MD Talks: lecture des approches et paradigmes relatifs à la régionalisation

Tribune

L’article proposé est une lecture personnelle des résultats de la rencontre. Il est proposé pour mettre en valeur en toute humilité quelques idées forces relevées, à cette occasion notamment, celles qui s’articulent autour des approches et paradigmes novateurs relatifs à la régionalisation.

*Par Taoufiq Boudchiche

D’abord un peu d’histoire,  car la régionalisation, au Maroc est un processus dont on peut faire remonter le récit national aux traditions décentralisatrices de la période précoloniale. Les tribus d’antan géraient les affaires locales sur une base ethnique à travers leurs assemblées représentatives (Les Jemâa) composées des fractions et des douars.

Ces assemblées réglementaient les problèmes fonciers, la distribution des eaux, etc. Parfois, elles agissaient en « tribunal local » en prononçant des sentences selon des normes et coutumes bien établies pour sanctionner litiges, délits et crimes. En cas de meurtre, par exemple, l’accusé était condamné à l’extradition hors de la tribu.

En relatant selon une telle perspective historique le débat sur la régionalisation avancée lors de la deuxième rencontre organisée par Maroc-Diplomatique, lundi 28 Juin à Rabat, Monsieur Mohammed El Ansar, Président de Région et ancien Ministre de l’Intérieur, invite  à aborder la question de la régionalisation hors des sentiers battus.

Pendant le Protectorat, a-t-il précisé, un nouveau découpage qui distinguait entre régions civiles et régions militaires  est apparu pour servir les intérêts de l’occupant. L’éclatement tribal opéré lors de cette période a laissé la place au lendemain de l’indépendance à la collectivité territoriale. En 1958, Feu Sa Majesté Mohammed V, prononça un discours où il énonça avec force la volonté de doter le Maroc d’une démocratie locale.  En 1962, le statut des collectivités locales a été attribué par la loi constitutionnelle aux communes, provinces et préfectures du Royaume.

Ensuite, les règnes successifs de Feu Hassan II et de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, ont impulsé des visions fortes et spécifiques à la Régionalisation. En 1976,  furent crées les 16 régions économiques du Royaume, fondées sur une logique de planification économique et de développement local. Chacune des Régions, dont on a pris soin, de rattacher chacune d’elle à une façade maritime,  était incitée à s’appuyer sur leurs ressources locales pour promouvoir un développement local. Dans ce processus historique, Feu Sa Majesté Hassan II, avait ensuite évoqué dés 1984, une régionalisation  plus élargie sur le modèle des Länders allemands. Une vision qui ne s’est pas concrétisée durant son règne mais qui va inspirer la suite de l’histoire.

En Juillet 2009, un saut qualitatif est entrepris par  Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en confiant à une commission royale la mission de proposer un modèle « marocco-marocain » de régionalisation avancée. Ensuite, les décisions se sont accélérées. La constitution de 2011 est fortement imprégnée de cette vision royale en consacrant 12 articles à la Région, dont l’article premier alinéa 3 qui énonce que « l’organisation territoriale du Royaume est décentralisée fondée sur une régionalisation avancée ».

En 2015, fut promulguée la loi organique sur la régionalisation inaugurant un nouveau découpage territorial plus ramassé en réduisant le nombre de régions de 16 à 12. La tutelle de l’Etat s’est allégée. Le Président de Région est désormais seul à bord pour exécuter des budgets de la Région. Chaque Région dispose d’une Agence d’exécution de projets. Les contrats programmes Etat-Région se généralisent. Les compétences se diversifient accompagnées de dotations budgétaires en augmentation considérable de plusieurs dizaines de milliards de DH.

Mais malgré ces précieux acquis historiques, de nombreuses problématiques non résolues demeurent en raison d’un cadre réglementaire imparfait et des zones d’ombres d’un processus législatif progressif enregistrant lenteurs et retards.  A cet égard, la rencontre s’est attardée sur plusieurs problématiques d’importance.  Comme par exemple, la question des équilibres institutionnels pour départager les pouvoirs entre Etat-Collectivités locales, les obstacles à l’exercice de l’autonomie locale, la question des transferts des ressources versus transferts des responsabilités, le déficit de compétences humaines… Monsieur El Ansar a mis en garde, en outre, contre la déception du citoyen envers la régionalisation en cas d’enlisement du processus. Il a également souligné la nécessité d’instances de dialogue entre gouvernements et élus locaux car du fait de l’interdiction aux élus de siéger au gouvernement un fossé se creuse à ce niveau.

Sur la question institutionnelle et législative, Monsieur Kadmiri, Gouverneur-Directeur des institutions locales, a annoncé un projet de réforme des lois organiques de la Régionalisation qui serait à l’étude. Selon lui, de nouveaux objectifs stratégiques seront assignés, par le biais de ces réformes aux Régions.  A savoir, ceux d’ assurer la cohérence sectorielle, de promouvoir la responsabilité des élus, de clarifier les compétences respectives, d’améliorer la gouvernance financière  et doper l’accompagnement étatique.

Des réformes bienvenues car la rencontre a mis en évidence, l’importance d’un changement de paradigme. Il y a d’abord, les enjeux du contexte national mis en lumière par le nouveau modèle de développement (NMD), qui font de la  Région un acteur clé dans le schéma préconisé « d’un Etat fort dans une société forte ». D’autre part, ceux du contexte international avec les effets de la pandémie mondiale de la Covid-19 et de  la guerre en Ukraine qui pose la question de la sécurité alimentaire, sanitaire et énergétique. Madame Bouchareb, ex. Ministre de l’habitat et de l’aménagement du territoire, a souligné à ce propos, la question des disparités territoriales comme enjeu majeur de la régionalisation avancée. 70 % des richesses, selon elle,  sont encore concentrées sur l’axe atlantique Tanger-Rabat-Agadir aggravant la vulnérabilité des populations et des territoires les plus fragiles au plan climatique, social et économique.

Selon l’ancienne ministre, une meilleure définition des besoins locaux, selon une vision de développement durable au niveau des territoires permettra d’appuyer la mise en place de solutions sous forme d’écosystèmes spécifiques à chaque région. Une gouvernance innovante  sous le mode nexus est également une démarche d’avenir, alliant par exemple gestion conjointe « territoire/eau/énergie/santé ». Cela impliquera, selon elle  nécessairement de nouveaux modèles de contractualisation et de nouveaux outils de conventionnement entre l’Etat et les Régions ainsi que des schémas régionaux de résilience.

Quant à l’’approche sectorielle au niveau régional, elle a été abordée respectivement par MM Abdellatif Miraoui,  Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et Mehdi Bensaïd,  Ministre de la Culture, invités à prendre la parole à l’inauguration de la rencontre. Loin d’être protocolaires, leurs interventions ont éclairé avec pertinence les stratégies de leurs départements dans les régions. On retiendra pour l’Enseignement supérieur, les ambitions du pacte Esri 2030 et l’organisation de prochaines assises nationales pour débattre et proposer les réformes pour construire l’université de demain. Selon Monsieur Miraoui, le maître mot est celui de la « co-construction » du capital humain avec les Régions en fonction de leurs besoins. Une loi 00.01 est en préparation pour consacrer la participation de la Région dans les conseils d’administration des universités.

Le Ministre de la Culture a quant à lui mis l’accent sur le rôle « d’inclusivité » de la culture au niveau local. Une politique de soutien à la création d’industries culturelles ancrées localement est proposée. Il a souligné sa volonté de développer avec les Régions, l’édition, le cinéma, le gaming (coding)…). Il a annoncé que le salon international du livre tenu à Rabat a connu un grand succès et sera reproduit dans toutes les Régions. Par exemple, dans la région de l’Oriental, a-t-il souligné, un soutien fort sera proposé à l’Agence de l’Oriental pour une nouvelle édition du Salon du livre maghrébin qui se tient  régulièrement à Oujda.

D’autres interventions toutes aussi remarquables les unes que les autres ont étayées la journée. Il y a celle du Président de la Région de Dakhla, Monsieur Yanja El Khattat qui a souligné l’importance de l’élu dans la dynamique de développement que connaît sa région comme celle de Monsieur Rachid El Abdi, Président de la Région de Rabat Salé Kénitra. Parmi les autres thèmes d’intérêt abordés, figurent la fiscalité locale, par le Professeur Mohammed Rahj, la transition numérique par Monsieur Chakib Achour. Celle-ci selon lui est un facteur de transformation technologique au niveau des territoires mais les Régions enregistrent des retards impactant négativement leur attractivité et leur compétitivité. Et, sur la fiscalité locale, on est encore loin de l’optimum pour qu’elle soit une source de financement des besoins locaux. Il convient de repenser complètement la fiscalité locale en fonction des nouveaux enjeux de placer la Région au cœur de la réforme de l’Etat.

Dans ce panorama d’ensemble de la régionalisation avancée, les  dates cruciales de 2007 et de 2020  s’imposent. Le Pr. Mustapha Sehimi en politologue avisé l’a rappelé en indiquant qu’elles  marquent respectivement l’année au cours de laquelle le Maroc a proposé l’autonomie aux provinces du Sud comme voie de règlement politique de la question du Sahara dans le cadre des Nations-Unies. Et, 2020, celle de la nouvelle dynamique enclenchée après la reconnaissance par les  Etats-Unis de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud sur la base de cette proposition. Une dynamique à laquelle adhère de plus en plus la communauté internationale. Les derniers pays en date, l’Espagne et l’Allemagne, ne sont pas des moindres dans ce processus de reconnaissance. Une dynamique qui s’est traduite par la décision de 25 pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud d’ouvrir des représentations diplomatiques à Laayoune et Dakhla Oued-Eddahab. Le Pr. Abdellatif Konat, Doyen de la faculté de droit de Casablanca pour sa part, a souligné que la Régionalisation avancée n’est pas seulement un projet politique et institutionnel mais aussi culturel dans lequel le capital humain est fondamental. Il a ainsi plaidé pour renforcer les liens entre Université (lieu de formation du capital humain)  et écosystème économique régional. Des Assises régionales seraient prévues à cet effet.

L’ouverture quant à elle a été assurée par les organisateurs, Monsieur Hassan Alaoui Président de Maroc Diplomatique,  Mme Souad Mekkaoui, Directrice Générale et Monsieur Krueger, le Représentant Résident de la Fondation Konrad-Adenaeur à Rabat qui a soutenu l’évènement. Un précieux soutien  aux côtés de ceux de Bank of Africa et de l’Association des Régions du Maroc qui ont contribué à faire de cette rencontre, un temps de réflexion dont la qualité sur la forme et le fond, a été salué par les intervenants et les participants. Prochain rendez-vous à Guelmim, après Rabat et Dakhla.  Souhaitons bonne chance à cette belle caravane de la connaissance.

Enfin, chapeau bas à toute l’équipe de Maroc -Diplomatique qui ont su assurer l’excellence de l’accueil et de l’organisation et à Monsieur Aziz Boucetta qui a marqué l’animation de la journée par son brio, l’humour et le dynamisme qui font sa marque de fabrique. ».

*Economiste et diplomate

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