L’Ukraine, le Maroc et la Realpolitik

Par Hassan Alaoui

Pour s’être attaché à l’un de ses principes sacro-saints de sa diplomatie, le Royaume du Maroc n’a donc pas pris part, mercredi, au vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur l’Ukraine. Mieux : il a marqué sa « présence » au parterre de la grande salle des cérémonies par son « absence » qui en dit long sur sa position dans le débat sur la guerre en Ukraine.

Sur les 193 Etats membres de l’ONU,  141 ont voté en faveur de la Résolution condamnant la Russie et exigeant d’elle un retrait immédiat. Cinq autres l’ont rejetée, autrement dit la Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie et l’Erythrée. 35 autres enfin se sont abstenu ou absenté comme le Maroc, la République populaire de Chine n’ayant pas voté.

L’histoire retiendra, en effet, que c’est la première fois qu’une résolution votée par les membres de l’Assemblée générale a accueilli un aussi grand nombre d’approbations. Ce qui , bien entendu, indique à la fois la gravité de la situation et la volonté résolue de la communauté internationale d’en venir à bout. Les 141 voix recueillies ne  constituent certes pas l’unanimité, mais la Charte de l’ONU exige la majorité des deux tiers, largement atteints dans le cas d’espèce. On eût pu en espérer plus, voire aussi la totalité des pays s’inscrire dans la foulée des Etats-Unis et de l’Europe occidentale. En Afrique, pour ne parler que de ce continent proche, ce sont seulement cinq pays qui se sont absentés : le Maroc, l’Ethiopie, le Cameroun, le Burkina Faso et la Guinée. L’Algérie et l’Afrique du sud, alliés des alliés se sont abstenues tout en étant présentes…

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Chacun à sa manière et selon ses propres critères, les pays de la communauté internationale se sont positionnés eu égard à cette guerre nouvelle qui, pour obéir à une dimension nationalitaire, n’en menace pas moins d’éclatement le continent européen et, au-delà, la paix mondiale. A juste raison, le Maroc s’est exprimé par deux fois, avec deux significatifs communiqués du Ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’Etranger pour dire que notre pays « continue de suivre avec inquiétude et préoccupation l’évolution de la situation entre l’Ukraine et la Fédération de Russie ». Mais aussi pour réaffirmer « son fort attachement au respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’unité nationale de tous les Etats membres des Nations unies ». C’est peu dire, et Dieu sait ce que ces postulats incarnent depuis toujours pour notre pays. Ils ont été de nouveau invoqués mercredi 2 mars dans la soirée juste après le vote de l’Assemblée générale de l’ONU dans le communiqué du ministère que dirige Nasser Bourita. Avec, néanmoins, cette clause selon laquelle « le Royaume du Maroc a toujours œuvré pour favoriser le non recours à la force pour le règlement des différends entre Etats ».

Dans la même veine, « il appelle à la poursuite et à l’intensification du dialogue et de la négociation entre les parties pour mettre fin à ce conflit et encourage toutes les initiatives et actions à cette fin ». Position originale du Maroc, autrement dit un appel solennel à un règlement direct entre belligérants ? Ce qui voudrait dire aussi que dans cette histoire si compliquée de conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, il n’était guère besoin d’orchestrer tant de haine et de tapage , mais d’abord encourager les protagonistes à renforcer les pourparlers entamés en Biélorussie et leur donner une chance de réussite.

La Charte de l’ONU est d’autant plus explicite à cet égard qu’elle pose le recours au dialogue comme l’incontournable principe catégorique. « Le pire est devant nous » ! Cette phrase lapidaire revient depuis quelques jours comme une antienne dans la bouche de beaucoup de responsables occidentaux. Elle nous suggère un tableau plus que noir de l’état de guerre auquel le président Poutine nous convie dans la démesure de sa menace, comme s’il était le seul à en détenir la clé. Or, pour une fois, les Etats-Unis ne semblent point portés à faire étalage de leur puissance nucléaire qui, jusqu’à preuve du contraire, demeure en tête et défie celle de la Russie et de la Chine.

Carl von Clausewitz, général prussien, devenu théoricien de la guerre, auteur du grand traité « Vom Krieg » ( De la guerre)  disait en son temps que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Il ne croyait pas si bien dire . Oserait-on dire que Poutine s’en inspire de nos jours ? Peu et tant s’en faut à la fois, au regard de l’évolution rédhibitoire que notre planète a connue entre les guerres napoléoniennes que le stratège allemand décrivait avec une rare minutie et celle à laquelle nous sommes confrontés à présent. La menace nucléaire se substitue apparemment à cet « anéantissement total » décrit comme finalité par Clausewitz. Au plan politique, le Royaume du Maroc revendique à coup sûr une neutralité positive dont le tout premier reflexe est que nous ne sommes en guerre avec aucun pays, la Russie et encore moins les Etats-Unis. Le neutralisme positif du Maroc avait été exprimé en septembre 1961 par le Roi Hassan II en pleine guerre froide lors de la conférence des Non –Alignés organisée à Belgrade, sous la houlette du maréchal Tito. Il est à la philosophie du Maroc ce que l’engagement pour la paix et la stabilité  sont à la sécurité internationale. Autrement dit, un impératif majeur…

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