Migration : Le plaidoyer pro domo du Roi Mohammed VI, avocat des peuples et du vivre ensemble

Par Hassan Alaoui

Le message que Sa Majesté le Roi Mohammed VI vient d’adresser aux chefs d’Etats et de gouvernements, aux différents participants à la Conférence intergouvernementale pour l’adoption du Pacte mondial sur les migrations organisée à Marrakech, est acte fondateur.

Outre sa dimension historique et politique, il traduit une intime conviction dont le Roi Mohammed VI peut à juste titre se prévaloir : être le porteur d’une vision multilatérale à laquelle les Etats et gouvernements, mais aussi les peuples sont conviés à adhérer.

Force nous est  de souligner la pertinence de la réflexion royale qui traverse tout le témoignage que le chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani a présenté à l’assistance. Un texte où se déclinent en effet une rigueur intellectuelle, une force de propositions, un diagnostic sans concessions et qui respire surtout un grand souffle d’espoir. A elle seule la phrase concluant le message royal relève de l’exigence suprême à dimension planétaire : « La page de l’Histoire qui s’écrit aujourd’hui, à Marrakech, honore la Communauté internationale, et la porte, un pas de plus, vers un nouvel ordre migratoire, plus juste et plus humain ».

Nul doute qu’elle constitue le socle salutaire d’une démarche qui est au programme des Nations unies ce que le socle méthodologique est à la Feuille de route de la migration de l’ONU. Un répertoire de propositions que le Roi Mohammed VI présente et dont on ne soulignera jamais assez l’originalité théorique, l’exhaustivité et la force de conviction.

Le message que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a adressé aux participants de la Conférence intergouvernementale de Marrakech est tombé à point nommé, à un moment où, d’un populisme abject à une xénophobie virulente, le vent singulier du nationalisme ravageur souffle sur les pays d’Europe, où les pays occidentaux succombent tour à tour aux démons du racisme, de l’antisémitisme et de l’exclusionnisme. « Le défi de cette Conférence est donc d’unir, face aux populismes, de rassembler, face à l’isolationnisme et d’apporter, par le dialogue et la coopération internationale, des réponses structurantes à un enjeu majeur de notre temps », souligne avec force le Souverain qui met en exergue trois postulats incontournables qui ne relèvent guère du rêve: « unir, rassembler et apporter… ».

Ce triptyque n’est pas une clause de style, mais il incarne aujourd’hui l’Alpha et l’Omega de toute approche du phénomène de la migration à l’échelle planétaire. Et pour ce faire, les Etats, les gouvernements, les sociétés civiles multiples et diverses devraient en prendre la réelle mesure dans un monde à la fois diffracté et déchiré, qui a connu et vécu les idéologies et les diverses fois religieuses mais qui est demeuré imperméable aux valeurs humaines.

Le Roi a eu la bonne intelligence de contextualiser l’événement de Marrakech dans une continuité historique. Il procède à un retour en arrière opportun : « La coïncidence avec la commémoration du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dit-il,  n’est pas fortuite. Et elle est heureuse : de même qu’en 1948, l’humanité s’éveillait définitivement à l’universalité des droits humains, par-delà les nations, les cultures et les civilisations. De même, en 2018, elle s’éveille résolument à la globalité des migrations, par-delà les frontières, les clivages et les continents ».

Sa Majesté s’inscrit donc dans la durée humaniste immémoriale d’un Rousseau, et c’est peu dire qu’il est le digne représentant de cette nouvelle culture des droits de l’Homme qui émerge de ce glacis effrayant que sont leurs violations, le mépris de l’Autre, la marginalisation des démunis. D’où cette exhortation royale, plus qu’impérative, d’emprunter « une voie qui oppose la souveraineté solidaire au nationalisme excluant, le multilatéralisme à l’ostracisme, et la responsabilité partagée à l’indifférence institutionnalisée »

Or, l’Appel de Sa Majesté Mohammed VI à l’humanité, lancé du haut de la tribune des Nations unies, déplacée exceptionnellement à Marrakech, n’est pas simplement un constat, de détresse dira-t-on, il est surtout une exhortation au devoir de solidarité et d’action. D’emblée, le Souverain a fait sien cet incipit qui a valeur d’engagement : « L’intérêt du Royaume du Maroc pour la question migratoire n’est ni récent, ni circonstanciel. Il constitue, au contraire, un engagement ancien et volontaire qui s’exprime à travers une politique, humaniste dans sa philosophie, globale dans son contenu, pragmatique dans sa méthode et responsable dans sa démarche. »

Après avoir si finement analysé la problématique de la migration en termes de droits, aussi bien des pays d’accueil que ceux des migrants, souligné aussi le respect de la souveraineté des Etats en matière de choix de programmes nationaux, Sa Majesté Mohammed VI s’est appliqué à détricoter la notion de « sécurité » dans ses formes diverses.

Et plutôt que de s’inscrire dans un discours démagogique, vacillant entre l’acceptation et l’atermoiement envers la migration, plutôt que d’y voir une manière de spectre insurmontable, le Roi anticipe et propose une perception lucide : « Enfin la question de la sécurité, affirme le Souverain,  ne peut pas nier la mobilité. Mais elle peut la transformer en un levier de développement durable, au moment où la Communauté internationale s’emploie à mettre en œuvre l’Agenda 2030 ».

Et le Roi Mohammed VI d’en venir à ce que l’on peut appeler l’axiome final de cette conférence internationale, qui a été précédée par une activité multilatérale sans précédent, en indiquant que « Pour l’heure, le Pacte Mondial demeure une promesse que l’Histoire jugera. Il n’est point temps encore d’en célébrer la réussite. » Une forme de prudence qui s’impose naturellement, la nécessité de rappeler ensuite «  qu’aucun pays ne peut, à lui seul, faire face à ces enjeux ! Or, s’il n’y a pas d’alternative à la coopération, il n’y a pas non plus d’alternative à l’action. ».

Le Pacte mondial n’est pas une finalité en soi, non plus une simple modalité institutionnelle servant à faire pression sur les gouvernements européens – puis que c’est d’eux qu’il s’agit en priorité. La migration africaine vers l’Europe fait, certes, l’objet d’une hostilité qui n’a d’égale que la totale et déplorable méconnaissance des dirigeants et une part des opinions de l’Europe. La migration africaine, comme l’avait pertinemment rappelé il y a quelques mois Sa Majesté le Roi , se passe à l’intérieur du continent, « l’essentiel est intra-africain, soit 80% du mouvement migratoire ».

Le Roi Mohammed VI, qui est aussi le « leader africain pour la migration » désigné solennellement par ses pairs de l’Union africaine (UA) en 2017 pour prendre en charge ce dossier, en est devenu l’avocat et le militant acharné. Il a tout de suite proposé la mise en place d’un Observatoire africain des migrations (OAM), projet idoine, pour ainsi dire, que le 31ème Sommet de l’Union africaine, organisé en juillet à Nouakchott, a adopté. Qu’il soit introduit avec succès dans le débat et au sein du Pacte Mondial nous en dit long sur sa pertinence.

Dans le message adressé lundi 10 décembre aux participants à la Conférence intergouvernementale sur la migration, le Roi a rappelé que « L’Afrique ne sera pas l’objet du Pacte Mondial. Elle en sera un acteur. Un acteur central. (…) L’Agenda Africain pour la Migration définit sa feuille de route. Pionnier, il a anticipé l’importance, consacrée par le Pacte Mondial, de la connaissance des dynamiques migratoires. » Et de rappeler  qu’il a été «  dédié à cet objectif une institution à part entière : l’Observatoire Africain des Migrations, qui aura son siège au Royaume du Maroc, et qui a été appuyé nommément par le Pacte ».

Le message que Sa Majesté le Roi a adressé à la Conférence intergouvernementale sur la migration de Marrakech, est une profession de foi, empreinte d’un esprit novateur, marquée au coin d’une magistrale volonté de contribuer à la mise en œuvre d’un programme multilatéral. La conviction chevillée au corps que l’action concertée est la seule alternative, Sa Majesté Mohammed VI a secoué certains tabous, et surtout il s’est fait, au nom des peuples africains, le plaideur d’une cause qui est à l’Humanité ce que le vivre ensemble est aujourd’hui aux peuples de cette dernière.

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