Maroc-Allemagne: Une «rupture de fait» dont nous supportons les dégâts, les uns les autres

Par Taieb Dekkar*

On a toujours été tenté de croire qu’entre le Maroc et l’Allemagne, les relations étaient normales. Certes, des réunions mixtes annuelles ou biannuelles se tiennent régulièrement et alternativement au Maroc ou en Allemagne. 

L’Allemagne finance généreusement certains projets sociaux au Maroc et en assure le suivi, comme elle participe au financement de projets de développement, via des lignes de crédit, au Royaume. Des milliers d’étudiants marocains suivent leurs études en Allemagne, dans des filières de la science et de technologie, notamment la célèbre Université technique de Berlin. La communauté marocaine en Allemagne, principalement issue du nord et de l’est du pays, est une communauté stable, dont les transferts, proportionnels à leur nombre, restent des plus élevés du pays. Y vivent également des marocains illégaux, qui seraient aussi nombreux que les réguliers.

De  là, à dire que les relations sont excellentes, il n’y a qu’un pas.

En politique, les choses ne sont pas si merveilleuses que  cela. L’ancien chef de gouvernement marocain, feu Abderrahmane El Youssoufi, avait effectué une visite officielle en Allemagne en 2002, la première d’un chef de gouvernement marocain, depuis 30 ans. Donc, la dernière visite d’un chef de gouvernement marocain en Allemagne remonte aux années soixante dix ! Le chancelier Gerhard Schroeder en avait pris note avec regret. Cela veut dire qu’au plan politique, les échanges de visites, au plus haut niveau, sont rarissimes.

Et ce n’est pas ainsi qu’on entend, de part et d’autre, stimuler le développement des relations et de la coopération bilatérales, favoriser la bonne entente des deux capitales sur les sujets d’intérêts communs. De l’autre côté, Helmut Kohl, chancelier allemand, pendant 16 ans, a effectué une visite éclair au Royaume, le temps d’un week end, avant d’aller en villégiature  à Marrakech, au deuxième jour. Certes, il avait été reçu par le défunt Roi Hassan II pour un diner officiel à Rabat, à son arrivée dans la capitale, un samedi.

D’un autre côté, la dernière visite d’un souverain marocain en Allemagne remonte à 1965, date à laquelle Feu SM le Roi Hassan II s’était rendu à Bonn pour sensibiliser l’Allemagne, alors divisée,  à la cause palestinienne. Le Souverain avait dû écourter son séjour à cause d’un rhume.

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Jamais, un président allemand, qui occupe certes des fonctions honorifiques, ne s’est rendu au Maroc, en visite officielle. SM le Roi Mohammed VI, par contre, avait été invité en Allemagne, pour une visite officielle, au début de son règne, une visite, programmée,  qui au bout du compte n’a pas eu lieu. La chancellerie Allemagne inscrit annuellement la visite en Allemagne de quatre chefs d’Etat étrangers. Le Maroc avait invoqué, pour justifier ce report, un sommet maghrébin, qui devait avoir lieu deux semaines plus tard à Tunis.

Angela Merkel, qui est elle-même restée 16 ans au pouvoir, n’a jamais effectué de visite officielle au Royaume. Certes, elle s’était rendue au sommet de Marrakech sur le climat, sans toutefois, pouvoir rencontrer SM le Roi Mohammed VI. Le souverain et Angela Merkel, se sont, toutefois, rencontrés, à l’occasion de sommets internationaux et rendez-vous en Europe et en Afrique.

Les Chanceliers Schroeder et Merkel se sont par contre rendus à Alger. Bouteflika, de son côté, avait effectué une visite en Allemagne. Par contre, au niveau des parlements,  les deux pays échangent des visites.

Personnellement, je ne trouve aucune explication à cette «rupture de fait», bien que les deux pays soient de cultures et de langues différentes. Mais cela ne constituerait tout de même pas un obstacle, puisque nous entretenons des relations avec des pays lointains, comme la Chine, la Russie…

L’Allemagne est aujourd’hui la quatrième puissance mondiale et la première économie européenne. Autant son système d’organisation politique et administrative que ses performances économiques, financières, voire industrielles et sociales, font d’elle un modèle pour le Maroc, plus particulièrement s’agissant de la régionalisation avancée. Ses performances sont données en exemple, y compris dans son voisinage immédiat (France), déchiré dans certains cas, par des mouvements de grève longs et redondants. Un modèle de stabilité sociale, qui ne laisse aucune place aux grèves et aux arrêts de travail, Une tradition germanophone, qui privilégie la concertation régulière avec de puissants syndicats, capables pourtant de financer des arrêts de travail pour six mois.

Si au plan politique et diplomatique, les relations ne sont pas merveilleuses, c’est, à mon humble avis, à cause d’ «une rupture de fait»  du dialogue et de la concertation bilatérale, régulière et permanente. Les dernières décisions du Royaume ne viennent que pour entériner cette situation de fait. Car comment voulez-vous que les choses tournent bien,  alors que les chefs de gouvernement des deux pays ne se voient qu’une fois tous les trente ans !!!

C’est sous cet angle qu’il y’ a lieu d’interpréter le récent positionnement de l’Allemagne sur la question du Sahara marocain. L’Allemagne, réunifiée, connait plus que quiconque les blessures de la division, pour en soutenir des partisans au Maghreb. C’est à mes yeux, « une rupture de fait »  du dialogue et de la concertation, voire de la communication entre les deux pays, dont aujourd’hui, nous supportons, les uns les autres, les dégâts.

*Journaliste et écrivain

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