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 Dossier du mois

ÉTAT DES LIEUX: Un hôpital public absent

Dr. Souad Jamaî, spécialiste des maladies cardiovasculaires

 Partout dans le monde, le mé­decin traitant a la possibilité de faire admettre ses patients dans un hôpital public. Chez nous, c’est le parcours du combattant, non seulement pour le patient, mais aussi pour le médecin traitant.

De plus en plus, les pathologies médicales déstabilisées sont traitées en ambulatoire, c’est-à-dire entre le cabinet et le domicile du patient. Pas d’autres choix que de s’adapter aux moyens du patient, tout en acceptant le risque encouru pour celui-ci. Le traitement, même correctement pris, ne suffit pas puisqu’il faut également un suivi rigoureux et continu des pa­ramètres cliniques et biologiques.

Les médecins se retrouvent donc acculés à traiter des pathologies graves dans leurs cabinets en prenant des risques et des responsabilités énormes. La pression et la disponibi­lité exigée augmentent le stress et le risque de burn-out du médecin, sol­licité en continu par la famille et ne facturant pourtant que les honoraires d’une seule consultation.

Le patient, pour se soigner, a le choix entre un secteur médical pu­blic défaillant et un secteur privé trop cher. Il revendique, à juste titre d’ailleurs, le droit d’être soigné di­gnement. L’opinion publique tient, à tort cette fois, le médecin privé pour responsable de cette anomalie, oubliant que ce médecin paie de ses propres deniers la location des lo­caux et les crédits imposés par le ma­tériel de pointe coûteux. Le médecin privé ne peut être tenu pour respon­sable de la défaillance de l’Etat.

Les médecins du secteur privé, anéantis par la surcharge des taxes et d’impôts, de crédits et de la TVA sur le matériel médical, ainsi que par la perte de confiance dont ils sont l’objet, se retrouvent à exercer une profession complexe et non attrac­tive. Tout ceci n’incite pas les jeunes médecins à ouvrir leur cabinet.

D’autant plus qu’il n’y a pas de va­lorisation du médecin de la Santé pu­blic sur lequel repose une charge de travail gigantesque et une pression démesurée, qui est envoyé dans des régions lointaines où les structures sanitaires laissent à désirer.

Par ailleurs, l’absence de révision de la nomenclature des actes mé­dicaux et chirurgicaux, oblige les chirurgiens à faire des dépassements d’honoraires, confondus par l’opi­nion publique avec les honoraires non déclarés, ce qui est tout à fait différent.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, la re­lation de confiance patient-méde­cin, relation à la base de tout contrat thérapeutique, est au plus bas. La médecine perd alors sa dimension humaine, ce qui se répercute néga­tivement sur la qualité des soins. Il est évident que le principal perdant dans cette équation est la société en­tière mais plus particulièrement le malade.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

En plus du fait qu’il y a trop peu de médecins car le nombre d’étudiants en formation ne suit pas la surpo­pulation, l’empathie et l’altruisme ne sont plus considérés comme des valeurs à mettre en avant. La socié­té devenue matérialiste n’accorde plus de reconnaissance aux valeurs fondamentales. L’agressivité, la sur­charge de travail à l’hôpital, l’ab­sence de valorisation de la fonction de médecin sont souvent à l’origine du burn out, et traduisent le mal être de la profession. Cela étant, la fail­lite de l’hôpital favorise la sortie dé­finitive ou temporaire des médecins hospitaliers, dans le cadre du TPA.

Pour rappel, en 1996, il a été don­né le droit, de façon temporaire, aux médecins enseignants d’exercer dans le secteur privé à raison de 2 demi-journées par semaine (appe­lé TPA = temps plein aménagé). Pour cet exercice, une licence où sont spécifiés le lieu et les journées d’exercice, délivrée par le Conseil de l’Ordre, était obligatoire. Ce droit avait été octroyé pour une du­rée de 5 ans, en attendant que l’Etat construise des centres de consulta­tion intramuros.

L’exercice du TPA est définitive­ment arrêté et interdit depuis 2001, mais les médecins salariés de l’Etat continuent cet exercice dans l’illé­galité absolue. Dans la circulaire n° 128, du 27 novembre 2012, le Ministre de la Santé a rappelé les effets pernicieux de cette pratique délictueuse dans les termes suivants : « L’exercice illégal de la médecine porte préjudice au droit constitu­tionnel des plus démunis parmi les citoyens qui n’ont d’autre recours que les structures publiques

En vertu du Dahir 1-58-008, il est interdit à un fonctionnaire d’exercer une activité privée lucrative. La loi 131-31 (article 108-109) punit les fonctionnaires de l’Etat exerçant dans le secteur libéral.

L’exercice non contrôlé du TPA a pour conséquence l’absence du mé­decin dans les services hospitaliers. Ceci au détriment des patients et des étudiants en formation.

Les médecins du privé, quant à eux, trop taxés et sans aucune garan­tie de sécurité de l’emploi, de trop de responsabilités, trop d’astreinte médicale et de travail non rémunéré.

Un malaise profond dans le secteur médical

Face à la décrédibilisation des cliniques et à la chasse aux sorcières démesurée englobant tous les méde­cins, tous secteurs confondus, les ci­toyens sont remontés contre tous les modes d’exercice de la médecine. D’où la fuite de plusieurs d’entre eux vers l’Europe, à cause d’un hôpital qui ne les retient plus. Aussi le manque se fait-il criard que ce soit au niveau d’étudiants ou au niveau des enseignants surtout après la publication d’une loi (Arrê­té du 19 mars 2018, article R4111-35) donnant le droit au médecin marocain d’exercer en France.

Par ailleurs, la relation de confiance est mise à l’épreuve et la généralisation est de mise après le moindre incident, alors que les succès (pourtant nom­breux) de la médecine ne sont pas applaudis.

Ainsi, sous la charge émo­tionnelle et la surcharge du tra­vail qui exige une disponibilité inconditionnelle, les taux de burn out et de suicide sont de plus en plus hauts. Ce qui se ré­percute systématiquement sur les jeunes médecins débutants qui entament leur carrière avec démotivation.

Ce qui doit absolument changer

Le plus urgent est de réhabili­ter l’hôpital public pour redonner confiance aux étudiants et aux ci­toyens. Ensuite, si le TPA est main­tenu, il doit s’exercer au sein de l’hôpital, comme cela se fait ailleurs dans le monde, pour éviter tout dé­bordement. Et les demi-journées de consultations donnant lieu à des honoraires doivent être déduites du salaire et redistribuées aux En­seignants qui travaillent à l’hôpital à plein temps et ne prennent pas d’honoraires des patients.

Il faudrait aussi réduire les taxes des médecins privés qui investissent dans du matériel neuf. Mais il faut surtout revaloriser le travail du mé­decin marocain et pour cela rétablir la relation de confiance patient-mé­decin, qui est à la base de tout contrat thérapeutique. D’ailleurs, les auto­rités sanitaires ont une grande res­ponsabilité et un rôle important à jouer pour préserver la relation de confiance patient-soignant en recon­naissant le rôle social du médecin, la pénibilité du métier et en améliorant sa condition de travail. Il est impor­tant aussi d’encourager la formation continue avec la possibilité de la dé­duire des impôts.

Un Ordre des médecins rigoureux doit être désigné pour arrêter l’exer­cice illégal et la concurrence dé­loyale qui sont fréquents et impunis jusqu’à ce jour.

Par ailleurs, l’ANAM devrait prendre ses responsabilités et réactualiser la nomenclature des actes médicaux afin que les patients ne soient plus lésés. De son côté, le Ministère de la Santé doit être responsable, présent et plus vigilant quant aux déborde­ments. Enfin, revaloriser le travail des médecins de la Santé publique et créer des cellules de vigilance Burn out s’avèrent nécessaires.

Et pour conclure, il faut recon­naître et accepter qu’une clinique n’est viable que si elle est gérée comme une entreprise, étant don­né que fiscalement elle est imposée comme une entreprise. En aucun cas elle ne peut être gérée comme un hô­pital public.

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