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 Dossier du mois

«Il est inacceptable que le médecin marocain soit rémunéré à 8.000 dh après 10 ans ou 12 ans d’études »

Dr. Kamal Oufroukhi Chirurgien orthopédiste Clinique de la Loire. Saumur.

 Qu’il y ait des médecins véreux c’est un fait. Qu’il y ait des pra­tiques malhonnêtes dans des cli­niques c’est une réalité. Mais est-ce un marigot dans un océan propre ? Bien sûr que non. Le médecin qui achète un bien immobilier paye du noir. Quand il a un problème administratif, il paye un bakchich. Quand il se fait arrêter par un agent de l’ordre, il se fait rançon­ner. Quand ses enfants étudient dans des écoles privés, il est « es­croqué » par des structures qui ne paient même pas ou peu d’impôts.

Le Maroc est devenu un marigot de malhonnêteté et c’est là le vé­ritable problème. Les Marocains rêvent en majorité que leurs re­jetons fassent des études en mé­decine, selon l’expression consa­crée, mais tirent à boulets sur une profession devenue l’exutoire des réseaux sociaux et des médias.

Pourtant si on prend un peu de recul, si on dissèque les reproches faits à cette profession, on se rend compte de quelques vérités criantes. Les cliniques exigent des chèques de garantie bien enten­du. Mais au fait, le fisc (jusqu’à une récente note de recadrage), la douane, les écoles privées, les architectes … tout le monde exige des chèques de caution au Maroc !

C’est plus choquant quand c’est une clinique ? Soit, mais ne se­rait-ce pas parce que le Marocain est mauvais payeur ? La santé n’a pas de prix mais elle a un coût, et les investissements des cliniques se chiffrent en millions de dirhams pour le moindre équipement qui sera, de toute façon, obsolète en 5 ou 10 ans. La santé est soumise dans notre pays à la TVA, la même que pour les voitures ou les congé­lateurs ! La réalité est qu’il y a un problème de financement public de la Santé, le reste est balivernes.

J’ai la chance d’exercer dans un pays où la présentation de la carte vitale dispense de l’avance de frais médicaux quelle que soit la somme. Mais on parle d’un pays riche où les dépenses de santé re­présentent 260 milliards d’Euros ! 12% du PIB français, et surtout, ces dépenses représentent deux fois le PIB marocain ! Alors com­parons le comparable et arrêtons de rêver d’une prise en charge à la française !

Or le système de Santé en France, et malgré les milliards d’Euros in­jectés, est au bord de l’asphyxie. Le vieillissement de la popula­tion, le Burn out des soignants, les délais d’attente aux urgences, la judiciarisation des rapports méde­cins-malades sont autant de symp­tômes d’un système malade, dans l’un des pays les plus riches du monde. Est-ce à dire qu’il faut se contenter de notre système actuel ? Assurément pas. A mon humble avis, il est possible de rétablir une confiance entre patients et méde­cins et au-delà avec l’ensemble du système de Santé. Pour ce faire, il me semble nécessaire que l’Etat joue, enfin, son rôle d’investisseur et disons-le, de patron dans le sys­tème de Santé publique qui est le noeud gordien de la problématique actuelle. Un plan d’investissement digne de ce nom est indispensable, investissement dans les locaux, le matériel mais aussi et surtout dans l’humain.

Il est inacceptable que le médecin marocain soit rémunéré à 8.000 dhs après 10 ou 12 ans d’études quand un Caïd débute à 12.000 dhs. Il est également inaccep­table que des professeurs agrégés passent une bonne partie de leur temps dans les cliniques privées laissant leurs malades et leurs étu­diants à la dérive ! Payons bien les médecins et soyons exigeants et même impitoyables avec eux dans la limite de la loi et des rè­glements.

Toutefois, est-ce suffisant ? Bien sûr que non si on ne construit pas et qu’on n’équipe pas des struc­tures de Santé dignes de ce nom. Prenez l’hôpital Avicenne à Rabat, le CHU de la capitale, allez donc y faire un tour, et vous serez étonné, outré, vous aurez honte. Le CHU de la capitale a été construit du temps du protectorat et n’a pas changé ou peu depuis !

Un plan d’investissement massif sur 5 ou 10 ans peut être mis en oeuvre pour doter chaque région d’un hôpital digne de ce nom. Les collectivités locales régionales font d’ailleurs un effort certain et peu connu du grand public et construisent des hôpitaux ou pré­voient de le faire, mais reste le problème de la gouvernance et la lenteur de notre Etat centralisé, où la moindre seringue doit être com­mandée par la pharmacie centrale au ministère !

La gestion du système serait plus efficiente si elle est faite au plus près du terrain et le niveau régio­nal me semble le plus adapté. Un système de Santé public efficace constituera une offre concurrente au privé qui reverrait ses tarifs et son fonctionnement. A ce propos, parlons des tarifs dans ce secteur. Les honoraires et les tarifs des médecins et des cliniques n’ont pas été revalorisées depuis 1995 et sont, de ce fait, complètement déconnectés de la réalité éco­nomique et celle du terrain. Les organismes sociaux comme la CNOPS, en particulier, ne disent pas toute la vérité à ses adhérents en leur faisant croire qu’elle rem­bourse les soins à leur juste valeur alors qu’elle le fait à hauteur des tarifs d’il y a 24 ans !

Le système de Santé a besoin d’une révolution à tous les ni­veaux y compris au niveau de la population qui devra connaître la vérité sur un système qui devra être adapté aux moyens du pays mais sans être au rabais au de­meurant. Chacun devra contribuer à hauteur de ses moyens et il fau­dra faire des choix clairs sur ce qui sera pris en charge par la solida­rité nationale et ce qui devra être financé par les citoyens, les asso­ciations, la société civile…

Un véritable plan Marshall de la Santé est nécessaire au Maroc pour doter notre pays de structures dignes, efficaces, et adaptées à nos capacités de financement.

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