Le mépris des intellectuels, une mode ?

Par Majid Blal

Qu’est-ce qu’un intellectuel? On a tellement galvaudé le terme intellectuel qu’on en a perdu la substance. On en a mortifié la chair et défiguré les traits, au point d’en faire une dépouille anonyme que même sa propre famille ne peut identifier. Une charogne que n’importe quel inculte becquette et picore comme un vautour qui y trouve excuse à toutes ses tares, et une pitance, sans défense, à ses préjugés.

« Un intellectuel est une personne dont l’activité repose sur l’exercice de l’esprit, qui s’engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs ». Cette définition est juste car elle ne fait pas d’exception en se limitant aux lettrés ou aux écrivains. Elle est inclusive et elle mentionne le concept de « valeurs » qui est d’une importance capitale dans le domaine et en la matière.

Qu’ils soient progressistes ou réactionnaires, réalistes ou théoriciens, pragmatiques ou utopistes, altruistes ou opportunistes, le champ est libre. Par conséquent, les intellectuels devraient être à l’image de la société. Un ensemble hétérogène, dissemblable, varié, avec des approches, des angles, des visions et des intérêts différents. Les intellectuels ne devraient être, pour certains, que les portes paroles de leurs lubies et marottes qu’elles soient fondées ou non. Dans cette définition, l’intellectuel n’a pas le libre arbitre pour choisir ses propres batailles puisqu’il ne doit que se soumettre au dictat populaire qui lui dicterait sa feuille de route et sa ligne de conduite, ses thèmes à aborder, sa façon de les traiter et l’image qu’il devrait projeter.

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Dans cette vision tronquée, l’intellectuel ne peut qu’être l’instrument de toutes les oppositions. Il ne devrait pas distinguer et favoriser ses thèmes à la carte car toute incartade de la ligne de parti imaginaire, lui vaudrait une qualification de traître à la cause. L’intellectuel devient alors un serviteur dans le sens d’asservissement et de subordination aux apprentis contrôleurs des esprits libres au lieu du serviteur postulé dans le sens de bénévole au service des humains et des idées.

Quand on associe « intellectuel » à l’image d’un membre d’un parti politique qui doit se plier aux directives et à la ligne éditoriale de sa faction, on omet, et souvent volontairement dans un dessein réducteur, que l’intellectuel est d’abord un penseur libre qui n’aime pas les structures rigides qui enchaînent, étouffent et escamotent la nuance. Il subsiste encore la croyance qui voudrait qu’un intellectuel est celui qui est dans l’opposition, non pas parce que le parti est progressiste, de gauche…mais, seulement, parce qu’il est là contre le pouvoir central…

Il n’aime pas non plus qu’on lui souffle les combats à mener et les idéaux à défendre si cela ne vient pas de ses propres convictions, ses tripes et du profond de ses sensibilités. Pour Albert Camus. L’écrivain « ne peut se mettre au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent » : « Notre seule justification, s’il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire.» Mais, ajoute-t-il, il ne faudrait pas pour autant « attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales. La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante »…

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L’engagement est souhaité et même encouragé mais cela devrait avoir comme essence et genèse, LA CONVICTON personnelle. Si un «Boss de bécosse » vous reproche de ne pas avoir été aux premières lignes de la cause qui lui tient à cœur, ne répondez pas. Si vous vous justifiez une seule fois, vous serez pris à répondre à tous les bachibouzouks qui n’attendent que des lézardes dans votre humanisme pour mener leurs attaques simplistes mais ô combien nocives. Essayer de mettre à mal les intellectuels est un nouveau sport. Une tendance dans les milieux qui admonestent et sermonnent les hommes et femmes de culture et d’esprit de ne pouvoir posséder la baguette magique qui mettrait fin aux malheurs et aux injustices du monde. En se justifiant, on donne l’impression qu’on est obligé de faire face à toutes équations, à tous les maux et à toutes les difficultés de l’humanité.

À l’instar de tous les citoyens de toutes sociétés, les intellectuels ne sont pas un bloc homogène ni une entité formatée sur un seul modèle. Ils ont, individuellement ou en groupe de circonstance conjoncturelle, leurs propres préoccupations, leurs limites, leurs moyens et leurs priorités. C’est l’ensemble de leurs réflexions et travaux qui donnent un sens à la pensée, au développement et aux apports qu’ils préconisent pour modifier les constats et les rapports de force. En 1895, Octave Mirbeau définissait ainsi la mission de l’intellectuel : « Aujourd’hui, l’action doit se réfugier dans le livre. C’est dans le livre seul que, dégagée des contingences malsaines et multiples qui l’annihilent et l’étouffent, elle peut trouver le terrain propre à la germination des idées qu’elle sème. Les idées demeurent et pullulent : semées, elles germent ; germées, elles fleurissent. Et l’humanité vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement. »

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Les intellectuels sont à la dimension culturelle populiste ce que l’immigrant est à la dimension économico-sociale. En période de crises, ils constituent les boucs-émissaires qu’on accuse pour les non réponses de chacun. Pire que les dictateurs et les tyrans contrôleurs de la pensée et adeptes de l’incarcération des hommes et des femmes qui investissent la libre expression, les dénigreurs du dimanche sont plus préjudiciables et maléfiques car ils n’ont d’argumentaires que les ragots, la médisance et souvent la jalousie comme moteurs de leurs épanchements.

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