , une fois n’est pas coutume, tenter le tout pour le tout afin de renverser la tendance de la politique étrangère des Etats-Unis.

Sur la question du Sahara, M. Tebboune n’a pas seulement nié la réalité du conflit ; mais feint d’oublier de vous dire que c’est le président Boumediene qui l’a crée. Comme aussi le fait que l’Algérie dispose d’un territoire de 2.382 millions de kilomètres carrés contre 710.850 kms pour le Royaume du Maroc. A peu près quatre fois notre surface, de quoi nous faire pâmer d’envie, nous autres , ce qui nous renvoie à cette cruelle et léonine décision prise en 1960 par le gouvernement français de spolier au Royaume du Maroc une série de territoires du sud-est marocain et de les incorporer à l’Algérie française. Il s’agit de Tindouf, de Saoura, du Tidikelt, de Gourara et Bechar…

Alger, « Mecque de l’anti-impérialisme américain »

Tebboune a préféré naturellement occulter cet aspect de l’expansionnisme algérien initié et mis en œuvre par Boumediene , devenu le credo de la diplomatie d’un Etat qui, dès 1962, s’est proclamé le vertueux modèle du socialisme, la « Mecque» de l’anti-impérialisme et des Etats-Unis en l’occurrence, Alger accueillant entre Black Powers, Angela Davis et le terroriste Carlos… Il a oublié de vous dire que l’Algérie « socialiste» a constitué depuis toujours l’Etat le plus armé en Afrique, qui n’a de cesse d’acquérir des armes auprès de l’Union soviétique et de la Russie avec l’objectif avoué de terroriser ses voisins, notamment le Maroc. En 1969, déjà, feu le Roi Hassan II , dans une mise en garde, avait adressé une lettre à U. Thant, alors secrétaire général des Nations unies pour attirer son attention sur la course aux armements à laquelle se livrait Boumediene, mettant en danger l’équilibre régional.

L’affaire du Sahara est née d’une double méprise : empêcher le Maroc de parachever son intégrité territoire, en lui contestant tous les titres historiques et juridiques, ensuite le combattre voire le « détruire » pour imposer aux pays de la région le seul leadership de l’Algérie. Des années durant, et jusqu’à nouvel ordre les dirigeants algériens ont imprimé à cette rivalité une fausse et caricaturale vision selon laquelle le Royaume du Maroc est « une monarchie décadente », alliée de « l’impérialisme américain » et qu’il fallait « tomber ». Tant et si bien qu’ils s’étaient même alliés, dans une folle entreprise, au régime de Mouamar Kadhafi en créant un pont dans le sud de leurs frontières – la fameuse piste Kadhafi – pour acheminer les armes au polisario.

Le Maroc, allié des Alliés

Tebboune qui, d’emblée s’est prévalu de l’amitié au long cours de son pays avec les Etats-Unis, feint également d’oublier que le Royaume du Maroc avait été l’un des tout premiers – sinon le premier – à proclamer sa reconnaissance et soutenir en …1787 la jeune République américaine constitué des treize colonies par un acte solennel échangé entre le Sultan du Maroc Mohammed Ben Abdallah et Georges Washington. De même que lors de la Seconde Guerre mondiale, le Maroc a constitué, par l’engagement de ses soldats, « l’Allié des alliés» contre le nazisme. Depuis lors , les relations entre nos deux pays n’ont pas cessé de s’approfondir, aussi bien avec l’Administration démocrate que républicaine, à tous les niveaux, la présence de la culture américaine, le « soft-power» ayant imprégné souvent nos choix.

L’une des grandes visites de hauts responsables américains au Royaume aura été celle que Dwight Eisenhower avait effectuée en décembre 1959 au Maroc au cours de laquelle il lança le programme « People to people » de promotion de la paix entre les peuples du monde. Cette visite survenait en effet deux ans après que le Roi Mohammed V eut effectué un voyage aux Etats-Unis qui avait été marqué par un accueil d’autant plus exceptionnel que le président américain, tout à son enthousiasme, rendit un hommage marqué au Souverain et au Maroc. Dans les toast échangés, il rappela le rôle et la place du Maroc auprès des Etats-Unis, la tenue de la fameuse conférence des Alliés organisée en janvier 1943 à Anfa ( Casablanca) qui avait réuni Roosevelt , Churchill et Mohammed V ainsi que d’autres faits. Une alliance stratégique maroco-américaine s’était instaurée, les Etats-Unis ayant établi des bases militaires dans certaines régions du Royaume, à Nouaceur, Kénitra , Sidi Slimane et ailleurs.

Le Roi Hassan II s’était également rendu en visite officielle à plusieurs reprises aux Etats-Unis, sous l’administration de John Kennedy, Lyndon Johnson, Ronald Reagan, Bill Clinton. La Maison- Blanche était devenue, comme l’a suggéré un grand diplomate de l’époque à Rabat, « le deuxième gîte » du Maroc. Et de fait, l’arrivée aussi bien de Georges Bush père, républicain, que de Bill Clinton, démocrate, n’y changera rien. Ce dernier avait à coeur de régler le problème de la Palestine et il s’y mit avec résolution, non encore une fois, sans le soutien logistique et diplomatique du Maroc et du Roi Hassan II. Ce dernier s’était attiré, vous le savez, les foudres des dirigeants arabes et du camp communiste parce qu’il se faisait le missi dominici de la paix entre les Palestiniens et les Israéliens et qu’il rencontrait les dirigeants d’Israël… Lui et Madame Hillary Clinton avaient fait du Royaume du Maroc une destination d’enchantement plus qu’amical.

L’Algérie , Israël et la « trahison » supposée du Maroc

Dans le monocorde exposé que M. Tebboune a livré devant vous, il y manquait la dimension exécrable de la campagne d’insultes et des récriminations proférées – y compris par le gouvernement algérien lui-même- après la signature par le Maroc en décembre 2020 des Accords d’Abraham. « Le Maroc, valet du sionisme », « porte-drapeau » d’Israël, danger aux portes de l’Algérie…et j’en passe. Les contempteurs de notre pays ne se limitent toujours pas aux vociférations, ils instrumentalisent la cause palestinienne, pour apparaître comme ses seuls défenseurs aux yeux des peuples arabes et exhortent ces derniers à combattre la normalisation maroco-israélienne. M. Tebboune a eu même le culot de vous annoncer – suprême ironie – « qu’il n’a aucun problème avec Israël » ! Force nous est de rappeler que l’Etat d’Israël ne compte pas moins de 1 Million de citoyens marocains, que pas moins d’une dizaine de ministres d’origine marocaine composent ses gouvernements, que la présence juive du Royaume du Maroc remonte à plus de 3 millénaires, ce qui fait de lui aussi un pays juif bien avant l’arrivée de l’Islam il y a seulement 14 siècles…Est-ce à dire que cette dimension ethnico-historique échappe à M. Tebboune et le confond dans ses mensonges et sa démagogie.

L’antisémitisme dont il ne cesse , lui et ses sycophantes, d’alimenter leur peuple est la marque la plus abjecte de la haine primaire. Là aussi, à son corps défendant, le Maroc avance en retrouvant ses traces historiques, sa mémoire juive et en renouvelant ses richesses millénaires, en réintégrant sa famille… Au temps du nazisme et du pétainisme abject, le Sultan Mohammed V s’était fait le héraut de la défense de la communauté juive en combattant le régime de Vichy, en s’opposant fermement à la décision arbitraire imposée par ce dernier aux Juifs marocains de porter la sinistre étoile jaune… Mohammed V a courageusement annoncé du haut de son statut de Roi du Maroc : « Ce sont mes citoyens juifs, je suis leur protecteur, n’y touchez jamais ! ». Cette proclamation vertueuse, on ne la  retrouvera nulle part ailleurs.

Le Sahara et l’escroquerie du siècle

Tebboune , comme vous le savez, qui ne connait nullement, ou à peine le problème épineux du Sahara à la solution duquel les administrations successives des Etats-Unis s’attellent, oublie délibérément de vous dire que Boumediene, par qui l’affaire a été créée, n’avait de cesse d’affirmer dans les années soixante-dix que « l’Algérie n’était pas concernée par ce conflit, mais seulement intéressée par la recherche d’une solution» ! Alors qu’en septembre 1973, les services algériens – dont notamment un certain Kasdi Merbah, natif de Fès, – et ceux du généralissime Franco créaient à Zouérate ( Mauritanie) le Front polisario, Boumediene s’exerçait à un machiavélique jeu de duplicité avec le Roi Hassan II. Au Sommet de la Ligue arabe organisé à Rabat en 1974, les enregistrements en témoignent toujours, il avait prononcé un discours dans lequel il proclamait solennellement son « soutien au Maroc pour récupérer son Sahara face à l’Espagne… » ; mais une année plus tard, il s’était opposé de toutes ses forces à la Marche verte, après avoir combattu violemment la décision solennelle de la Cour de La Haye d’octobre 1975 reconnaissant les liens juridiques et historiques entre le Maroc et le Sahara, comme aussi il s’est violemment opposé à la signature le 14 novembre suivant l’Accord tripartite de Madrid signé avec l’Espagne et la Mauritanie qui, de jure et de facto et en vertu de la Charte des Nations unies, décolonisait définitivement le Sahara, accord entériné par ailleurs le 28 décembre suivant par l’Assemblée générale de l’ONU…

Depuis lors c’est une guerre sans merci, qui ne dit pas son nom qui est menée par l’Algérie contre le Maroc, à tous les niveaux, sur tous les fronts. Le Maroc a fini par proposer en avril 2007 un Plan innovant d’autonomie pensé , structuré , conduit et proposé par le Roi Mohammed VI, que votre gouvernement a entériné, et le jugeant « crédible, sérieux , et prometteur ». Mais Alger s’y oppose, elle qui affirmait à tout bout de champ n’être « qu’intéressée » est maintenant non seulement concernée mais impliquée au point qu’elle se substitue toute honte bue au Front polisario devenue une potiche.

La bagatelle de 500 Milliards de dollars au polisario et la guerre contre le Maroc

Je me permettrais de vous rappeler que le gouvernement algérien, depuis le début de cette folle mascarade, a mobilisé la bagatelle de pas moins de 500 Milliards de dollars pour le soutien aux séparatistes et naturellement la guerre contre le Royaume du Maroc…au dépens du peuple algérien qui manque tout… L’Algérie, dans les années précédentes, s’était emparée – c’est le cas de le dire – de la fameuse 4ème Commission de l’ONU qu’elle a manipulée à tours de bras avec ses alliés. L’Algérie a décidé de ne plus respecter les résolutions pertinentes des Nations unies, de les violer délibérément, la preuve en est avec la toute dernière 2602 votée en octobre dernier qui lui intime le devoir, entre autres, de prendre part au processus de règlement, en participant au format des Tables rondes en soutenant les efforts de l’Envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU,  M. de Mistura. L’Algérie s’est constamment opposée au recensement des camps de séquestrés deTindouf, demandé il y a déjà des décennies par le Haut Commissaire du CICR de l’époque qui n’était autre que M. Antonio Guterres, afin d’authentifier qui est réellement sahraoui et qui ne l’est pas.

Monsieur le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis,

De tous ces points cruciaux, saillants qui constituent la réelle trame du mal-voisinage entre le Maroc et l’Algérie, M. Tebboune ne vous a rien dit, ni pipé mot. Il a simplement tenté, je le signalais au début de cette lettre, de vous fourvoyer et comme l’on dit – permettez-moi l’expression – de vous mener en bateau. N’étaient votre perspicacité et votre vigilance, les services de M. Tebboune auraient de toute évidence livré par leur presse et leurs canaux , une version plus qu’édulcorée, disons fantasmatique et surréaliste, selon leurs habitudes. Je rappelle toutefois que l’histoire retiendra l’animosité algérienne à l’égard du Maroc, cette ostensible hostilité que l’on a vue quand le Roi du Maroc, Mohammed VI , par deux fois, a tendu la main et proposé un « mécanisme de dialogue » entre les deux pays et s’est vu décliner son offre plus que pertinente et raisonnable, quand dans la foulée, il a vivement félicité l’équipe nationale de football algérienne après la Coupe d’Afrique gagnée par le Onze algérien, proposé le soutien du Royaume suite aux incendies qui ont ravagé les forêts de la Kabylie…En vain ! C’est peu dire que l’arrogance des dirigeants algériens nous donne le vertige.

Je vous remercie de votre attention Monsieur le Secrétaire d’Etat.

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