Mohcine Jazouli : ‘’J’invite les opérateurs ivoiriens à venir investir et à exporter au Maroc’’

En visite de travail en Côte d’Ivoire, Mohcine Jazouli, ministre marocain délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale chargé de la coopération africaine, explique les enjeux d’une intégration continentale basée sur l’élargissement de la zone de libre-échange économique.

On vous appelle « le monsieur Afrique ». Est-ce  une appellation flatteuse pour vous ou vous recevez cela comme une grande responsabilité ?

Ce sont les deux. C’est flatteur d’être entièrement assimilé à cette Afrique qui bouge, cette Afrique qui évolue, cette Afrique qui se construit. Mais c’est aussi une lourde responsabilité, une confiance royale qu’il faut mériter. C’est d’autant une lourde responsabilité qu’il y a aujourd’hui 53 pays africains partenaires du Maroc avec lesquels nous avons, pour la plupart d’entre eux, des projets de développement et de co-développement.

Quel est le but de votre séjour en Côte d’Ivoire ?

Vous savez que sa majesté le roi Mohamed VI accorde une énorme importance à la relation entre nos deux pays. Durant ses précédentes visites, il a eu l’occasion de signer un certain nombre d’accords qui lient nos deux pays. Ce sont des accords de coopération, des accords diplomatiques, mais aussi des accords qui sont liés à des projets. Il y a aujourd’hui une centaine d’accords. Mon objectif, c’est de passer en revue les différents projets liés à ces accords avec les opérateurs marocains ici et avec les différents partenaires ivoiriens. C’est une visite de travail et de revue des accords.

Quand le Maroc dédie un ministère tout entier à l’Afrique, est-ce un message au continent ?

Oui, c’est un message très fort. La relation entre le Maroc et le reste du continent ne date pas d’hier, mais elle a été renforcée depuis 20 ans, depuis l’arrivée de sa majesté le roi Mohamed VI qui a eu, tout de suite, comme ambition, d’inscrire le développement du Maroc dans le développement de son continent. Consacrer aujourd’hui tout un ministère à cette relation entre le Maroc et l’Afrique, c’est la preuve que c’est une priorité et surtout une nécessité pour le Maroc, dans la mesure où de nombreux accords ont été signés entre le Maroc et les différents pays africains.  Sachez que sa majesté a effectué une cinquantaine de visites en Afrique dans une trentaine de pays, à l’issue desquelles ont été signés des milliers d’accords. Il était nécessaire de suivre tous ces accords et de continuer à dynamiser la relation entre le Maroc et le reste du continent.

A la sixième édition du forum international Afrique développement en mars dernier, on a parlé de la coopération entre l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest. Comment ce rapprochement doit-t-il se faire selon vous ?

C’était la thématique du forum organisé par le groupe Attijariwafa bank qui devient un rendez-vous incontestable des grands décideurs économiques africains. L’idée, c’est de rapprocher l’Afrique anglophone de l’Afrique francophone.  Et ma conviction est que l’ouverture d’une zone de libre échange continentale va fluidifier les échanges et  faciliter ce rapprochement entre l’Est et l’Ouest. Le nombre minimum de pays requis pour la ratification a été atteint. A partir du prochain sommet de l’Union africaine à Niamey (ndlr : en juillet prochain), l’accord entrera donc en vigueur et les travaux vont commencer pour instaurer une union douanière dans un premier temps et un espace économique dans un second temps. Il y aura donc un rapprochement Est-Ouest, comme il y aura un rapprochement Nord-Sud. L’ensemble de l’Afrique va démultiplier ses échanges et donc ses rapprochements.

Quels sont, aujourd’hui, les freins à cette intégration ? 

Aujourd’hui, l’intégration est faible avec seulement 15% des échanges. L’Europe est à plus de 50% d’échanges. C’est dire qu’il y a un gap à combler ! Les freins, ce sont, avant tout, toute l’infrastructure du transport et de la logistique qui ne permet pas forcément aux marchandises de circuler librement entre les différents Etats africains. Malgré l’ouverture de la zone de libre-échange, il va falloir faire un effort considérable dans l’infrastructure d’interconnexion entre les différents pays africains.

Quels sont les paliers que le continent doit franchir pour arriver à cette terre promise du libre-échange économique ?

Cette zone de libre-échange entrera en vigueur au prochain sommet de l’Union africaine, en juillet 2019. A partir de là, les différents Etats vont entrer en négociation sur les prix douaniers et sur les différentes listes d’exception qui vont faire que les différents pays vont pouvoir échanger ensemble. L’agenda, c’est d’arriver à l’union douanière en 2022 et à l’union économique en 2028.

L’économie doit-elle être au cœur de cette dynamique d’intégration continentale que vous défendez ? On parle de plus en plus d’éco-diplomatie, qu’en pensez-vous ?

Je crois qu’on est passé d’une ère à une autre. On est passé d’une posture dogmatique africaine à une posture pragmatique africaine. Aujourd’hui, la quasi-totalité des dirigeants africains ont adopté une posture pragmatique de développement socioéconomique. L’économie joue donc forcément un rôle fondamental. Nous sommes tous conscients que la croissance qui va permettre de donner des emplois à l’ensemble des économies africaines est nécessaire. Cette croissance devrait idéalement absorber les 12 millions d’Africains qui arrivent sur le marché du travail chaque année, en plus du stock de chômeurs qui existent malheureusement aujourd’hui en Afrique.  Les économistes estiment cette croissance à plus de 7% en moyenne et par pays sur les trois prochaines années. C’est dire qu’il y a le besoin d’une réelle croissance.

Vous êtes donc d’avis avec ceux qui pensent qu’il faudra mettre l’économie au cœur de l’intégration, en particulier, au niveau de la Cedeao ?

L’économie, je l’ai dit, a un rôle prépondérant. La logique de communautés économiques régionales va être un bon pas pour compléter l’intégration africaine. Mais très rapidement, la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) va transcender la logique des communautés économiques régionales. Cette zone de libre-échange ne rendra pas caduques les communautés régionales, elle va plutôt engendrer une dynamique plus puissante dans les prochaines années.

Où en est le Maroc dans le processus de son intégration à la Cedeao ?

Le Maroc a eu un accord de principe de la part des Chefs d’Etat membres de la Cedeao.  Il y a un processus dans lequel nous sommes engagés. Ce processus comporte un certain nombre d’étapes dont les études d’impact et les études socio-économiques. Nous attendons les résultats de ces études pour faire avancer ce process qui est un process normal et qui suit son cours.

Le Maroc est présent en Côte d’Ivoire, notamment, dans les secteurs bancaire et de l’immobilier. Y a-t-il des secteurs qu’il importe de renforcer prioritairement entre les deux pays ?

Nous irons vers tous les secteurs où il y a de la complémentarité, où il y a un besoin, aussi bien en Côte d’Ivoire qu’au Maroc, car la coopération se fait aussi bien dans le sens Maroc-Côte d’Ivoire que dans le sens Côte d’Ivoire-Maroc.  Vous me donnez-là l’occasion d’inviter les opérateurs ivoiriens à venir investir et à exporter au Maroc et  composer avec nous dans les domaines du savoir-faire ivoirien. S’agissant du savoir-faire marocain, en plus du développement phénoménal des infrastructures ces 20 dernières années que nous pouvons partager avec la Côte d’Ivoire, le Maroc a un savoir-faire reconnu sur toute la chaîne de valeur industrielle, agro-industrielle, depuis les fertilisants jusqu’à l’agro-industrie, en passant par l’agriculture. Il y a aussi la logistique, la gestion des ports, la logistique secondaire. Nous pouvons partager avec nos partenaires du continent, dans tous ces domaines, y compris dans la gestion de l’eau, depuis les barrages jusqu’à la micro-irrigation, en passant par les réseaux d’assainissement, les voieries et la gestion de l’eau dans les villes. Dans tous ces domaines, il y a un réel savoir-faire marocain avéré que nous sommes prêts à partager avec les Ivoiriens. Il y a des projets qui sont déjà en cours et qui sont la preuve vivante de ce partage de savoir-faire.

Interview réalisée par
Benoit HILI

www.fratmat.info

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