Lettre ouverte d’un grand écrivain maroco-algérien au Président de la République Algérienne

Par Kébir Ammi

(Ecrivain maroco-algérien)

Monsieur le Président,

Permettez à l’humble citoyen que je suis de sortir de sa réserve pour vous dire, avec tout le respect que je vous dois, que la décision de rompre vos relations avec le Maroc est une faute morale. C’est une offense que rien ne fonde. Car on ne rompt pas avec celui qui vous a donné les gages de son estime et de sa solidarité dans les moments difficiles.

C’est un désaveu de ce que nos glorieux aînés, qui se sont ardemment battus pour la liberté, ont réalisé au moment des épreuves. Au pire, on se fâche avec un frère mais on cherche avec une rage effrénée les moyens pour que la joie illumine de nouveau notre route commune.

Monsieur le Président, nous aimons votre pays autant que vous l’aimez, et ne croyez pas que ce sont là des mots de camelot pour gagner votre estime. D’aucuns dans cette rive fraternelle nommée Maroc ont, dans leur lignée, des aïeux qui ont fui la brutalité coloniale et trouvé plus à l’Ouest un havre de paix. Doivent-ils nier ou taire ce qui les lie à cette terre ?

Reconnaissez qu’il leur faudrait des trésors d’ingratitude. Quel être est capable d’une aussi abjecte infamie ? De Tlemcen à Agadir, de Casablanca à Alger… des liens forts, faits de chair et de sang, nous unissent

Un homme a posé le pied au Maroc dans le premier quart de l’autre siècle et il n’a eu jusqu’à sa mort que des raisons de dire sa dette fraternelle à ceux qui l’ont accueilli comme l’un des leurs. Il est parti en rappelant à sa descendance ce qu’il devait à ce pays.

Il a fermé les yeux le jour de l’indépendance de la terre qui l’a vu naître. Il était heureux, je peux en témoigner, j’avais neuf ans, j’étais à son chevet, je ne savais rien du monde mais on garde les plus intenses souvenirs à cet âge, il m’a pris très fort dans ses bras pour me faire sentir la joie qui était la sienne au moment de partir.

Je n’ai pas cessé depuis de porter l’Algérie dans mon cœur. Je lui voue un amour irraisonné. Et je continuerai de le faire. Mais comment n’avoir pas le sentiment que cet homme qui n’a vécu que pour être loyal est trahi, aujourd’hui, dans ce qu’il avait de plus cher ?

Monsieur le Président, votre pays est une part de nous-mêmes, de ce Maghreb lumineux que nous aimerions léguer à ceux qui viendront après nous. Faudra-t-il leur laisser en héritage une fâcherie féroce ? Que pourra-t-on leur dire d’outre-tombe pour justifier l’injustifiable et pardonner une impardonnable faute ?

Qui peut, Monsieur le Président, admettre qu’un État s’arroge le droit brutal de prendre une décision aussi inique et inacceptable ? Qui peut avoir l’outrecuidance de prendre, au nom de tous les Algériens, une décision semblable ? N’y voyez aucune impudence, Monsieur le Président, j’ai trop de respect pour votre fonction pour m’autoriser cela. Mais nul n’a le droit de jeter d’un trait de plume l’apocalypse sur le monde.

Un État a le droit sacré, semblable à un devoir, de servir des citoyens.

Je vous accorde qu’il n’est pas facile de gouverner. Car il faut de l’humilité. Et ce je ne sais quoi dont peu d’hommes de pouvoir semblent friands, la capacité de se mettre à la place de ceux qu’on est censé servir. Un sempiternel espoir faisait battre nos cœurs depuis près de cinquante ans. Nous espérions qu’un geste de bonne volonté nous donnerait tort rétroactivement d’avoir quelquefois désespéré.

La décision du 24 août est un coup de hache qui vient clore, sans gloire, une histoire vieille de plusieurs décennies. Était-il nécessaire de recourir au pire pour assombrir davantage encore un drame que des citoyens des deux côtés vivent dans leur chair ?

Ma tristesse est grande, Monsieur le Président, car je rêve comme un fou, depuis cinq décennies, de belles et simples retrouvailles avec ceux des miens qui sont en Algérie.

Ma tristesse est grande car la raison vient de s’éloigner un peu plus de notre horizon, par la faute de ceux qui font un usage excessif de la force que le pouvoir leur accorde et qui ne se doutent pas des drames qu’ils génèrent.

À l’heure où je vous écris, Monsieur le Président, je crains de ne jamais voir de mon vivant nos deux pays se donner l’accolade comme j’en rêve inlassablement depuis des années et cela me blesse profondément.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, ma très grande considération.

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