MD Sahara: ”L’Afrique doit unir ses forces pour une meilleure gouvernance africaine de l’eau”

Placée sous le thème: « Le Maroc en Afrique : Un choix Royal pour un continent global et intégré », l’édition 2023 du forum annuel MD Sahara, tenue à Dakhla du 03 au 05 mars, a été l’occasion pour les divers intervenants et invités de débattre de multiples thématiques se rapportant essentiellement à l’avenir de l’Afrique ainsi qu’au rôle primordial joué par le royaume dans le développement de celle-ci.

De nombreuses questions, s’érigeant en priorité stratégique de l’agenda africain, ont été abordées, lors de cette conférence de haut niveau, parmi lesquelles figure la question de la gouvernance de l’eau en Afrique.

Une question prioritaire et extrêmement importante qui a été au centre de l’intervention de Mme Houria Tazi Sadeq, experte juridique et institutionnelle en eau et développement durable et Présidente de la Coalition Marocaine pour l’Eau (COALMA).

La gestion des ressources hydriques en Afrique est devenue l’une des questions les plus préoccupantes du continent. La plupart des pays africains vivent un stress hydrique sans précédent qui ne cesse de s’exacerber en raison notamment du réchauffement climatique. Au cours des dernières années, les réserves en eau des barrages ont considérablement baissé. Face à cette situation de crise, il semble judicieux de repenser les stratégies et les politiques mises en place par les États africains pour faire face à la raréfaction des ressources en eau. Une idée qui converge d’ailleurs vers celle exprimée par Mme Houria Tazi Sadeq, le samedi 04 mars, lors de son intervention.

“La question de l’eau est abordée à partir de trois éléments. On trouve d’abord tout ce qui relève des infrastructures, ensuite les éléments reliés aux systèmes d’information et de données et finalement tout ce qui est d’ordre réglementaire et institutionnel et relève, par conséquent, de la gouvernance y compris le financement. La question relative aux ressources hydriques nécessite ainsi de revisiter la gouvernance en continu vu qu’il s’agit d’une question en permanent renouvellement. Ce qui ne nous permet pas de rester sur les mêmes procédures et nous invite, en même temps, à reconsidérer les stratégies que nous engageons pour opérationnaliser les politiques et les visions liées à la question de l’eau. Aujourd’hui, nous vivons une crise hydrique sans précédent.”, a-t-elle affirmé.

La gestion de la crise hydrique se révèle difficile voire compliquée d’autant plus que la pénurie d’eau intervient dans un contexte marqué par un changement climatique qui fait planer plusieurs incertitudes sur ses répercussions et effets.

“Cette raréfaction des ressources en eau est l’un des impacts du changement climatique. Ce qui est encore grave aujourd’hui c’est que tout le monde accepte ce dérèglement climatique sans savoir quelles seront ses conséquences exactes ni quand est-ce qu’elles pourront avoir lieu. Ainsi, outre la rareté, nous vivons des incertitudes. Sachant que la gestion de l’incertitude en même temps que celle de la rareté constituent deux questions très compliquées et difficiles. Notant bien que la question de l’eau reste une question transversale et intersectorielle. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus la traiter selon l’offre mais à partir des usages et des demandes qui ne cessent d’augmenter et de se diversifier.”, a-t-elle souligné.

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La situation hydrique en Afrique ne semble pas être rassurante. Les chiffres officiels dressent un tableau sombre et montrent que les efforts doivent encore être redoublés dans le cadre d’une coopération sud-sud mutuellement bénéfique où les forces s’unissent pour une meilleure gestion des ressources hydriques.

“L’eau est un bien social et économique qui possède également un aspect culturel et politique. Elle est cruciale notamment pour la sécurité alimentaire et la production de l’énergie. Toutefois, elle ne cesse de se raréfier. Les chiffres officiels montrent que la demande en eau douce dépasse les ressources disponibles sur le continent. 65% de la population africaine pourrait être confrontée au stress hydrique à l’horizon de 2025.

Sans oublier les problèmes relatifs à l’accès équitable à l’eau. En effet, le tiers de la population africaine n’a toujours pas accès à l’eau potable et 30% seulement ont un accès aux services d’assainissement. Ce qui fait qu’à peu près la moitié des Africains souffrent de problèmes de santé dus essentiellement au manque d’eau ou à l’eau polluée.”, a-t-elle regretté. 

L’eau représente un enjeu vital pour l’Afrique. Cette ressource naturelle est intrinsèquement liée à la sécurité des États africains. Assurer la bonne gouvernance de cet or bleu serait, selon Mme Houria Tazi Sadeq, le garant aussi bien de la sécurité interne des pays de l’Afrique que de la sécurité  internationale, faisant ainsi allusion aux relations entre États.

“L’Afrique dispose de 63 bassins hydrographiques.17 seulement ont un mécanisme de gestion partagée de l’eau. Tandis que tous les autres sont des points de conflit potentiels. C’est d’ailleurs pour cette raison que je voudrais relier la question de l’eau à la prospérité mais aussi à la sécurité interne et internationale ou entre États. Dans ce sens, je voudrai rappeler un des derniers discours de Sa Majesté le Roi, que dieu l’assiste, adressé au parlement en 2019, où il a expressément reconnu que la question de l’eau est l’une des questions prioritaires, intrinsèquement liée à la sécurité aussi bien interne qu’internationale.” , a-t-elle soutenu.

Choisir le secteur de l’eau pour en faire son projet commun, voici ce que  propose la Présidente de la COALMA pour permettre à l’Afrique de faire face à la crise hydrique et d’assurer une bonne gestion de ses ressources en eau, à même d’éviter au continent bon nombre de conflits.

“Pour faire rayonner l’Afrique, le continent devrait peut-être choisir un secteur et en faire son projet commun. Je pense que l’eau pourrait justement être ce projet vu que les INDC avaient montré, à la veille de la COP 22, que tous les pays africains avaient classé la question de l’eau comme question prioritaire suivie de l’agriculture puis de la santé.”, a-t-elle affirmé.

Mme Houria Tazi Sadeq s’est félicitée, par la même occasion, de la mise en place progressive d’une politique de gouvernance africaine de l’eau. Un projet africain commun qui se manifeste notamment à travers l’instauration, au fil des ans, de divers mécanismes mobilisant toute l’Afrique et rassemblant divers pays du continent autour des questions de l’eau. L’objectif étant de travailler ensemble et de mettre en cohérence les institutions et politiques des États africains. Mais aussi de mettre fin aux conflits potentiels pouvant émerger en raison des problématiques de l’accès à l’eau.

“Une véritable gouvernance africaine de l’eau est en train de se mettre en place. Preuve à l’appui, la constitution, en 2002, du Conseil des Ministres Africains Chargés de l’Eau (l’AMCOW) qui a vu le jour, suite aux efforts fournis à partir de 2002 et 2003 pour la mise en place de structures africaines chargées de travailler essentiellement sur la question de l’eau.

L’AMCOW est ainsi un organisme qui se réunit régulièrement et trace une vision de l’eau qui cherche à faire de la coordination et de la mise en cohérence avec l’agenda 2063, répondant ainsi au besoin de l’Afrique d’être dans l’intégration et dans la mise en cohérence de ses politiques et de ses institutions.

Sans oublier également la mise en place par la Banque africaine de développement de la stratégie de la Facilité africaine de l’eau constituant un mécanisme de financement.”, a-t-elle souligné. Et de poursuivre:

“Ces mécanismes ont donné lieu à de véritables mesures. Je cite notamment la création d’une directive pour la résolution des conflits, mais aussi d’une directive relative à la manière de mettre en place les barrages. Il y a eu également un véritable effort de la Commission des Droits de l’Homme et des Peuples qui a produit un travail colossal intitulé “ Les lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique” et qui constitue réellement un grand progrès qui va au-delà de la résolution des Nations-Unis de 2010.Tout celà nous donne des éléments préparatoires à un projet commun africain.”

Mme Houria Tazi Sadeq a, par ailleurs, saisi cette occasion pour appeler l’ensemble des intervenants et acteurs marocains et africains à mettre en place des actions communes et efficaces. Mais aussi à se rassembler et unir leurs forces autour d’une thématique mobilisatrice pour traiter le problème de l’accès à l’eau ainsi que celui de sa raréfaction.

“Se mettre d’accord sur tout et n’importe quoi ne sera jamais fructueux. Par contre, se mettre autour d’un projet mobilisateur par expérience sera certainement très bénéfique pour notre continent. La demande est exprimée dans tous les pays du continent, le changement climatique est un souci majeur en Afrique… Ce sont tous des facteurs qui mobilisent tout le continent et permettent finalement l’émergence d’un projet commun.”, a-t-elle souligné avant de conclure son intervention par une citation de Jacques Berque disant que “l’eau est un prétexte à l’organisation sociale”.  

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