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 Dossier du mois

Mohamed Kohen : « La médecine a un coût »

Dr. Mohamed Kohen, chirurgien digestif

Depuis quelques temps, les médecins des cliniques et les citoyens s’attaquent à couteaux tirés. Si les premiers accusent une haine gratuite de certains, les autres pointent et dénoncent un mercantilisme criant des cliniques. Qu’en dites-vous ? A votre avis, qu’est-ce qui a fait qu’on en arrive là ?

Les cliniques privées ne sont pas, comme il a semblé à certains, des mines d’or. D’ailleurs ceux qui s’y sont aventurés font actuellement marche arrière. Les cliniques sont des structures qui permettent aux médecins de travailler dans de meilleures conditions. Ce ne sont qu’un outil de travail.

Il est communément admis que la médecine a un coût. Les soins de qualité réclament au pa­tient un sacrifice, des fois au-dessus de sa bourse. C’est le résultat d’une inéquation flagrante entre les taux de remboursement et le coût des soins.

A défaut d’une médecine pu­blique de quali­té, le patient se trouve parfois contraint de choi­sir les structures libérales où, il faut cependant le reconnaître, il est bien soi­gné. La majorité écrasante des Marocains se fait traiter dans ce secteur. Il n’y a pas de mystère. Les patients y trouvent des in­frastructures adé­quates, des équi­pements lourds, coûteux et de dernière tech­nologie, et enfin des compétences reconnues. Les patients ont accès aux soins très ra­pidement et sou­vent sans délai. Ce sont les cliniques privées qui ont rendu possible cette belle situation, au prix de gros investissements, d’ailleurs, sans aucune aide ni subvention étatique.

Or, on leur reproche souvent leur obstination à s’assurer de la solvabilité de leurs patients. Lors­qu’un patient se présente à une clinique, celle-ci n’a aucun moyen de vérifier s’il est réellement couvert par son assurance ou pas. Et mieux en­core, l’organisme supposé payeur, s’octroie le droit, une fois le patient soigné, de revoir injus­tement à la baisse les gestes facturés, refuse le règlement du matériel utilisé, s’il ne rejette pas complètement le dossier. Le patient souvent mal informé, pris en otage, se trouvant entre le mar­teau et l’enclume n’a le choix que d’incriminer la clinique et le médecin traitant, à défaut de se retourner contre son assurance sachant qu’il n’aura pas d’interlocuteur direct et qu’il passera des semaines à traîner dans les couloirs d’une administration fantôme.

Faut-il rappeler que les médecins se sont for­més à leur propre compte, souvent à l’étranger dans les grands hôpitaux européens ? La plupart de ces médecins reviennent au pays pour servir leurs concitoyens avec abnégation et dévoue­ment, en sachant pertinemment qu’ils n’auront pas de couverture médicale, ni de retraite assu­rée. Les médecins doivent payer pour l’éduca­tion de leurs enfants, équiper convenablement leur cabinet et leur clinique, et faire face à une concurrence déloyale de la part de certaines structures subventionnées et de surcroît exoné­rées d’impôts. Un challenge que seuls les plus téméraires relèvent, les autres préfèrent quitter le pays pour plus de considération, de respect et disons-le, plus de gains. Sept cents médecins viennent de quitter le Maroc pour l’Europe.

Bien sûr, il y a parmi nous, et nous le re­grettons tous, une minorité infime des gens tri­cheurs, malhonnêtes, cupides et immoraux qui par leur agissements, parfois par leur incompé­tence et leurs perfidie jettent le discrédit sur une profession qui est par essence noble et respectée. Le Conseil de l’Ordre des médecins est en prin­cipe garant de la probité de ses membres, apte à prononcer des sanctions et doit s’atteler à assurer l’intégrité éthique et morale de la profession. Le citoyen a, me semble-t-il, une certaine respon­sabilité. Il est de son droit voire même de son devoir de s’indigner et de dénoncer, chaque fois qu’il y a exaction à condition de ne pas verser dans des allégations diffama

Il est temps d’avoir un débat responsable et constructif mené avec distanciation, calme et sé­rénité, sans langue de bois ni entourloupe, pour rétablir une relation médecin-patient basée sur la confiance et le respect. À l’exception de certains comportements qui pourrissent l’atmosphère et heureusement peu fréquents, le médecin majo­ritairement intègre et dévoué, met son patient, au centre de ses intérêts. Et si par bonheur, il parvient à en vivre confortablement, c’est tant mieux. Il n’y a pas de honte à gagner sa vie hon­nêtement.

Peut-on dire que c’est l’état de la Santé pu­blique qui en est responsable ?

L’état précaire des structures de santé publique, l’insuffisance des budgets de fonctionnement et le manque d’une politique adéquate et respon­sable imposent parfois aux citoyens de se diriger vers le secteur libéral qui répond, disons-le, effi­cacement aux besoins de la population.

La défaillance du système de couverture so­ciale et l’opacité avec laquelle il est géré, gé­nèrent une double frustration, d’abord, chez le patient qui se croit faussement bien couvert, alors qu’il ne l’est pas réellement, et d’autre part, chez les médecins des cliniques qui se voient obligés de réclamer aux patients un supplément d’honoraires.

En France, par exemple, le coût de la méde­cine est trois fois plus cher qu’au Maroc. Mais personne ne se plaint, justement parce que le patient ne débourse pas directement de sa poche sauf exception.

Quelle lecture faites-vous de ce qui se passe aujourd’hui, dans le domaine de la santé ? (tensions entre patients et médecins des cli­niques, incompétence de certains médecins, dégradation du secteur public, grève des étu­diants en médecine …) ?

La santé au Maroc traverse une période tu­multueuse. La profession a perdu ses lettres de noblesse, le patient a perdu la confiance, le ministère conduit un projet flou et opaque -si projet il y a- les compétences ont quitté le ser­vice public, l’enseignement est en faillite totale, comme si quelque chose ou quelqu’un oeuvre à ce nihilisme. Mais tout n’est pas sombre, para­doxalement, le niveau de formation des méde­cins, leur savoir et leur technicité, le standing des cliniques privées, les équipements et les soins qu’elles proposent, n’ont rien à envier à ceux des pays développés.

Effectivement, les étudiants en médecine sont en grève depuis plusieurs mois pour des pro­messes non tenues et une politique de colmatage incapable de proposer une solution convaincante et durable. Ce qui est fâcheux et dommageable.

Surfacturation, chèques de garantie, paie­ment au noir, absence de factures, actes chirurgicaux non justifiés, les cliniques sont désormais dans le collimateur des citoyens qui crient à la dictature des lobbys. Mais n’y a-t-il pas une part de vérité là-dedans du moins dans certaines cliniques ?

Aucun médecin responsable et digne de porter ce nom ne peut cautionner ces irrégularités.

La surfacturation, le paiement en noir, l’ab­sence de facture et la pratique de gestes injusti­fiés sont l’agissement irresponsable et condam­nable d’une minorité de cliniques privées, qui entachent par ricochet et sauvagement la réputation d’une noble profession. Le citoyen mal informé et soumis à l’ignoble influence de quelques médias, se trouve inconsciemment amené à colporter de fausses informations.

Cependant, lorsqu’on réclame des soins à une clinique privée, c’est un service qu’on vient chercher. Les services se payent à leur juste va­leur. Les cliniques et les médecins ne sont pas censés travailler gracieusement. Chacun de nous peut offrir ses compétences à qui il souhaite, mais c’est une affaire personnelle qui reste à la discrétion du praticien. Ce n’est nullement un devoir et ceci n’a rien à voir avec le manque de compassion ou d’altruisme. Savez-vous que les médecins sont taxés sur les gestes gratuits ?

Ce qu’on appelle faussement un paiement en noir est simplement, un paiement en liquide, jeu de mot mis à part. Chaque médecin et chaque clinique accumule dans ses tiroirs des chèques non honorés. Cet argent réduit à un bout de papier sans valeur détériore la confiance et incite à la méfiance. Même l’Etat souverain et ses ad­ministrations préfèrent un règlement en espèces à défaut de chèques certifiés. Il semblerait même qu’une des grandes administrations étatiques réclame aux contribuables, lorsqu’elle passe avec lui un accord de règlement échelonné, des chèques pré-datés et personne ne trouve rien à en dire.

 Je voudrais tordre le cou, si je peux me le permettre, à une rumeur assez répandue, selon laquelle certains mé­decins pratiquent des actes chirurgi­caux non justifiés. Les chirurgiens et les anesthésistes savent pertinemment que chaque intervention aussi mi­nime soit-elle, comporte des risques. Elle ne peut être proposée qu’après une évaluation sérieuse de ce dernier et sa balance avec le bénéfice que le patient peut en tirer. Personne n’est opéré sans son consentement. Nous sommes des êtres dotés de conscience, de la parole et d’un cerveau capable de discernement et non des boeufs qu’on conduit aux abattoirs.

Comment remédier à ces anoma­lies ? Que faudrait-il changer ?

Nous manquons d’une politique globale et de régulation, adéquate et responsable avec une vision ferme et claire qui s’inscrit dans le temps. Nous devons renvoyer le Conseil de l’Ordre des médecins à ses responsabilités et exiger un engagement rationnel afin de contribuer au rétablissement d’une confiance bilatérale. Nous devons exiger plus d’exemplarité de la part de certains médecins, plus de clair­voyance de la part des patients et un engagement honnête, non intéressé et constructif de la part des médias.

Même si le dénigrement des méde­cins a atteint aujourd’hui son apogée et la confusion est totale, ce dénigre­ment qui trouvait son point d’ancrage dans le doute sur les compétences, est maintenant fixé sur l’argent. On ne parle plus des supposées erreurs et fautes médicales puisque les accusa­tions étaient parfois mal fondées, mais il s’agit aujourd’hui de l’enrichisse­ment des médecins du secteur libéral. Bien entendu, la cupidité est un vice qui n’épargne que les sages et parmi les médecins il y a une minorité sans sagesse. Mais ne faisons pas l’amalga­me entre l’action sociale et l’éthique humaniste, entre le coût et le prix, entre le droit et le devoir.

Il n’y a aucune honte à gagner sa vie, à exiger ses émoluments libres en toute transparence, à investir dans la terre et la pierre pour assurer ses vieux jours et disposer de ses biens gagnés honnêtement. Tous ensemble nous devrions cesser l’abdication de l’es­prit et la démission de la raison pour de simples préjugés et une vision étri­quée, déformée, rognée, réductrice et néfaste pour tous. .

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