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Maroc : la « start-up nation » face à la réalité du terrain

Par Hajar Ben Hosain

Derrière les discours volontaristes sur l’émergence d’une « start-up nation » marocaine, la dynamique entrepreneuriale demeure entravée par de profondes inégalités structurelles. Si les indicateurs internationaux affichent une légère amélioration, le quotidien des jeunes innovateurs, notamment en dehors des grands centres urbains, reste marqué par des difficultés persistantes : accès limité au financement, absence de mentorat structurant, faiblesse des infrastructures. Le contraste est saisissant entre les ambitions affichées et les réalités du terrain.

Le Maroc figure désormais parmi les 13 pays africains classés dans le top 100 du « Global Startup Ecosystem Index 2025 ». Il occupe la 9e place à l’échelle continentale, progressant de quatre rangs par rapport à l’année précédente. Il se positionne derrière des économies telles que l’Afrique du Sud (52e), le Kenya (58e), l’Égypte (65e) et le Nigeria (66e), mais devance des pays comme le Sénégal, l’Ouganda ou encore le Rwanda.

Ce classement s’appuie sur 33 indicateurs répartis en trois catégories : la quantité, qui recense le nombre de start-up, d’espaces de coworking, d’accélérateurs et d’événements dédiés ; la qualité, mesurée à travers les investissements, la présence de licornes, les centres de R&D et l’implantation de multinationales ; et enfin, l’environnement des affaires, comprenant l’accès à Internet, la fiscalité, la réglementation et l’innovation technologique.

L’écosystème entrepreneurial marocain reste en construction. Les progrès enregistrés ces dernières années traduisent néanmoins une volonté publique de renforcer le tissu économique. Des dispositifs ont été mis en œuvre pour stimuler l’initiative privée. Le programme Intelaka, lancé en partenariat avec le ministère de l’Économie, Bank Al-Maghrib et les banques commerciales, vise à faciliter l’accès au crédit pour des profils souvent marginalisés : jeunes diplômés, très petites entreprises (TPE), autoentrepreneurs et start-up, en particulier dans les zones rurales.

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De même, le programme Awrach, déployé en 2022 avec un budget de 2,25 milliards de dirhams, ambitionne de créer quelque 250 000 emplois en deux ans. Ces initiatives traduisent une volonté d’encourager l’entrepreneuriat chez les jeunes, tout en réduisant les disparités régionales.

Mais sur le terrain, les témoignages des jeunes entrepreneurs tracent une tout autre réalité. L’accès au financement constitue toujours le principal écueil. Le capital-risque reste embryonnaire et les montants mobilisés sont bien inférieurs à ceux levés par les start-up africaines d’autres marchés émergents. Selon TechCabal, les jeunes pousses marocaines ont levé en 2021 quelque 269 millions de dirhams, un record national certes, mais qui reste modeste comparé aux 100 millions de dollars collectés par les start-up égyptiennes sur la même période.

Les freins sont multiples : lourdeurs administratives, réglementation désuète, faible maturité de l’écosystème fintech et difficulté d’accès aux services numériques mondiaux, comme la publicité sur Google ou Facebook.

Inégalité dans la répartition des infrastructures

Le manque de mentorat et d’accompagnement constitue un autre obstacle majeur. Les incubateurs, accélérateurs ou espaces de coworking, bien qu’en expansion dans des métropoles comme Casablanca, Rabat ou Marrakech, restent peu accessibles ailleurs. À peine 2 % des porteurs de projets bénéficient aujourd’hui d’un accompagnement structuré. S’ajoute à cela l’absence de modèles économiques viables pour ces structures, limitant leur capacité à soutenir durablement les entrepreneurs.

Les infrastructures technologiques sont elles aussi concentrées dans les pôles urbains, accentuant la fracture régionale. Hors des grandes villes, les start-up se heurtent à un déficit criant de services de base et de connectivité. D’après l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), si une majorité de Marocains disposent d’un téléphone mobile, seuls 25 % possèdent un ordinateur ou une tablette. Ce chiffre souligne l’ampleur de la fracture numérique. Par ailleurs, seuls 23 % des foyers ont accès à l’Internet fixe, contre 84,5 % pour l’Internet mobile.

Ces inégalités limitent les perspectives d’innovation dans les territoires, où l’écosystème entrepreneurial peine à émerger. Une politique volontariste d’équipement numérique et d’accès aux technologies de l’information apparaît désormais incontournable.

À ces carences s’ajoutent des rigidités institutionnelles persistantes. Le cadre réglementaire applicable aux start-up reste lacunaire, avec des procédures longues, complexes, et peu adaptées à la logique d’agilité propre à l’innovation. La création d’entreprise, la levée de fonds via les Organismes de Placement Collectif en Capital (OPCC), la liquidation judiciaire ou encore les démarches d’internationalisation se heurtent à une bureaucratie souvent dissuasive.

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