Marché du blé : le Maroc arbitre discret entre Paris, Moscou et Astana

La sécheresse aidant le commerce céréalier livre des batailles discrètes pour conquérir les marchés émergents. Dans ce cadre, le Maroc s’impose, cette année encore, comme un acteur à part. Bien plus qu’un simple débouché méditerranéen, le Royaume devient un baromètre stratégique des dynamiques qui opposent, à distance, les grandes puissances exportatrices que sont la France, la Russie et le Kazakhstan.
Dans sa dernière évaluation mensuelle, le Département américain de l’Agriculture (USDA) anticipe une baisse des importations marocaines de blé à 6,7 millions de tonnes pour la campagne 2025-2026. Cette contraction de 200 000 tonnes par rapport à la saison précédente est loin d’être anecdotique. Elle traduit une amélioration des récoltes locales, fruit d’une politique agricole marocaine qui, malgré les aléas climatiques, semble porter ses fruits grâce à une gestion optimisée des stocks et des prix.
Ce recul intervient à contre-courant d’une tendance régionale où de nombreux pays du Sud, à l’image de l’Égypte ou de l’Afrique subsaharienne, restent plus que jamais tributaires des fluctuations des cours internationaux. Pour le Maroc, cette évolution envoie un message clair : Rabat reste un acteur libre de ses arbitrages, capable de jouer sur les volumes d’importation pour sécuriser son marché intérieur sans se laisser dicter ses choix par les seuls intérêts des grands exportateurs.
Avec une production mondiale de blé attendue à un niveau record de 808,5 millions de tonnes, les exportateurs historiques – Russie, Union européenne et Australie – redoublent d’efforts pour consolider leurs positions commerciales, notamment en Afrique du Nord. La Russie, qui alimente déjà massivement le marché algérien, regarde de plus en plus vers le Maroc comme une porte d’entrée stratégique pour élargir son influence économique sur la façade atlantique du continent.
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La France, de son côté, tente de défendre son rang de fournisseur traditionnel du Maroc, à grand renfort d’alliances institutionnelles et de démarches commerciales soutenues par ses opérateurs céréalier. Le Kazakhstan, enfin, s’invite dans cette compétition, misant sur sa proximité politique croissante avec Rabat dans le cadre d’une diversification de ses débouchés vers l’Afrique.
Le Maroc, en jouant la carte de la diversification des origines d’approvisionnement, entretient habilement cette rivalité. Les appels d’offres modulés, les négociations bilatérales et les coopérations techniques avec ces puissances agricoles s’inscrivent désormais dans une stratégie plus large : celle de renforcer les partenariats multilatéraux qui vont bien au-delà du simple commerce du blé.
Une dépendance maîtrisée sur le maïs
Sur le volet du maïs, essentiel à l’alimentation animale marocaine, les importations devraient atteindre 2,9 millions de tonnes, en hausse de 200 000 tonnes. Provenant essentiellement d’Ukraine, du Brésil et des États-Unis, ce volume confirme la robustesse du secteur avicole marocain, en pleine transformation industrielle. Mais là encore, les autorités marocaines veillent à contenir les risques en jouant sur l’origine des fournisseurs et les volumes contractés.
À travers son Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL), le Maroc poursuit sa stratégie d’anticipation et de stabilisation. Subventions ciblées, gestion des stocks stratégiques, encadrement des prix : ces leviers permettent de contenir les chocs exogènes tout en garantissant la sécurité alimentaire du pays.
En réduisant ses achats de blé en pleine surabondance mondiale, le Maroc démontre une capacité à lire les dynamiques de marché avec un temps d’avance. Une posture qui lui permet d’entretenir des relations équilibrées avec ses partenaires agricoles, tout en consolidant son autonomie stratégique dans les négociations multilatérales à venir.
Car derrière la logistique du grain, se jouent aussi des alliances politiques, des relais d’influence et des partenariats économiques qui, à terme, redéfiniront les équilibres entre l’Afrique, l’Europe et l’Eurasie. Le Maroc, fidèle à sa diplomatie économique pragmatique, entend bien en tirer tout le bénéfice.