« Le Maroc est là, où bat le coeur des Africains…. »

Par Yassine Belhassan

Il y a quelque mois, s’éteignait à Pa­ris, à 95 ans une grande figure, l’an­thropologue de l’Afrique Georges Balandier, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur d’une quarantaine d’ou­vrages. Il avait voué sa vie à l’observa­tion et à l’étude de l’Afrique qu’il avait parcourue de long en large, entre Côte d’Ivoire, Guinée, Benin, Congo, Mali, Gabon et Mauritanie… . tissant des liens avec des figures comme Sekou Touré, Houphouët Boigny, Léon M’Ba, Léopold Sédar Senghor mais aussi et surtout avec les paysans, les étudiants, les ouvriers, car disait-il «pour comprendre l’Afrique il faut aller là où bat le coeur des Africains dans les villes, les champs, les usines».

Le respect qu’il vouait à ce continent, à son histoire et à son combat notam­ment dans ses écrits auprès d’Alioune Diop dans «Présence africaine», lui conféra une renommée qui n’a cessé de grandir, depuis les années 50. Il militera tout au long de sa vie pour que l’Afrique obtienne une juste place dans le concert des nations notamment par une meilleure intégration au sein de la gouvernance mondiale. Avec Alfred Sauvy, il forgera le concept de tiers monde qui appelle à une refondation de la coopération sud-sud et à son renforcement .

C’est le même esprit qui anime la vision de la politique africaine du Ma­roc qui a toujours affirmé son identité africaine : respect, solidarité sud-sud, partenariat fondé sur des intérêts et sur une croissance partagés. Au-delà de l’ap­partenance à un même bloc géopolitique qui appelle à une solidarité sud-sud, le Maroc a construit sa politique africaine sur ces ambitions : bâtir un modèle de croissance en Afrique, un modèle du­rable et inclusif fondé sur un partenariat «gagnant –gagnant» ; militer pour une vé­ritable représentativité de l’Afrique dans les instances internationales qui tiendrait compte de son poids démographique, géopolitique et économique pour avoir sa place dans le monde globalisé. Autre ambition : renforcer la relation historique culturelle , cultuelle et politique du Ma­roc avec l’Afrique comme en témoignent la volonté d’adhérer à l’Union africaine et demain, à la CEDEAO, militer pour l’élargissement des représentations di­plomatiques du Royaume en Afrique australe et en Afrique anglophone. Com­ment, avec quelle stratégie, quelle diplo­matie opérationnelle, quels partenariats, quels outils et quels acteurs ?

Décryptage

Un des fondements de la vision royale relative à l’option africaine est, à coup sûr, l’impératif de sécurité, du maintien de la paix accompagné de développement inclusif et durable qui permet aux pays africains d’exploiter leurs ressources et leurs matières premières au profit de leurs populations. Cela passe par la sécurité, tout d’abord, car les États doivent faire face aux différentes «menaces transver­sales» portées par les passeurs d’armes , de drogues et de traite humaine. La région sahélo-saharienne est marquée par une résurgence des extrémistes et des connexions entre différents groupes qui tentent de déstabiliser des territoires très vastes difficilement contrôlables. La prolifération des armes, la porosité des frontières, la vulnérabilité des Etats, le terreau de la pauvreté et les conséquences des changements climatiques (en une dé­cennie par exemple le lac Tchad a perdu plus de 80% de sa surface !) constituent des menaces en interne et en externe. Le contexte actuel est marqué par la résur­gence des attaques au Mali, au Niger avec la montée en puissance de la menace ter­roriste et sa capacité de nuisance dans l’arc de crise allant de la Libye à la Côte d’Ivoire …La lutte contre l’extrémisme et la radicalisation doit cependant tenir compte de la complexité des situations mais aussi des humiliations et ressenti­ments des populations qui interpellent les politiques. Ces populations veulent une vision de long terme fondée sur la paix, la réconciliation, l’unité et la stabi­lité. En Centrafrique, le Maroc est présent à travers la force africaine pour protéger les communautés au moment où les anta­gonismes et tensions entre ces dernières se sont multipliés. La contribution du Maroc dans le maintien aux opérations de la paix dans le continent africain avec 1600 casques bleus. Que ce soit en Sier­ra Leone, au Congo, au mali, en Centra­frique, en Côte d’Ivoire, en Somalie, la contribution diplomatique du Maroc sur le plan sécuritaire est importante. A New York, lors de la 72ème session de l’As­semblée générale des Nations unies, la proposition de Nasser Bourita, chef de la diplomatie, de former les troupes du G5 du Sahel va dans ce sens.

L’objectif du Maroc est d’aider à la sta­bilisation des pays en crise. Aujourd’hui, dans tous les agendas politiques figure, en bonne place, le développement éco­nomique qui passe par un changement d’approches privilégiant davantage les communautés économiques régionales, le privé et le partenariat public-privé comme l’illustrent les quelques 500 conventions signées avec les différents gouverne­ments.

A l’heure du réveil religieux et de l’ins­trumentalisation de l’Islam , la Sécurité c’est aussi la sécurité spirituelle (amn rou­hi) avec la diffusion de l’Islam malékite, islam de tolérance et la formation durant les cinq prochaines années de près de 500 imams du Mali, du Niger, de Guinée.

L’institut de formation a été inauguré par le souverain du Maroc, le 27 Mars 2015, avec pour objectif «d’enseigner aux nouvelles générations d’imams et de mourchidates les valeurs de l’islam du juste milieu en vue de prémunir le Maroc contre les velléités de l’extrémisme ». A côté de cet outil de diplomatie religieuse, c’est toute une politique de lutte contre le radicalisme et pour la «sécurité spi­rituelle» qui est portée dans toute sa légitimité par le souverain, Comman­deur des croyants. Elle est déclinée sous différentes mesures : adoption d’une loi antiterroriste (28 mai 2003) ; réforme phare du Code du statut personnel et de la famille (Moudawwana), en faveur des droits des femmes (2004) ; création, en 2005, de la chaîne de télévision Assa­dissa (la «sixième», en référence au nom du monarque), consacrée aux affaires re­ligieuses pour rivaliser avec les chaînes satellitaires intégristes, féminisation du personnel religieux par la création du corps des prédicatrices (mourchidates), la restructuration et la modernisation du champ religieux.

Nourrir une population en croissance

L’autre volet de sécurité tout aussi fon­damental c’est La Sécurité alimentaire. L’histoire économique nous enseigne qu’aucun pays ne peut prospérer sans sécurité alimentaire. A contrario, l’in­sécurité alimentaire explique en partie l’acuité des crises politiques. Les pays du sahel, Niger en tête, le Mali et le Bur­kina Faso sont en insécurité alimentaire alors que près de 70% des populations vivent de l’agriculture :les sols sont secs , les engrais trop chers ,la mécanisation de l’agriculture est insuffisante. OCP group, qui entend participer à la révolu­tion verte du continent a lancé plusieurs projets en Afrique de l’ouest notamment en cote d’ivoire ,mais aussi en Ethiopie, au Nigéria afin de sécuriser leur appro­visionnement en engrais.

Un partenariat stratégique entre les gouvernements du Maroc et du Gabon permettra d’utiliser les phosphates du Ma­roc et le gaz d’ammoniac du Gabon pour produire des engrais phosphatés destinés à l’Afrique subsaharienne. Le dévelop­pement agricole et le renforcement de la résilience à la production de l’agriculture (secteur pour lequel travaillent 60 % de la population africaine) apparaît comme une priorité pour la sécurité alimentaire et le développement économique du Continent. Le Maroc, 3ème producteur au niveau mondial et premier exportateur de phosphates disposant d’importantes réserves peut accompagner les politiques agricoles des pays d’Afrique. En amont de la COP 22, le Maroc avait réuni à Mar­rakech plus d’une vingtaine de ministres africains de l’Agriculture pour lancer l’initiative « Triple A» visant l’adaptation de l’agriculture africaine pour faire face aux défis du changement climatique. Le ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch, avait alors établi «un lien entre le développement agricole et le changement climatique» pour faire bouger les lignes et trouver des solutions pragmatiques au développement du continent dont la population – avec 2,5 milliards d’habitants – aura doublé d’ici à 2050. « L’Afrique se doit donc de doubler sa production agricole d’ici à 2030 et de la tripler d’ici à 2050 ». L’objectif est ain­si fixé, mais reste encore à s’en donner les moyens. Des moyens tout d’abord finan­ciers et l’on peut penser aux fonds verts qui peuvent également financer l’énergie qui est la condition première du dévelop­pement du continent. Concernant la ques­tion du changement climatique et après la COP 21 et la COP22, il faut poursuivre la mobilisation des acteurs , encourager les innovations, mettre en oeuvre l’agenda des solutions et poursuivre la dynamique avec les collectivités territoriales et avec les acteurs des sociétés civiles. Le Maroc poursuit ses engagements à travers un cer­tain nombre de programmes qu’il a initiés depuis quelque temps, qui touchent les problématiques de l’eau et la préservation de cette ressource, l’agriculture très sen­sible aux aléas climatiques, la transition énergétique avec une ambition forte de 52% d’électricité réalisée avec l’éner­gie renouvelable à l’horizon 2030 et le programme d’efficacité énergétique qui touchera différents domaines comme le bâtiment et les transports. L’accord de Paris a permis de mobiliser l’ensemble des acteurs et d’admettre un principe de solidarité entre pays émetteurs et pays non émetteurs. Ces derniers subissent les effets climatiques et ont besoin de pro­grammes ambitieux pour s’adapter à cette nouvelle réalité avec des enjeux humains et des enjeux de sécurité compte tenu des tragédies et des drames qui sont dus aux changements climatiques.

Les accords de Paris ont été signés par 175 états à New York et nous entrons dans une nouvelle étape. Aujourd’hui, il est important d’avancer dans l’opéra­tionnalisation des accords pour crédibili­ser le processus et sortir avec des projets concrets. Il y a tout un travail sur la ques­tion des financements (qui seront à l’ordre du jour au prochain sommet de Paris qui se tient le 12 décembre prochain) , de dé­veloppement de capacités, de transferts de technologies , d’accompagnement de pays pour les aider à préparer leur plan d’adap­tation et à réaliser certains projets comme la mise en place de systèmes d’alerte dans les pays sensibles aux aléas climatiques extrêmes.

«Pour exister sur la scène internatio­nale et espérer peser dans les affaires du monde, il faut avoir des idées, des ressources humaines et financières et le courage de faire des choix. Il faut avoir des idées car l’important n’est pas d’avoir une place à table mais d’avoir quelque chose à dire ….. Cela suppose une ca­pacité d’analyse indépendante et une vi­sion stratégique de ce qui est possible et souhaitable pour soi et pour les autres. ….On ne peut pas vivre indéfiniment sur un capital de sympathie accumulé au fil des ans. Surtout pas à l’époque actuelle où la compétitivité est féroce. […] On a dans le monde non pas tant la place qu’on mérite que celle qu’on se donne » Marie Bernard-Meunier, ancienne ambassa­drice du Canada.

roi 2Le Maroc, plateforme entre l’Europe et l’Afrique

Dans ce contexte, le Maroc a pour am­bition de jouer un rôle central comme trait d’union entre l’Europe et l’Afrique. Son rôle de « hub » vers l’Afrique s’affirme au fil du temps et dans différents do­maines, services, nouvelles technologies , banques, industries, transport aérien… Le Maroc a décloisonné son marché en ou­vrant son économie à près d’un milliard de consommateurs grâce à la signature des accords de libre échange. Il a renfor­cé, ces dernières années, sa coopération économique avec l’Afrique : 42 % des flux d’investissements directs étrangers (IDE) marocains sont destinés à l’Afrique ; les opérateurs marocains dans les secteurs de la banque et de l’assurance sont présents dans 25 pays du continent ; et l’investisse­ment des entreprises marocaines en terre africaine est plurisectoriel, il concerne tous les secteurs. La finance, l’industrie, l’énergie, l’eau, le transport, le logement social, la santé, l’éducation… La banque avec Attijariwafa bank, BMCE bank of Africa et Banque populaire et surtout avec la place financière panafricaine Casablanca finance city est le pivot de la stratégie de croissance marocaine en Afrique. Mais il existe d’autres secteurs où le Maroc s’est imposé, celui des télé­coms, de la monétique avec HPS et MEM, de l’agriculture avec les projets de l’OCP dans les engrais et la sécurité alimentaire.

Aujourd’hui, le Maroc peut être consi­déré comme une plate-forme pour les entreprises étrangères souhaitant investir en Afrique sub-saharienne en raison de la connaissance profonde des marchés africains, des liaisons aériennes très fré­quentes et un secteur bancaire marocain solide. Il ouvre, à cet effet, la porte à des projets de coopération tripartite : Maroc – Pays africains – Pays d’Europe. Avec une croissance de plus de 5 % en 2104, une démographie dynamique et l’émer­gence d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse, l’Afrique représente un potentiel économique. L’Afrique est en train de structurer sa croissance – 70 % de sa population sera urbaine en 2030 – de diversifier son économie et les entreprises européennes ont toutes les compétences pour proposer leur expertise et répondre à la demande. Education, urbanisation, construction intelligente et durable, énergie, agriculture, technologies mé­dicales, objets connectés…les besoins de l’Afrique sont immenses et les défis à relever sont une opportunité pour les entreprises françaises de montrer leur sa­voir-faire et d’imposer leur notoriété sur ce continent en pleine expansion.

Le Maroc veut accompagner son déve­loppement et il a des atouts considérables pour ce faire. Il a des pôles d’excellence dans l’industrie et les services, il est le pre­mier investisseur africain dans la zone de l’Afrique de l’Ouest et le deuxième inves­tisseur en Afrique. Quelques exemples de succès marocains en Afrique sont là pour en témoigner : le groupe Saham est le premier assureur du continent, Maroc Télécom, qui en s’installant, dès 2001, en Mauritanie, a ouvert la voie en Afrique avec une présence au Gabon, au Burkina Faso, au Mali, la Royal Air Maroc qui a signé avec la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale deux accords pour la création de deux compa­gnies aériennes, l’une sous régionale et l’autre gabonaise, le laboratoire pharma­ceutique Sotherma qui exporte des médi­caments dans plusieurs pays et fabrique au Sénégal des médicaments génériques pour les pathologies les plus répandues dans la région. Ces entreprises peuvent s’appuyer sur les banques marocaines comme la BMCE et Attijariwafa bank, très présentes en Afrique où le taux de bancarisation est très faible, moins de 10%. Ce positionne­ment du Maroc comme plateforme éco­nomique avec le port de Tanger Med et l’aéroport de Casablanca est bien sûr très intéressant.

Le Maroc peut unir avec d’autres pays qui partagent la même vision ses forces en Afrique, dans un certain nombre de secteurs, l’énergie, l’agroalimentaire, le transport, le développement durable. Les filières bancaires et industrielles ont atteint un niveau de maturité qui leur permet de rayonner en dehors des fron­tières. Il existe de nombreux exemples de co-localisation, c’est-à-dire de partage de la valeur et de l’apport des meilleurs atouts de chacun dans les chaînes d’in­vestissement. Ils peuvent s’élargir en incluant l’Afrique. Ce que l’on constate, c’est que de nombreuses entreprises considèrent le Maroc comme un relais et travaillent à partir de Hub marocain pour aller vers l’Afrique. Pour beaucoup d’entreprises, le Maroc est le «hub» pour la logistique, pour les fonctions support. Avec Casa Finance City le Maroc devient un pole-relais financier régional. Concer­nant le transfert des connaissances, il faut rappeler que le Maroc dispose de techni­ciens qualifiés qui font souvent défaut en Afrique subsaharienne et permet ainsi une bonne adaptation des compétences, sans compter le rôle joué par le Royaume dans la formation des cadres africains : 8000 jeunes africains boursiers du Royaume étudient actuellement au Maroc. On est dans cette idée de chaîne de valeur qui est intéressante au point de vue politique, culturel, cultuel, les Marocains ayant un accès plus facile à l’Islam et à la culture subsaharienne. Nombre d’entreprises ont créé sur place des centres de formation en partenariat avec les entreprises maro­caines, dans les domaines de l’automo­bile, de l’aéronautique et dans d’autres secteurs. Les grandes écoles comme l’ESSEC, Dauphine ont créé des campus qui attirent de plus en plus d’étudiants africains, l’ambition étant d’avoir un multi pole de formation et d’éducation au Maroc qui rayonnerait sur l’Afrique.

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