Ma « Marche Verte » à moi ou réminiscences d’un reporter de « Maroc Soir »

Par Hervé B. Pons

Ce sont 43 années qui sont passées, et beaucoup de choses avec… Mais la « Marche verte » reste tout de même mon premier grand reportage au Maroc. Nous sommes fin octobre 1975. Il y avait à peine cinq mois que j’avais été  engagé par un journal quotidien qui n’existe plus mais dont le nom reste celui d’un groupe éditorial prestigieux : Maroc Soir. Et la chance me souriait. Voilà qu’il était sur le point de se produire un événement d’envergure. Le Maroc avait décidé de récupérer un de ses territoires occupé par l’Espagne : le Sahara. Et alors que Franco, le vieux dictateur espagnol était à l’agonie, le Roi Hassan II eut une idée de génie.

Organiser une Grande Marche Pacifique du peuple marocain pour libérer les terres spoliées, avec pour seules « armes » au bout des bras levés, le drapeau vert et rouge du Maroc et le Livre Sacré du Coran. L’impact de ces foules avançant vers le désert stupéfia le monde entier et surprit l’Espagne en plein désarroi à cause  d’une transition politique difficile.

Je n’étais alors encore pas très féru des enjeux et conséquences de cette situation  inédite, mais la rédaction en chef prit tout de même la décision de m’y envoyer avec l’objectif de réaliser une série de reportages sur cet événement avec un autre journaliste et un photographe. Il semble qu’on m’ait choisi parce que je maîtrisais la langue espagnole. Et j’étais plutôt chargé des « papiers » d’ambiance, alors que mon confrère s’occupait des informations au jour le jour. Je n’avais donc qu’à exprimer en mots  ce que je voyais, écoutais et sentais autour de moi.

La première partie de ce voyage se déroula dans la ferveur des villes marocaines que nous traversions, où des milliers de volontaires se regroupaient pour entreprendre la fameuse épopée qu’on appela « La Marche Verte ». La couleur de l’Islam et celle  de son Prophète nous accompagnait à tout bout de champ. La présence du Livre Sacré dans les mains brandies dénotait que cette reconquête se faisait au nom du pays (le drapeau) mais aussi au nom de la religion musulmane (Le Coran).

L’euphorie populaire pour cette cause nationale était vraiment impressionnante. Je n’avais jamais vu, et je n’ai jamais plus revu rien de tel dans le monde, sur le simple appel d’un Souverain au volontarisme. La multitude de ce déplacement humain semblait imparable et reflétait déjà une victoire finale inéluctable. Rien ne peut arrêter un peuple qui revendique pacifiquement.

Nous nous sommes donc unis et mêlés à ces masses humaines ambulantes, parmi lesquelles se trouvaient déjà des journalistes du monde entier. Et je compris vite que je n’allais rien pouvoir faire de plus que ce que faisaient mes collègues marocains et internationaux. Il me fallait trouver un autre angle pour pouvoir écrire quelque chose de différent et d’original. En fait, ce qui m’intéressait, c’était de savoir ce qui se passait  pendant ce temps-là de l’autre côté, au cœur du Sahara occupé. Là où se trouvaient les troupes et ressortissants espagnols, ainsi que les populations du Sahara , et quelles étaient leurs réactions.

Mais comment aller à Lâayoune autrement qu’en suivant les « Marcheurs » à travers les pierres et le sable des paysages arides de ces régions ? Je m’informais. Il existait des vols d’Agadir à Las Palmas de Grande Canarie, et de là des courriers aériens à Lâayoune. J’en parlais au photographe, feu Miloud Gueddar, pour le convaincre de me suivre, car l’autre journaliste  devait rester sur place pour relater les faits de l’avancement de la Marche, au sein de laquelle se trouvaient aussi des personnalités politiques marocaines, dont notamment Ahmed Osman, alors premier ministre, feu Dey Ould Sidi Baba.

Nous sommes donc arrivés à Las Palmas, mais il n’y avait pas  de vol le jour même à Lâayoune avant le lendemain. Nous avons donc loué une chambre d’hôtel pour passer la nuit et au petit matin, bravant les difficultés nous avons pris une avionnette d’une compagnie espagnole qui tanguait comme un jouet dans le ciel, ce qui n’était pas très rassurant,  pour atterrir à Lâayoune.

Surprise : je ne me souviens pas du tout d’une atmosphère  belliqueuse ou de panique.  Oui, bien sûr, il y avait la présence des fameux Tercio ( armée espagnole d’occupation), une certaine tension qu’on palpait dans l’atmosphère, comme le calme avant la tempête, ou le silence avant une explosion. Mais les habitants continuaient leur vie quotidienne, et les soldats espagnols attendaient des ordres de supérieurs qui avaient apparemment déjà renoncé à empêcher l’inévitable. Dans la chaleur et le rythme au ralenti des cités sahariennes, une sorte de fatalisme semblait s’être emparée des troupes coloniales et des résidents étrangers. Mentalement, ils faisaient déjà leurs valises.

Cependant, pour l’anecdote, je notais que dans les nombreux bars de filles à soldats, des jeunes femmes se laissaient encore offrir les derniers verres de l’adieu avec l’insouciance joyeuse propre à leur « activité ». Comme si rien n’allait changer. Et pourtant, oui, il y avait du changement, et quel changement ! dans l’air. Sur mon carnet à ressort je prenais des notes sur ce qui se passait et ce que j’entendais dire. Entre autres, que certains sahraouis, une minorité, avaient décidé de s’opposer à l’arrivée du Maroc. Ils avaient fui la ville et rôdaient dans le désert proche. Ils avaient même déjà un nom : le Polisario.

Je commis l’erreur, selon certains, de mentionner ce nom dans un de mes reportages paru dans « Maroc Soir », et de signaler l’existence et la présence de ce mouvement. Ce qui me valut des reproches car cette information n’aurait pas dû être divulguée. Mais comment cacher l’évidence d’une organisation rebelle qui existait déjà à l’époque et qui, plus de 40 ans après, continue de déstabiliser la région et d’empêcher la paix, avec le soutien et l’alliance de nations aux idées obsolètes et non respectueuses des droits marocains.

Cette petite affaire, heureusement,  n’eut pas trop de conséquence. L’important était que  nous avions été les premiers journalistes à arriver sur place, à vivre les dernières heures du prétendu « Sahara espagnol » et à assister à l’arrivée des autorités marocaines prenant possession de la ville dans la liesse générale. Et tout cela s’étalait sur une ou deux pages, je ne me souviens plus, avec texte et photos.

Il y a, paraît-il, un proverbe arabe qui dit que se remémorer des souvenirs anciens, c’est se rajeunir d’autant d’années. Eh bien en écrivant ces lignes, je viens de me rajeunir de plus de quarante ans !  Car le Maroc, j’ai commencé à le connaître et à l’aimer par le Sahara.

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