Médias/GAFAM : Réformer ou périr

Par Mouhamet NDiongue

Au début des années 2000, les entreprises les plus puissantes du monde étaient encore issues de secteurs plus traditionnels comme la finance ou la pharmacie – ce n’est plus le cas aujourd’hui. La dernière décennie a été marquée par la numérisation et les entreprises les plus importantes au monde sont issues du secteur technologique. Cinq entreprises ouvrent clairement la voie, à savoir Google, Apple, Meta (anciennement Facebook), Amazon et Microsoft – plus connus ensemble sous l’acronyme GAFAM.

Si ces multinationales dominent le monde à travers leur puissance financière, c’est en partie grâce à leur capacité à se soustraire des services fiscaux dans les pays où elles sont non imposables, occasionnant une iniquité fiscale entre elles et les entreprises locales. Au Maroc, la question de la taxation des GAFAM se pose avec acuité, même si la réforme fiscale en cours donne quelques espoirs.

Dans le monde ultra-compétitif, de nombreux pays ont ajusté leur fiscalité pour attirer les sièges sociaux de grandes entreprises. Au-delà, les lois fiscales sont ajustées en vue par de permettre à leur économie de combler le manque à gagner, mais aussi d’assurer l’équité fiscale.

« Par contre, les ventes directes de GAFAM aux consommateurs marocains peuvent échapper à toute taxation, notamment celles aux titres de la TVA et des droits de douane, ce qui crée dans ce cas une distorsion et une distorsion à la concurrence loyale », note Hakim Marrakchi, vice-président de la CGEM.

Surnommé le « syndicat du crime numérique », le GAFAM règne en maître sur le marché de la publicité dans le monde. Au Maroc c’est 1,2 milliard de dirhams qui échapperont aux impôts locaux et à l’investissement en 2025, selon l’agence Statista.

A la recherche de nouvelles recettes fiscales, mais aussi dans le but d’une répartition plus équitable des richesses, le Maroc doit désormais passer à l’acte et mettre un terme à l’impôt zéro pour ces multinationales numérique.

Pour ce qui est des  conséquences, les sociétés de médias qui vivent de la publicité se retrouvent  « exsangues et à la merci des GAFAM », décrit Hicham El Khlifi. Co-fondateur et Directeur général de Radio Mars. Il y a quelque part une « injustice ressentie  vu quils ont le cadre tandis que nous sommes les fournisseurs de contenus ». Mais au final, ce sont eux qui se retrouvent avec la part du lion. Pour mieux appréhender cette situation, M. El Khlifi  met en analogie l’exemple de l’électricité : « pour avoir de l’électricité, il faudra avoir, à la fois, le jus c’est-à-dire, le courant électrique et les câbles. Ils ont les câbles et c’est nous qui fournissons les jus ». Cette situation dévoile le caractère « injuste » la répartition des rangs publicitaires.

Jusqu’avant la réforme, les géants de la technologie comme Apple, Google ou Facebook n’avaient pas payé d’impôts dans les pays où ils génèrent des ventes, mais uniquement au siège de l’entreprise. En conséquence, ces sociétés ont déménagé leur siège social dans des pays à faible fiscalité.

Avec la réforme fiscale, les pays du G7 espèrent récolter des milliards. Mais il est actuellement difficile de savoir combien d’impôts les sociétés multinationales devraient réellement payer.

En Europe, la taxe numérique est en train mise en œuvre et certains pays comme la France, l’Italie, l’Autriche, la Grande-Bretagne et la Turquie ont déjà mis en place une taxe numérique. Les entreprises technologiques de ces pays ont simplement répercuté les taxes plus élevées sur leurs clients et consommateurs. Apple a augmenté les coûts pour les développeurs d’applications, Amazon pour les détaillants et Google pour les annonceurs.

L’obligation de la réforme

En balbutiement, le commerce numérique au Maroc a grandement besoin d’une fiscalité incitative qui permettrait le développement du e-commerce. Mais cela doit forcément passer par de nouvelles réformes fiscales, qui, par ailleurs sont en cours. Toutefois, elles doivent s’opérer avec intelligence, car les grandes entreprises technologiques pourraient simplement répercuter la taxe sur leurs clients ou utilisateurs, sans avoir à craindre un impact majeur sur leurs activités opérationnelles.

L’activité des GAFAM au Maroc est liée à la publicité, aux services, aux entreprises et à la vente de produits par internet. Et sur les deux premiers sujets, la traçabilité des opérations se fait soit par le traçage des distributeurs, soit via les opérations bancaires. Échappent donc à la fiscalité nationale les opérations commandées et payées depuis l’étranger. « Il y a donc lieu d’avoir une fiscalité sur ces opérations conforme et en cohérence avec les pratiques internationales », précise M. Marrakchi.

Pour les opérations B to C, le vice-président de la CGEM estime que « les douanes marocaines ont réagi plus tôt cette année et elles ont défini un niveau relativement bas de la valeur des livraisons en deçà de laquelle il n’y a pas de déclaration en douane, ni paiement de droits d’importation et de TVA».

Sur la réglementation du marché de la publicité au Maroc, Hicham El Khlifi, membre du bureau de l’ANME estime que « les lois s’adaptent à cette nouvelle donne, à savoir le numérique et le digital». Cependant, il préconise qu’il faudra de légiférer tout le système qui gravite autour de la digitalisation et ça commence carrément du simple blogueur ou influenceur qui reçoit de la publicité jusqu’à  la grande entreprise qui a  une activité digitale.

Un oligopole coûteux

Malgré les avancées, l’industrie des télécoms dénonce ce qu’elle considère comme des « abus » des sociétés GAFAM qui, selon beaucoup de professionnels du milieu, exploitent les bénéfices de leurs réseaux de télécommunications sans rien contribuer à leur développement et à leur maintenance.

Certains observateurs ont tenté de justifier les maigres paiements d’impôts des Big Tech dans les pays à lourde charge fiscale en insistant sur le fait que ces entreprises créent des emplois et investissent dans les technologies de nouvelle génération. Cependant, si les géants de la technologie ont effectivement apporté certains avantages sociaux, en particulier pendant la pandémie, leur domination du marché a un coût élevé.

A cet égard, l’Europe, l’Italie, la France et l’Espagne ont réaffirmé la nécessité pour les Big Tech de payer une partie des coûts substantiels liés à la mise à niveau de l’infrastructure de réseau européenne, notant que les principaux fournisseurs de contenu représentent désormais 55 % du trafic Internet généré en Europe. Cela impose des coûts spécifiques aux opérateurs télécoms européens, alors qu’ils investissent déjà massivement dans la 5G et la fibre jusqu’au domicile.

Les décideurs politiques sont donc amenés à élaborer des barrières de protections pour les entreprises nationales ainsi qu’aux  consommateurs pour que les investissements soient rentabilisés.

Le Maroc doit nécessairement aller dans le même sens d’une proposition juste et démocratique, même si elle doit être promulguée avec prudence, en réponse aux préoccupations de certains militants des droits numériques, qui ont fait valoir que l’implication de grandes entreprises technologiques dans les investissements dans les réseaux pourrait mettre en danger la neutralité du net sur le marché marocain.

Pour M. Marrakchi, « les GAFAM n’ont pas à proprement parlé de concurrents nationaux. Par contre l’émergence d’entreprises marocaines dans le e-commerce nécessite un environnement fiscal et réglementaire adéquat, notamment au niveau des changes ».

Face à tous ces enjeux, les professionnels du secteur appellent d’ailleurs  l’Exécutif à résoudre l’iniquité fiscale entre les GAFAM entreprises étrangères qui brassent des fortunes au Maroc sans imposition et les PME marocaine tenaillées par les impôts. Sachant que les opérateurs marocains investissent plusieurs milliards de dirhams par an dans leurs réseaux, tout en intensifiant leurs efforts pour rendre leurs réseaux plus durables.

Marrakchi indique, par ailleurs, que « les incitations fiscales devraient par exemple toucher les consommateurs pour vaincre les réticences de certains commerçants. De même, il ajoute qu’ « une fiscalité spécifique pour les entreprises de ce secteur doit prendre en compte le coût du capital, élément clef pour le développement des startups, et donc ne pas fiscaliser les bénéfices réinvestis ».

Le commerce numérique reste balbutiant au Maroc. Une fiscalité incitative permettrait certainement le développement du e-commerce.

Au-delà, une réforme de l’impôt sur les revenus est en cours et sa mise en place doit évidemment prendre en considération le travail international en distanciel.

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