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L’expérience patient, talon d’Achille des cliniques privées marocaines

Alors que le Maroc accélère la réforme de son système de santé, les cliniques privées peinent à s’adapter aux nouvelles attentes des patients. Un rapport inédit lève le voile sur une défiance structurelle, une relation humaine en crise, et les pistes d’un nécessaire sursaut.

Le paysage sanitaire marocain est en pleine reconfiguration. À l’heure où la généralisation de la couverture médicale obligatoire devient réalité, où d’ambitieux chantiers hospitaliers publics voient le jour, les cliniques privées, censées incarner le relais agile et qualitatif du système de soins, semblent engluées dans un modèle en décalage croissant avec les attentes de leurs usagers.

C’est l’un des constats majeurs du rapport 2025 sur « L’Expérience Patient dans les cliniques privées au Maroc », publié par Affinytix, société spécialisée en intelligence client. En s’appuyant sur l’analyse de 4 600 évaluations spontanées de patients répartis dans sept grandes villes du royaume, ce document dresse un bilan alarmant. Avec un indice d’expérience client (CX) de 18,3 sur 100 – le plus faible parmi tous les secteurs étudiés – et un score de confiance moyen de –49,18 %, les cliniques privées font face à une défiance profondément enracinée.

L’analyse s’avère sans appel : 68 % des patients interrogés se déclarent insatisfaits de leur expérience globale. La relation entre soignants et soignés semble distendue, voire absente. Le professionnalisme médical, bien que reconnu dans certains cas, ne parvient pas à contrebalancer une perception généralisée de froideur, de manque d’empathie et de parcours morcelé.

L’élément le plus décrié n’est pas tant la qualité clinique stricto sensu – les cas d’erreurs médicales restent marginaux dans les avis analysés – que l’environnement relationnel et organisationnel dans lequel elle s’insère : lenteurs administratives, accueil impersonnel, absence d’informations claires avant ou après les actes, ou encore incompréhension tarifaire.

À ce titre, la tarification s’impose comme un point de crispation majeur. Ce n’est pas tant le niveau des prix qui pose problème que leur opacité perçue : des patients surpris au moment de la facturation, mal préparés à l’engagement financier, en ressortent désabusés, parfois révoltés.

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Une cartographie émotionnelle éloquente

Le rapport introduit une grille d’analyse émotionnelle innovante, mesurant six types d’émotions exprimées dans les retours patients : colère, peur, dégoût, tristesse, mais aussi joie et surprise. Ces indicateurs permettent d’éclairer les points de friction majeurs – mais aussi les rares moments de satisfaction – avec un niveau de granularité inédit.

Fès, bien que mieux notée que les autres villes (47,5 % d’avis positifs), demeure marquée par une colère latente. Kénitra affiche les scores les plus élevés en peur et tristesse, signe d’un malaise plus profond. À l’inverse, Oujda, paradoxalement l’une des villes les plus critiquées sur le plan global, est aussi celle qui génère les plus hauts niveaux de joie et de surprise – traduisant des expériences clients ponctuellement marquantes mais isolées dans un ensemble perçu comme médiocre.

L’étude révèle un enchevêtrement frappant entre les aspects humains de la relation soignant-soigné. Lorsqu’un patient évoque le professionnalisme, il est dans six cas sur dix également question du comportement du personnel. Les thématiques « service client » et « qualité de service » sont elles aussi étroitement imbriquées. Autrement dit : au-delà de la compétence technique, c’est bien la posture, la communication, l’attention portée à l’autre qui déterminent l’évaluation globale de l’expérience.

Les résultats pointent ainsi vers un besoin urgent de reconfiguration des pratiques : réhumaniser les interactions, investir dans la formation à l’écoute active, instaurer des rituels d’accueil et de suivi personnalisés, simplifier les démarches et digitaliser les étapes critiques du parcours de soin. Des recommandations récurrentes, mais encore trop peu appliquées.

Une transformation structurelle plus que cosmétique

Loin des approches cosmétiques, le rapport d’Affinytix préconise une gouvernance dédiée à l’expérience patient : tableaux de bord émotionnels (Trust Index, CX Index, Love Index), comités mensuels de suivi, implication des patients dans des ateliers de co-design de l’expérience clinique. Autant de leviers pour transformer un système encore trop tourné vers ses logiques internes.

Les villes de Tanger et Oujda sont désignées comme prioritaires pour des actions d’urgence, tant les niveaux d’insatisfaction y atteignent des sommets (respectivement 26 % et 22 % d’avis positifs). Rabat, capitale administrative, peine à convaincre (27 %), malgré quelques tentatives d’amélioration du service client. Casablanca, pourtant centre économique du pays, souffre d’une image de froideur et d’inefficience administrative. Seule Fès, malgré ses fragilités, parvient à esquisser une dynamique plus vertueuse.

Le rapport souligne enfin un changement culturel sous-jacent : la perception du soin évolue au Maroc. À mesure que le pays vieillit – l’âge médian atteindra 42 ans en 2050 – et que les pathologies chroniques progressent, les patients deviennent plus attentifs à la qualité de l’accompagnement, à la fluidité du parcours, à l’attention portée à leur vécu émotionnel. Ils ne veulent plus seulement être soignés, mais compris, respectés, considérés.

À l’heure où le secteur hospitalier public bénéficie d’un soutien politique massif, les cliniques privées ne peuvent se contenter d’un positionnement par défaut. Si elles n’opèrent pas rapidement une refonte de leur modèle relationnel, elles risquent de perdre non seulement la confiance des patients, mais aussi leur raison d’être dans l’écosystème de santé de demain.

La balle est désormais dans le camp des décideurs : feront-ils de l’expérience patient un véritable pilier stratégique, ou la relégueront-ils à un simple artifice de communication ? Le rapport ne donne pas la réponse, mais offre des clés concrètes. À condition d’oser les saisir.

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