Maroc : Quid de la condition des femmes à l’ère du coronavirus ?

Entretien avec Oumayma Achour, présidente de l’Association Joussour

Faire le ménage, préparer les repas, prendre soin des enfants, assurer ses horaires de télétravail ou sortir travailler … les femmes marocaines continuent d’assumer, de manière continue, l’essentiel des tâches ménagères et éducatives, en plus de leurs responsabilités professionnelles. On ne le sait que trop bien, cette crise sanitaire a creusé le fossé des inégalités hommes-femmes, notamment, en matière de répartition des tâches et de gestion des responsabilités au sein des foyers familiaux au Maroc.

Le point sur la condition des femmes à l’ère du coronavirus avec la présidente de l’Association Joussour, Oumayma ACHOUR.

MAROC DIPLOMATIQUE : Pensez-vous que cette crise sanitaire, liée à la Covid-19, a exacerbé les inégalités femme-homme ?

Oumayma Achour : Partout dans le monde, les chercheurs sont en train d’analyser l’impact de cette crise. Il faut savoir que les économistes conjoncturistes présagent qu’un nouvel ordre mondial est en train de s’installer. En revanche, une nouvelle pensée économique va se mettre en place, et devrait être plus égalitaire, au service de l’homme et de la femme, à travers de nouveaux moyens, notamment via le digital.

On parle déjà de la fragilité de la mondialisation, des limites de l’ultralibéralisme, mais aussi des inégalités homme-femme qui ont resurgi, notamment dans la fragilité des systèmes de protection sociale, or, cette pandémie a creusé le fossé des inégalités sociales.

Ces inégalités ont refait surface. Désormais, la femme a de plus en plus de responsabilités, à côté du télétravail, de l’éducation et du suivi des études des enfants, en plus des charges du foyer. Si elle n’est pas confinée, elle sort de sa maison et travaille au devant de la scène et gère, en même temps, ses responsabilités familiales, dans le stress du confinement. Cette situation s’empire lorsqu’il n’y a pas de partage des tâches entre la femme et son conjoint. Et dire que le Maroc, à l’instar de tous les pays du monde, s’est préparé au confinement au niveau sanitaire, économique, industriel,… mais pas au niveau social et relationnel entre les familles.

Je pense qu’il reste encore des efforts à déployer en matière de la cohésion sociale. Il aurait fallu penser à communiquer autour de la violence domestique, conjugale, à l’égard des enfants. Il aurait fallu également sensibiliser sur l’importance de s’entraider et de partager les tâches ménagères. D’ailleurs, c’est un élément qui a été mentionné dans plusieurs études autour des inégalités sociales entre homme et femme.

Pire encore, de nombreuses femmes, œuvrant dans le secteur informel, se sont retrouvées, du jour au lendemain, au chômage, sans la moindre protection sociale. Evidemment, l’État a mis en place des mesures préventives et correctrices, qui ont permis de sauver un grand nombre de nos concitoyen.e.s, notamment, ceux et celles qui travaillent dans l’informel, mais ce n’est qu’une solution provisoire. Aujourd’hui, la question qui se pose est : Que va-t-il se passer après le confinement ?

A mon avis, le Maroc devrait saisir cette opportunité pour mettre en place des programmes d’appui social, qui permettront aux Marocain.e.s de vivre dans la dignité et la justice sociale.

Le monde a compris plus que jamais que les systèmes de protection sociale sont indispensables pour réduire les inégalités à tous les niveaux, notamment, aux niveaux économique et social.

MD : Partout dans le monde, les violences faites aux femmes se sont accrues avec le confinement. Mais, est-ce que vous trouvez, qu’ici au Maroc, nous avons fait le nécessaire pour protéger ces femmes ?

O.A : Quand on évoque les violences à l’égard des femmes, on parle aussi de la loi 103.13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je tiens à rappeler que la société civile et le Mouvement des droits des femmes, ont déjà émis leurs remarques concernant cette loi. Nous avons envoyé des mémorandums et haussé le ton pour dire que ce texte est insuffisant.

Aujourd’hui, les lacunes de cette loi pèsent sur la condition féminine dans cette crise sanitaire, parce qu’elle ne protège pas la femme dans l’espace privé, alors que les violences que les femmes subissent dans cette période, se passent dans leurs foyers.

Ceci dit, il est temps de prendre les mesures nécessaires pour protéger la femme dans la sphère privée, afin de permettre l’intervention des autorités policières, arrêter le coupable et ensuite mettre ces victimes de la violence dans un centre étatique dans lequel elles vont se sentir à l’abri.

Dans le même registre, cette situation de confinement a mis la femme dans un état de vulnérabilité et de précarité. Même la loi, qui était considérée comme une grande avancée, n’a pas permis de protéger de nombreuses femmes, alors qu’elles sont censées recourir à la justice pour se protéger et déposer des injonctions.

Personne ne peut nier les efforts consentis par la société civile, mais, c’est le moment de mettre en place un arsenal juridique protecteur de la femme et de prévoir des mesures de crise dans toutes les lois, en cas de circonstances exceptionnelles, comme celles que nous vivons à l’heure actuelle.

MD : Cette situation exceptionnelle, qu’on n’a jamais vécue auparavant, met au grand jour nos réalités sociales. Sur la toile, nous avons vu de nombreuses femmes exprimer leur ras-le-bol de devoir tout gérer toutes seules. Cette double peine des femmes nous en dit quoi réellement ?

OA : Il faut dire que ce confinement est vécu différemment, selon la situation familiale de chacune, c’est du cas par cas. On peut citer, à titre d’exemple, la femme mariée avec enfants qui vit ces circonstances différemment de celle qui n’a pas d’enfants, c’est aussi  valable pour les femmes veuves, divorcées, célibataires, ou celles qui sont bloquées quelque part dans le monde loin de leurs familles…

Toutefois, Il faut souligner que cette situation de confinement a permis à certaines familles de passer des moments de retrouvailles et de solidarité familiale, mais, ce n’est pas l’apanage de nombreuses familles marocaines, qui vivent la violence familiale et le déchirement social, liés à la crainte de perdre son emploi. Certaines femmes ont dû démissionner carrément pour pouvoir gérer leurs responsabilités familiales dans cette période, d’où la nécessité d’instaurer la culture du partage de la responsabilité familiale et de l’égalité.

MD : N’est-il pas temps d’inculquer la notion d’égalité aux futures générations et envisager de l’intégrer dans les programmes scolaires ?

OA : Justement, c’est le moment idéal pour changer les habitudes, véhiculer les valeurs de la citoyenneté, de l’égalité et de la justice sociale. Il est temps aussi de mettre en place des mesures radicales pour corriger les inégalités dans tous les secteurs.

Il est aussi important de mettre en place des structures d’accompagnement pour les parents non-confinés, ainsi que des centres étatiques qui prennent en charge la femme violentée et ses enfants, sans oublier les structures d’accompagnement destinées aux citoyens en détresse psychologique.

Par ailleurs, le congé parental s’avère désormais nécessaire, notamment, pour les hommes qui veulent s’occuper de leurs enfants. Cette solution diminuerait, à mon sens, beaucoup de violences sociale et psychique.

MD : Qu’en est-il de la présence des femmes dans la gestion de cette crise sanitaire ?

OA : La gente féminine est au devant de la scène dans tous les secteurs. La femme a démontré qu’elle était présente dans toutes les phases de la gestion de cette pandémie et toutes celles qui occupent des postes de décision ont démontré qu’elles sont capables de gérer cette crise sanitaire. Malheureusement, elles sont très peu nombreuses à être chargées des postes de prise de décision et pourtant cette épreuve inédite a fait émerger des héroïnes, notamment, les Caïdes et Wali, ainsi que celles qui œuvrent dans le secteur public et privé, en plus de celles qui travaillent dans le domaine de la Santé, de l’Éducation, de l’Industrie, des médias, etc. En hommage à toutes ces femmes, je dirai qu’il est temps de revoir le partage inégal des responsabilités et surtout de revoir le texte des nominations aux postes de décision.

De notre côté, à l’Association Jossour-FFM (Forum des femmes marocaines), nous sommes en train d’élaborer une étude sur la situation des femmes durant le confinement et post-confinement et nous préparons un cycle de formation en ligne sur les soft skills, la digitalisation du plaidoyer pour les droits des femmes, ainsi qu’un hackathon d’innovation sociétale sur l’architecture digitale pour les jeunes.

MD : Quel conseil donner aux femmes qui subissent une accumulation de charge mentale durant cette période difficile ?

OA : Je leur dirai qu’il faut être solidaires entre homme et femme et militer ensemble pour changer les mentalités et pour que la femme retrouve la place qu’elle mérite dans la sphère publique et privée. Ce changement ne viendra pas du jour au lendemain, si on ne milite pas pour que les perceptions changent et si les textes de loi ne s’harmonisent pas avec les dispositions de la constitution, particulièrement l’article 19.

C’est l’occasion de construire une société juste et égalitaire pour un meilleur Maroc post-coronavirus, dans lequel la femme doit être au devant de la scène dans le partage du pouvoir et de la responsabilité.

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