Maroc-Algérie: Le sens d’un appel

Par Hassan Alaoui

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a prononcé, mardi 6 novembre, à Rabat, un discours à l’occasion du 43ème anniversaire de la Marche verte qu’il convient, d’emblée, de qualifier d’historique. Les deux tiers de l’allocution ont été consacrés à la crise qui sévit désormais, depuis près d’un demi-siècle, entre le Maroc et l’Algérie, elle-même conséquence directe de l’affaire du Sahara marocain, véritable pomme de discorde entre les deux pays et facteur essentiel de la paralysie qui caractérise la situation au Maghreb.

Si le discours du 6 novembre s’inscrit dans une tradition, avec ses propres règles, son langage voire ses codes, celui du mardi dernier, est totalement différent, tant et si bien que l’on n’hésiterait pas à y voir comme un message inédit, une voix différente. Par sa portée, la force de conviction et de sincérité qui le marquent, il constitue une rupture, un véritable pas en avant dans la formulation et surtout dans la pensée du Roi. Il est aussi une dimension discursive qui nous prend de court, celle de la surprise d’un propos royal qui bouscule à la fois le ton et la sémantique, secoue un dangereux ronronnement dans lequel la scène politique maroco-algérienne – car c’est bel et bien de cette dimension qu’il s’agit essentiellement – se morfondait allègrement.

Le Roi n’a pas sacrifié au rituel de la mise en scène et, sans solennité particulière, est entré dans le vif du sujet. Comme s’il tenait à marquer de son propre sceau le cours de l’histoire se faisant varier le langage. Il a interpellé les dirigeants algériens avec un ton de fermeté, certes, mais qui ne sacrifie nullement à l’arrogance. Bien au contraire, la fraternité respectueuse, l’estime et la considération chevillées au corps, il a mis en exergue cette objective et exemplaire communauté de destins entre les deux peuples et les deux pays, revendiquant, à juste titre, l’héritage commun de l’histoire, de la langue, de la religion y compris le même pays colonisateur. Ces paramètres s’inscrivent sur le sol d’une tragédie partagée, et rien ne l’illustre autant que la part considérable prise, au nom d’une indéfectible solidarité, par le Maroc dans son soutien permanent à la guerre de libération algérienne qui a commencé un certain 1er novembre et s’est achevée en juillet 1962, avec la proclamation de la République algérienne.

Revisitant les péripéties de l’histoire mouvementée et exaltante de l’époque agitée de la Libération et de l’indépendance du Maroc et de l’Algérie, le Roi Mohammed VI a mis en exergue la valeur de partage commune et l’attachement à l’idéal unitaire, algéro-marocain et maghrébin ensuite. Un même combat pour la liberté, une même foi pour l’émancipation de nos peuples et la solidarité pour les autres mouvements de libération en Afrique. C’est peu dire qu’il existe un socle commun articulé sur l’histoire et la mémoire, une foi commune en l’avenir, un antécédent exalté, un destin enfin des deux peuples.

Le discours royal fait, en effet, la part des choses, en séparant le problème du Sahara – qui relève quelque part de la conjoncture même s’il persiste et prend une dimension de long terme – de la relation bilatérale entre le Maroc et l’Algérie, considérée quant à elle, de structurelle et s’inscrit dans la durée. Il consacre les deux tiers de l’allocution aux relations bilatérales, sur la base d’un constat plutôt amer : « Nous devons faire preuve de réalisme et convenir que les relations entre nos deux pays échappent à la normalité, créant de fait, une situation inacceptable ». Ni vindicte présomptueuse, ni condamnation unilatérale, la parole du Roi exprime ici une manière de frustration au regard du temps perdu et des occasions ratées qui ont rendu la relation maroco-algérienne d’autant plus inerte et vacante que rien ne le justifiait.

Comme une plaie béante, elle est évacuée de tout espérance tant que les deux parties demeurent engoncées dans leur orgueil voire leur aveuglement, alors que le monde autour avance et prospère. Le Roi, tout à la maturité de sa réflexion aiguë sur la précipitation d’une histoire qui s’écrit et se fait sans nous, lance un appel solennel aux dirigeants algériens pour leur proposer la « création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation ». Il s’agit-là d’une instance concrète, engageant les deux pays, leur soumettant le choix irréversible de transcender leur différend global, où se croisent des questions de voisinage, de coopération, d’échanges et de partenariats multiples, où pourraient émerger une volonté commune d’aller de l’avant et la décision d’élever les principes de fraternité au rang de valeurs indépassables. Le Roi Mohammed VI n’a eu de cesse d’insister sur la « sincérité, la transparence, la bonne foi » pour articuler son discours.

Autant dire que jamais, dans l’histoire de nos relations avec l’Algérie, paroles si fortes et conséquentes n’ont été prononcées. Elles sont allées, en principe, droit dans les coeurs du peuple et des dirigeants algériens, les réactions du premier, rapportées par certains réseaux sociaux, ne manquent pas de nous réjouir tandis que le silence officiel des seconds, en revanche, ne laisse pas de nous surprendre. Les chancelleries, les capitales et les instances, de par le monde entier, se félicitent, chacune à sa manière, de cette initiative royale qualifiée d’historique, parce que rompant, brisant, à vrai dire, le cercle vicieux d’une situation figée, rejetant cette emprise de « ni paix, ni guerre », avec le risque irrémédiable d’enterrer le vieux rêve formulé en avril 1958 de construire un «Maghreb des peuples démocratique» de libertés et de progrès.

L’Histoire, dira, un jour, que, conscient que la situation de blocage dans laquelle le Maghreb est enferré depuis 1994, et la relation maroco-mauritanienne, devenue prisonnière, le Roi du Maroc aura tenté l’impossible, aura pris sur lui-même pour jeter les bases d’une impossible réconciliation.

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