Mise en place d’une stratégie RSE : Pourquoi et comment ?

Dossier du mois

Nous avons vu que la Responsabilité Sociale des Entreprise est une démarche citoyenne qui implique un ensemble de missions sociétales et environnementales. Mais trop nombreuses demeurent les entreprises encore réticentes face à un tel changement. Procédures administratives, charges supplémentaires, complexité du concept… plusieurs raisons qui freinent les responsables dans ce processus. MAROC DIPLOMATIQUE a contacté deux experts pour tenter de comprendre les démarches, et l’intérêt de la mise en place d’une stratégie RSE.

 ISO 26000, 14001, 45001… de quoi s’agit-il ?

ISO 26000, ISO 14001, ISO 45001, ISO 50001… tant de normes que l’on s’y perd. En effet, la RSE est définie par un certain nombre de normes, mises en place par l’International Organisation for Standardization (ISO) qui permettent aux entreprises d’être en conformité avec des standards internationaux. Ces normes définissent les conditions et les pratiques qui guident les entreprises souhaitant développer une stratégie dans ce domaine, le tout, en optimisant les coûts et en respectant l’environnement.

Parmi les normes RSE les plus connues par les entreprises, on cite ISO 26000 de la Responsabilité sociétale, qui constitue, selon la définition de l’organisme ISO, «les lignes directrices pour tous ceux qui ont conscience qu’un comportement socialement responsable et respectueux de l’environnement est un facteur clé de la réussite.» La particularité de cette norme, c’est qu’elle ne nécessite pas de certification. «ISO 26000 n’est pas une norme de système de management. Elle ne contient pas d’exigences et, en tant que tel, n’est pas destinée à des fins de certification. Toute offre de certification, ou prétention de certification, selon ISO 26000 serait une mauvaise représentation de l’intention et de l’objectif de cette Norme internationale», précise l’ISO dans une brochure explicative. Elle se distingue donc des autres normes qui proposent des certificats, comme celle du management environnemental ISO 14001 ou encore de la santé et la sécurité au travail ISO 45001. L’ISO 50001 quant à elle, est destinée à la réduction des consommations énergétiques. Il s’agit d’une norme «inséparable» de la RSE. Elle vise, à atténuer l’utilisation accrue des ressources énergétiques, à travers, par exemple, l’installation d’appareils moins gourmands en électricité, le changement des systèmes de chauffage, la pose des panneaux solaires, le choix de solutions de maintenance professionnelle participant à une préépuration des eaux. Elle permet donc aux entreprises de faire des économies. Certains experts n’hésitent pas, néanmoins, à pointer du doigt les limites de certaines de ces normes, notamment la 14001, qui prendrait en compte uniquement la stratégie et non pas l’impact environnemental réel.

Quelle démarche entreprendre ?

Beaucoup se demandent s’il existe des démarches précises à adopter pour placer le développement durable et environnemental au cœur de la stratégie managériale de l’entreprise. Dans un entretien avec MAROC DIPLOMATIQUE, le Vice-président de l’Observatoire de la RSE au Maroc (ORSEM), M. Omar Benaicha, a indiqué qu’ «il n’y a pas de bonne ou mauvaise démarche mais plutôt une démarche structurée et adaptée à l’entreprise et à son contexte. Dans un même secteur, deux entreprises peuvent avoir des démarches RSE avec des contenus assez différents».

Mais comment une entreprise pourrait-elle se distinguer à travers sa démarche RSE ? Pour M. Youssef Oubejja, Docteur en Droit et chercheur dans les affaires locales, il n’existe pas une «seule démarche type unique RSE». «La bonne démarche RSE est celle qui permet le mieux de répondre aux attentes de plus en plus nombreuses de toutes les parties prenantes (clients, fournisseurs, actionnaires, syndicats etc)». Ainsi, selon le même interlocuteur, s’engager dans une démarche RSE ne signifie pas forcément appliquer en bloc toutes les actions liées à l’environnement, à la gouvernance ou sociétales. Il faut, selon lui, «prioriser en fonction des enjeux de son secteur, de son pays et de son entreprise, en commençant par les plus pertinentes. C’est ce qu’on appelle la matérialité». Cette «priorisation» peut être réalisée via «une cartographie des enjeux», souligne le chercheur, ajoutant que cette cartographie permet d’« identifier les sujets économiques, environnementaux et sociaux susceptibles» et «d’impacter la performance globale de l’entreprise ou d’influer, de façon importante, sur le regard des parties prenantes sur l’entreprise».

Par ailleurs, pour qu’une démarche RSE soit structurée, il faut que l’entreprise s’appuie, selon M. Benaicha, sur les étapes suivantes  : Benchmark et diagnostic, analyse de matérialité et dialogue avec les parties prenantes, priorisation des axes d’engagement en matière de RSE, définition d’un programme RSE, allocation des ressources, définitions d’indicateurs de mise en œuvre et d’impact et enfin évaluation et reporting. Le cas échéant, «la démarche RSE risque d’être cosmétique et dans le meilleur des cas périphérique et peu intégrée aux activités de l’entreprise» ajoute-t-il.

Stratégie RSE, un outil de sauvetage pendant la crise pandémique

L’adoption d’une stratégie RSE a un impact important sur l’image et la réputation de l’entreprise. En effet, ces dernières années, l’action sociale exercée par certaines entreprises a beaucoup évoluée, particulièrement durant la crise de la Covid-19, période difficile pour les entreprises et les employés. M. Oubejja a fait rappeler, dans ce sens, les efforts considérables des pouvoirs publics, sous la clairvoyance de Sa Majesté le Roi, pour soutenir les entreprises qui ont rencontré plusieurs difficultés, les exposant au risque de disparition. Les entreprises ayant les meilleures notations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) ont montré, quant à elles, «une plus forte résistance au choc économique et financier causé par la crise. D’où la nécessité d’intégrer l’analyse extra-financière dans l’évaluation des sociétés».

Dans sa dernière analyse publiée le 25 mars 2020, Bank of America Merrill Lynch a observé que les entreprises les plus «sociales» sont «performantes» de 5 à 10 points en Bourse par rapport aux indices de référence. C’est le cas aux États-Unis, en Europe et en Asie. Ce constat démontre le rôle majeur que joue la RSE dans la persistance et la résilience des entreprises face aux crises. «Lintérêt dadopter un comportement socialement responsable et respectueux de lenvironnement a caractérisé cette crise sanitaire», souligne M. Oubejja, affirmant qu’aujourd’hui, un nombre croissant d’entreprises et d’organisations, semble prêt à prendre le «virage de la RSE».

Pour M. Benaicha, la crise sanitaire puis économique a des effets considérables sur les collaborateurs, les conditions et les relations du travail mais aussi sur d’autres parties prenantes comme les fournisseurs, les communautés, voire même dans certains cas les clients. Alors, pour les entreprises qui avaient déjà mis en place des démarches RSE, «elles se sont retrouvées confortées dans leurs choix et ont continué à mettre en œuvre des processus RH centrés sur la protection des salariés, la bienveillance, la flexibilité du travail, le soutien aux communautés et même le soutien aux fournisseurs, à travers notamment des paiements accélérées,…». Il note que pour d’autres entreprises, cette crise a été l’occasion de mieux comprendre le sens d’une démarche RSE et ont finalement décidé de se lancer dans cette optique.

Le reporting, quelle utilité ?

Le reporting RSE est le compte-rendu des activités sociales et environnementales des entreprises. Produire des reporting constitue une «obligation» pour les entreprises labélisées RSE. Ils «reprennent diverses informations et indices de performance économique, environnementale et sociale», indique M. Oubejja. Il s’agit, selon lui, d’ «un document périodique officiel extra-financier annuel que l’entreprise publie pour présenter ses actions ainsi que les résultats en ce qui concerne la Responsabilité Sociale d’Entreprise». Ce document a pour objectif «d’améliorer la transparence sur les activités des entreprises, de mesurer les conséquences directes de leurs activités sur l’environnement, sur la société et l’écosystème économique auquel elles appartiennent …», souligne-t-il.

Pour sa part, le Vice-président de l’ORSEM définit le reporting comme «un exercice de reddition des comptes que fait l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes». Ces dernières s’intéressent au «reporting extra-financier» pour «prendre des décisions d’investissement, pour s’informer des activités de l’entreprise et de ses engagements comme dans le cas des ONG ou encore des médias».

En France, les entreprises cotées en bourse ayant une masse salariale supérieure à 500 personnes et déclarant un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions, ainsi qu’un bilan supérieur à 20 millions d’euros ont l’obligation de rédiger un rapport RSE annuel appelé officiellement «Déclaration de Performance extra financière». De même pour les sociétés non cotées ayant plus de 500 salariés, et un bilan ou un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Au niveau national, ce mouvement s’amplifie, selon M. Benaicha, chez les entreprises cotées ou qui font appel à l’épargne publique, ces dernières ont l’obligation de procéder à un reporting extra-financier auprès de l’AMMC.

 

RSE, frein ou levier pour la performance financière ?

 

Omar Benaicha: Vice-président de l’Observatoire de la RSE au Maroc (ORSEM)

«C’est une question pertinente sur laquelle se sont penchés les académiciens et les praticiens depuis plus de 40 ans. Il n’y a pas de consensus à ce sujet, les avis et les résultats des recherches restent très partagés entre ceux qui défendent une corrélation positive entre la performance sociétale et la performance financière, ceux qui pensent l’inverse et ceux qui évoquent l’inexistence d’un lien entre les deux concepts.

Mon avis à ce sujet est qu’il est difficile de mesurer la performance sociétale malgré tous les outils développés, les évaluations extra financières ne permettant pas de monétiser et de valoriser financièrement la performance sociétale. A titre d’exemple, un engagement social envers les collaborateurs peut se traduire par plus de motivation, mais il n’est pas facile d’en mesurer l’impact en termes de productivité. Je pense que la performance sociétale est autant nécessaire que la performance financière. Une démarche RSE n’a pas pour unique but de chercher un retour sur investissement, au sens financier, mais également une meilleure gestion des risques, une conformité aux exigences et des relations de partenariat et de confiance qui permettent à l’entreprise de surperformer ses rivales qui n’en font pas autant».

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