Maroc : Légalisation du cannabis,la question qui divise

 « Mexicana », « Pakistana », « K hardala », ses appellations diffèrent selon l’origine de ses grains, la culture du Cannabis, est l’un des dossiers qui fait couler beaucoup d’encre au Maroc. Cette polémique interpelle et fait débat dans les médias, au Parlement, au sein des partis politiques et des associations.

Depuis des années déjà, « la légalisation du cannabis » suscite de vives controverses, entre ceux qui plaident pour sa légalisation à des fins thérapeutiques et industrielles, et ceux qui s’opposent à ce sujet pour le caractère illégal de la culture du cannabis et de l’usage de la plante comme stupéfiant.

Ce débat au Maroc s’inscrit dans un contexte mondial favorable à la dépénalisation de l’usage du cannabis dans le monde.

Le cannabis dans le débat international

Alors que les traités internationaux relatifs au contrôle des drogues inter­disent l’usage non-médical du can­nabis, en Europe, plusieurs pays ont fait le choix de sa légalisation, no­tamment, le Portugal, l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, l’Italie, la Ré­publique Tchèque, la Belgique et les Pays-Bas.

En France, le cannabis médicinal est autorisé par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé depuis 1999. Toutefois, cela doit faire l’objet d’une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) qui est nominative.

Au niveau de l’Afrique, en mars dernier, l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS), avait publié son rapport annuel, au titre de l’année 2018. Dans une ana­lyse de la situation mondiale du trafic, le rapport souligne que l’Afrique est considérée comme «une importante région de transit pour le trafic de drogues ainsi qu’une destination croissante du trafic de stupéfiants. Le trafic de cocaïne, d’héroïne et de cannabis est répandu, même si les tendances varient d’une drogue à l’autre ».

Cette instance onusienne a éga­lement tiré la sonnette d’alarme sur la production de résine de canna­bis dans le continent. « Le cannabis est le stupéfiant le plus largement saisi par les services de détection et de répression africains, comme l’ont indiqué les pays de la région », alerte le rapport.

Quant au Maroc, selon la même source, « il a signalé, en 2017, avoir saisi les plus grandes quantités (plus de 117 tonnes de résine et 283 tonnes d’herbe) ».

Pour l’OICS, l’usage mé­dical de cannabis est possible s’il est supervisé médicale­ment et à condition que les mesures de contrôle prévues dans la Convention soient en place.

Cet organe onusien exhorte ainsi les gouvernements qui souhaitent autoriser l’usage médical du cannabis de « ne le faire que s’il existe des preuves de l’efficacité et de l’innocuité de ces subs­tances » et de « surveiller leur prescription et leur uti­lisation de manière à réduire au minimum les risques de détournement et d’abus ».

Le cannabis dans le débat économico-politique au Maroc

Le débat sur la légalisation n’est pas récent. Au Maroc, ce dossier sus­cite la polémique depuis des années. Voici la chronologie des faits. En 2009, le PAM (parti Authenticité et Modernité) propose d’ouvrir un débat national sur « la culture du canna­bis ».

Quelques années plus tard, le dépu­té Nourreddine Mediane, du parti de l’Istiqlal avance un chiffre de « 2 mil­lions » de Marocains des différentes régions du Royaume, qui seraient, se­lon lui, « impliqués directement dans la culture du cannabis».

La même source indique que la ville d’Al Hoceïma, à elle seule, compterait 250.000 personnes qui opèrent directement dans ces champs. En outre, l’épicentre de cette culture illicite se situe, selon ce député, au niveau des villes suivantes : Tétouan, Larache, Ouezzane, Chefchaouen, Al Hoceïma, Taounate, Ouarzazate, Er­rachidia, et Taroudant.

Au Parlement, le PAM et l’Istiqlal ont fait de la légalisation du cannabis leur cheval de bataille. En 2013, le parti de l’Istiqlal organise une jour­née d’études sur le cannabis et dépose un projet de loi sur sa légalisation au Parlement. Alors qu’en 2014, le PAM organise, pour sa part, une journée de discussion liée à cette plante dans la commune de Bab Berred, en présence de près de 2.000 cultivateurs.

Une année plus tard, le PAM avait déposé un projet de loi visant à « légaliser le cannabis » et « réclamant l’amnistie pour les cultivateurs du Rif arrêtés pour en avoir cultivé », mais la proposition de loi n’a jamais été mise à l’ordre du jour au Parlement.

De l’autre côté, les anti-légalisa­tion estiment que ce dossier pose des problèmes sociaux et politiques, qu’il nécessitera une solution autre que la dépénalisation de la culture du can­nabis.

En 2016, l’ancien chef du gouver­nement, Abdelilah Benkirane avait déclaré « nos experts nous ont prouvé que la légalisation du cannabis ne ferait qu’aggraver les problèmes so­ciaux au Maroc et encouragerait la culture de cette plante dans le pays. En revanche, la légalisation de la culture du cannabis à des fins thé­rapeutiques ne pourrait aucunement être positive pour le Maroc».

Plus récemment, la question de la légalisation du Cannabis thérapeu­tique a, de nouveau, été mise sur le tapis au Parlement, mercredi 30 oc­tobre, par le Parti Authenticité et Mo­dernité (PAM). Une question écrite a été adressée au nouveau ministre de la Santé, par Mohamed Cheikh Biadillah, sur la possibilité d’envisager l’usage médical de cette plante au Maroc. « Quand est-ce que le Maroc pourrait envisager de suivre la voie du Ca­nada, des Etats-Unis et des pays bas et de tirer profit des bénéfices théra­peutiques de la plante du Cannabis ?» s’interroge-t-on.

L’Afrique est considérée comme «une importante région de transit pour le trafic de drogues ainsi qu’une destination croissante du trafic de stupéfiants».

L’ancien Secrétaire général du parti n’a pas hésité à soulever plu­sieurs autres questions liées à ce sujet, notamment, « l’usage des bienfaits thérapeutiques du cannabis dans plus de 30 pays à travers le monde », et souligne que « certains professeurs universitaires ont réussi à extraire du cannabis marocain les mêmes substances utilisées dans la fabrication de plusieurs médicaments en Europe et en Amérique du Nord ».

En été dernier, le Conseil de la ré­gion de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma a annoncé qu’il financera une nou­velle étude autour de « l’exploitation des propriétés du cannabis en matière thérapeutique et pharmacologique ». L’étude sera menée en collaboration avec l’Institut scientifique de Rabat, rattaché à l’Université Mohammed V, qui se chargera de la partie scien­tifique.

L’Istiqlal a également son mot à dire sur le sujet. Dans une déclaration à MAROC DIPLOMATIQUE, l’an­cien porte-parole de l’Istiqlal, Adil Benhamza a expliqué l’approche de son parti, dans le traitement de ce dossier. « D’un point de vue social, il y avait environ 60.000 agricul­teurs recherchés, ce qui engendre une situation de précarité sociale dans laquelle vivent ces familles paysannes ». Et d’ajouter que « la recherche scientifique, au niveau international, a prouvé qu’il existe des bienfaits thérapeutiques et cos­métiques du cannabis », tout en rap­pelant que son parti est contre l’usage non-médical de la plante.

 Pour ce député, « la dépénalisation est le seul moyen pour qu’on puisse trouver d’éventuelles solutions à ce dossier, notamment, à travers une amnistie générale à l’ensemble des agriculteurs recherchés ».

«Ce sujet ne devrait plus rester un tabou, en même temps, ce n’est aucunement une incitation à l’usage des stupéfiants », précise-t-il.

Il poursuit : « C’est une réalité qu’on ne peut pas nier. Certes, ce dossier est un peu compliqué, mais, je crois qu’après des années d’échecs des agricultures alternatives et l’aggravation de la situation de précarité qui embarque les petits agriculteurs, la seule issue est de tirer profit des bienfaits médicaux de cette plante, tout en assurant des conditions de vie dignes à ces petits agriculteurs », renchérit-il.

Dans un autre registre, l’Etat continue sa lutte contre la culture du cannabis dans les provinces du nord. En 2019, à fin août dernier, les services de sécurité ont saisi plus de 224 tonnes de cannabis. De son côté, le ministère de l’Intérieur a mis en place une série de mesures d’anticipation, selon notre confrère LEconomiste, « ces mesures ont abouti à la destruction des centaines d’hectares consacrés à la culture du cannabis, soit 65%, passant à 47.500 hectares contre 134.000 au­paravant ».

En vue de trouver des solutions à ce dossier, plusieurs programmes de développement local ont été mis en place dans les provinces concer­nées par cette culture, notamment, le Plan Maroc vert et l’INDH, pour protéger également les cultivateurs des tentations des réseaux criminels s’activant dans ce secteur.

Qu’en pensent les jeunes ?

D’emblée, les jeunes sont les pre­miers concernés par cette probléma­tique, puisque la consommation de ces produits illicites touche, en pre­mier lieu, cette catégorie au Maroc. C’est pour cette raison que MAROC DIPLOMATIQUE s’est intéressé à leurs avis sur ce sujet.

Interrogée sur l’utilité de dépénaliser l’usage médical du cannabis, Fatima, jeune associative à Tanger, estime qu’il est important de légali­ser l’usage médical de cette plante, d’un point de vue économique. « On le sait tous, le Maroc est l’un des plus grands exportateurs du Haschisch au monde, donc, c’est une culture qui peut générer énormément de profit pour l’économie marocaine. Quoique l’Etat devrait instaurer des mé­canismes de surveillance, pour que l’usage de cette plante reste strictement médical, à travers la mobilisation du ministère de la Santé et les syndicats des pharma­cies. En revanche, tous les médica­ments qui comportent cette plante nécessiteront une ordonnance médicale », souligne-t-elle.

Elle poursuit : « pour parler de dépénalisation de la culture du cannabis, il faut aussi parler des amendes et pénalités que les usagers de cette plante, comme stupéfiant, devraient assumer ».

Par ailleurs, les lois relatives à la possession et à la consommation du cannabis sont strictes au Maroc, les fumeurs de joints risquent 2 mois à un 1 an de prison.

Pour sa part, le président du Forum de la Modernité et de la Démocratie (FMD), Abdellah Eid Nizar nous a confié qu’il est pour la dépénalisa­tion de l’usage médical et non-mé­dical aussi. « Je suis pour les deux. L’usage médical du cannabis va nous aider, d’une part, à contribuer à la production des médicaments et diminuer leurs prix. D’autre part, pour en faire éventuellement un levier économique, à travers l’exportation », explique-t-il.

Pour ce jeune activiste, « Il faut qu’on arrête de se voiler la face. Le haschisch se produit et se consomme au Maroc et des millions de Maro­cains le fument chaque jour, donc c’est clair que l’interdiction et la pénalisation n’a rien changé dans ce sens. Les Pays-Bas, par exemple, ont constaté que la légalisation a diminué le taux de consommation. Donc en légalisant et en mettant des mécanismes stricts, à savoir, ne pas dépasser une quantité quotidienne dans l’achat, créer des cafés juste pour cela et interdiction de fumer en dehors. Je pense que la dépénalisa­tion va nous permettre de dépasser tous les problèmes liés à ce sujet ».

Des tonnes de cannabis saisies par les autorités.

Il rajoute : « Finalement, le point le plus important est que la dépé­nalisation permettra à l’Etat de combattre les mafias de drogue, assurer des boulots dignes pour les personnes qui travaillent dans ce domaine et qui sont maintenant recherchés, alors qu’ils n’ont pas d’alternatives. D’autant plus que cela va permettre également d’en contrôler la qualité et d’éviter aux Marocains le risque de détruire leur santé mentale ».

Abderrahmane, lauréat de l’EN­CG, est pour la légalisation du can­nabis au Maroc, il estime qu’« elle va générer énormément de bénéfices pour l’Etat, du moment que les producteurs vont devoir payer des taxes. En revanche, la légalisation de la culture du cannabis permettra d’organiser ce secteur et d’amélio­rer sa qualité pour minimiser les dégâts sur la santé mentale de ses usagers. Par ailleurs, on peut pré­voir des campagnes de sensibilisa­tion pour avertir des dangers de ce stupéfiant ».

 «La dépénalisation est le seul moyen pour qu’on puisse trouver d’éventuelles solutions à ce dossier».

Hamza, étudiant à l’ISITT, trouve que l’interdiction par la loi de l’usage du cannabis, ne change rien à la réalité sociale. « Celui qui veut consommer du haschisch pour un usage non-médical, n’attend pas qu’il soit légalisé pour le faire. Par contre, la légalisation permettra de diminuer davantage l’usage clandestin de cette plante. Prenons l’exemple des pays qui ont légalisé l’usage du cannabis, je trouve que l’expérience du Canada est très réussie, dans ce sens », précise-t-il.

Leila, une militante pour la cause climatique, ne semble pas être d’ac­cord avec les autres. Cette dernière, trouve que cette culture risque de causer plusieurs problèmes environ­nementaux, notamment, « l’épui­sement des sols causé par une uti­lisation intensive des engrais » et « le défrichage et l’assèchement des nappes phréatiques dus à l’irriga­tion ».

Ce débat qu’on connaît au Maroc sur ce dossier, traduit un décalage entre la réalité sociale des petits agriculteurs et le différend qui existe entre différents acteurs politiques sur ce sujet. Dans cette dynamique, le cannabis devient un véritable en­jeu politique entre les départements responsables.

Entre « les revenus que cette culture engendre », « les conditions de vie précaires des paysans prati­quant cette culture », « les mandats d’arrêt à l’encontre des cultiva­teurs » et « les surfaces cultivées et la question de la légalisation », ce dossier présente plusieurs points de discorde pour les pro et les anti-légalisation du cannabis, laissant place à plusieurs interrogations sur ce sujet, à savoir, est-ce que le Ma­roc pourrait bénéficier, un jour, des retombées de l’or vert ?

 Enquête réalisée par Yasmine El Khamlichi

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