Nasser Bourita aux Panafricaines : « Si l’Afrique bouge, sa perception par l’Autre, elle, stagne ! »

C’est ce vendredi 26 octobre que s’ouvre la 2ème édition du forum Les Panafricaines, qui se tient à Casablanca jusqu’au 27 octobre. 200 journalistes en provenance de 54 pays du continent africain prennent part  à cet événement qui a pour thème : «  Migrations africaines : une chance pour le continent, une responsabilité pour les médias ».

« Si l’ambition des Panafricaines est de montrer le véritable visage de la migration, sachez que notre ambition est commune. » déclarera Nasser Bourita dans son discours devant les femmes des médias, venues débattre d’un sujet d’actualité qui secoue le monde et la presse internationale à savoir la question migratoire. L’objectif étant d’élaborer un véritable plan d’action afin de donner un autre visage aux migrants.

Dans ce sens, nous vous donnons à lire l’allocution du ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale 

 « Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Cher.e.s collègues et ami.e.s,

J’ai tenu à être des vôtres pour cette ouverture, pour vous réitérer activement et personnellement l’importance et la pertinence de votre projet, et vous exprimer mon soutien à votre action.

Et c’est en partenaire que je m’adresse à vous ; parce que notre cause est commune, en définitive : celle de contribuer, ensemble, à l’émergence de cette Nouvelle Afrique si chère à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste et qu’il a décrit dans son Message au 27ème Sommet de l’Union africaine à Kigali, le 17 juillet 2016 comme suit :

« L’Afrique, si longtemps négligée, est devenue incontournable. L’ère où elle n’était qu’un objet dans les relations internationales est révolue. Elle s’affirme, progresse et s’assume sur la scène internationale. Elle se présente désormais comme un interlocuteur actif et respecté dans le débat sur la Gouvernance mondiale. »

Cette Afrique « fière » et « émancipée », passe aussi, par la « domiciliation » de son image et la réappropriation de son histoire.

Et votre initiative s’inscrit dans cette dynamique de l’Afrique. A l’heure de l’Open-Sky africain et de la Zone Africaine de Libre-Echange, l’information se trouve au cœur du nouvel Ordre africain en devenir.

J’entends l’information active ; l’information structurante : celle qui ne se contente pas de commenter, mais qui mobilise ; celle qui ne se contente pas d’appeler au changement, mais le provoque et l’accompagne, parfois même le précède.

En effet, Mesdames et Messieurs,

Si l’Afrique bouge, sa perception par l’Autre, elle, stagne ! C’est bien la démonstration que, quels que soient les efforts et quels que soient les acquis, l’Afrique restera écrasée sous le poids de sa propre image, aussi longtemps qu’elle lui échappera.

L’Afrique – qui a à cœur d’écrire sa propre Histoire – gagne, aussi, à façonner sa propre image. Car, l’information, comme l’Histoire, est une question d’angles de vue – de perspectives. Je pense à ce proverbe africain, qui dit que : « Aussi longtemps que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur».

Or, aujourd’hui – disons-le – l’image de l’Afrique est importée. Elle est fabriquée dans les rédactions d’ailleurs, chargée en stéréotypes, parfois en idéologies, et pourtant intégrée et consommée en Afrique, par les africains eux-mêmes.

Dans ce monde globalisé, de l’ultra-instantanéité, l’image est essentielle. Il ne s’agit pas d’une image romancée, qui ignore les retards ou sous-estime les défis. Il s’agit d’une image lucide, de l’Afrique par l’Afrique, qui réfute les clichés, qui reconnait les forces et les faiblesses, sans complaisance ni outrance.

Tant que l’Afrique n’écrira pas son propre récit, nous aurons l’image déformée d’une Afrique qui ne contrôlerait pas sa démographie, qui ne saurait pas tirer profit du dividende démographique ; d’une Afrique à feu et sang, en proie aux guerres civiles, au terrorisme et aux luttes intestines ; d’une Afrique où la corruption est endémique, systémique, qui gangrène les sociétés et sape les institutions !

L’action des Panafricaines est importante. En fédérant les compétences, les vocations et les engagements des femmes journalistes de l’ensemble du continent, les Panafricaines mettent le doigt sur le moyen de démultiplier la portée de vos démarches respectives. Partager les bonnes pratiques et mettre en commun les actions, c’est économiser temps, efforts et ressources. Autant de pas indispensables pour constituer la masse critique nécessaire pour peser sur le cours des choses.

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

L’exemple de la migration – qui est au cœur de votre thématique de travail – est une illustration parfaite du décalage abyssal entre la perception et la réalité, lorsqu’il s’agit de notre continent.

Dans ce cas, les stéréotypes sont plutôt un fonds de commerce pour certaines formations politiques. Ils constituent l’ingrédient de recettes électorales éprouvées qu’elles ont mises en place. Le populisme est vendeur par les temps qui courent, malheureusement.

Si l’ambition des Panafricaines est de montrer le véritable visage de la migration, sachez que notre ambition est commune. C’est, même, précisément ce que le Maroc s’attelle à faire : déconstruire les mythes un par un, systématiquement, méthodiquement, patiemment.

C’est cette démystification que Sa Majesté appelle à Abidjan en 2017 : « Le 21ème siècle sera celui des grands brassages. Ce constat de bon sens nous interdit de donner toute tournure idéologique, passionnelle, voire xénophobe aux discours sur la migration. […] Peu capables ou peu désireux de saisir les causes profondes du phénomène migratoire, on le fige et on le généralise dans des représentations stéréotypées ».

Commençons, donc, d’abord, par saisir le phénomène migratoire. Un travail de démystification et de remise en perspective, s’impose :

  • Lorsque nous parlons de migrations internationales, nous parlons de 3,4% de la population mondiale – soit quelques 258 millions de personnes.
  • Sur cette population de migrants internationaux, moins de 14% sont africains – soit 36 millions.
  • 80% de ces 36 millions sont réguliers, et 20% seulement sont irréguliers – soit 7,2 millions. Et sur ce contingent de migrants africains irréguliers, les 4 cinquièmes restent en Afrique.
  • Donc, lorsque nous parlons des migrants irréguliers africains qui émigrent à l’international (c’est-à-dire, en Europe mais aussi ailleurs dans le monde) nous parlons, en réalité, de 1,44 millions d’hommes et de femmes.
  • 1,44 million sur 258 millions dans le monde : soit 0,55% des migrants internationaux.
  • Ainsi, sur 100 migrants internationaux dans le monde, moins de 1 est un Migrant africain irrégulier (0,55%).  Pourtant, plus de 33% (plus du 1/3) des migrants qui périssent le long des routes migratoires sont africains.
  • L’idée du migrant qui coûte plus qu’il ne rapporte, qui reçoit plus qu’il ne donne, ne résiste pas non plus à l’examen. Car, poussons la réflexion un peu plus loin. Ces mêmes 1,44 millions de migrants africains qui ont émigré à l’international, dépensent 85% de leurs revenus dans leurs pays d’accueil. Les envois de fond que l’on décrit comme une panacée ne constituent que 15% des revenus des migrants africains.
  • Et encore, l’Afrique a les coûts les plus élevés au monde en matière d’envois de fonds, 8,9 % pour l’envoi de 200 dollars. Nous sommes bien loin de l’objectif mondial des 3%.

Le propos n’est pas de dire que le problème n’existe pas, ou de le sous-dimensionner. Le propos est de montrer, par des chiffres objectifs et vérifiables, que le spectre migratoire n’est parfois qu’un épouvantail en paille.

S’il faut se méfier des stéréotypes, il faut aussi s’éloigner des solutions de facilité ; celles qui croient guérir le mal en traitant le symptôme.

La migration n’est pas une problématique sécuritaire, c’est une question de sécurité humaine. La coopération entre l’Afrique et l’Europe ne peut être exclusivement sécuritaire, au risque de donner lieu à une externalisation du contrôle de ses frontières.

C’est en cela que certaines « bonnes mauvaises idées » sont dangereuses :

Je pense, notamment, aux « centres de débarquement de migrants » qui, au-delà de leur incapacité à répondre au symptôme, infectent le socle des valeurs qui sous-tendent notre condition même d’humain.

Elles sont non seulement inefficaces, mais également contre-productives, courtermistes et inévitablement dangereuses.

Le Maroc l’a dit ; je le redis : le Royaume n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais le gendarme de qui que ce soit.

 Mesdames et Messieurs,

A ces solutions de facilité, le Maroc oppose une approche humaniste et solidaire.

Et il commence par le niveau national : le Maroc a adopté en 2014, une politique d’immigration et d’asile, pionnière dans la région. Cette politique migratoire favorise l’intégration durable des migrants. Elle touche à la fois à l’éducation, la santé et l’emploi, avec une attention spécifique aux femmes migrantes. Elle a permis, à travers 2 campagnes de régularisation lancées en 2014 et en 2017, de régulariser plus de 50.000 personnes, parmi lesquels 95% sont des ressortissants de pays africains, dont 18.819 migrantes femmes. Au total, plus de 60 000 dossiers ont été reçus et traités à un taux de satisfaction de plus de 80%.

C’est dans ce même esprit que s’inscrit, au niveau continental, l’Agenda Africain pour la Migration, qui encapsule la Vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, et la porte au sein de l’Union Africaine. Cet Agenda africain, adoubé à l’unanimité par les Chefs d’Etat africains, souligne clairement que [je cite] : « Le rôle des médias est important, il leur appartient de véhiculer une image positive des migrants, de lutter contre les clichés négatifs, les stéréotypes et les idées reçues».

Une des propositions concrètes de cet Agenda est l’Observatoire Africain des Migrations présenté par Sa Majesté. Cette institution panafricaine basé à Rabat aura pour noble mission de « comprendre, anticiper et agir ». Dans un contexte où la connaissance du phénomène migratoire est consubstantielle à sa gestion, l’Observatoire est l’incarnation d’un afro-optimisme pragmatique.

Cet afro-optimisme, qui est à la base de la politique migratoire du Royaume, est aussi au cœur de la Vision que le Maroc a défendue tout au long des négociations sur le Pacte Mondial pour des Migrations Sûres, Ordonnées et Régulières, qui sera adopté lors de la Conférence de Marrakech, les 10 et 11 décembre prochain.

Ce Pacte est historique : Son lieu et sa date n’ont pas été choisis au hasard par la Communauté internationale. Il se tient en terre africaine, le jour du 70ème anniversaire de la déclaration des droits de l’Homme.

Il est, aussi, inédit : C’est le tout premier document international qui traite de la question de la migration dans sa globalité. C’est un texte équilibré et consensuel. Ce sont 23 objectifs qui réussissent à marier le réalisme et l’ambition, à allier la gestion des frontières et la protection des droits humains des migrants et à favoriser le nexus migration – développement.

L’enjeu que porte le Pacte mondial est paradigmatique. Il s’agit de transformer la gouvernance mondiale des migrations. En ce sens, il est un véritable plaidoyer en faveur du multilatéralisme. Il parvient à s’extirper d’un contexte de durcissement des politiques migratoires, pour asseoir la gestion des migrations dans un prisme de coopération internationale et de responsabilité partagée.

En bref : le Pacte est un rendez-vous. Pour le Maroc, ce n’est pas une conférence diplomatique comme les autres ; c’est un rendez-vous que la communauté internationale en générale et l’Afrique en particulier, s’est donnée avec l’Histoire, les 10 et 11 décembre à Marrakech.

Il ne s’agira pas de négocier ; le consensus a déjà été trouvé. Il s’agit de faire ce premier pas, vers la mise en œuvre concrète du Pacte ; son opérationnalisation. Il s’agit de démontrer que le Pacte n’est pas une fin en soi, mais le début d’une nouvelle ère et d’un nouveau récit, co-écrit.

Mesdames et Messieurs,

Cher.e.s ami.e.s,

La mobilité est irréversible. La solidarité est incontournable !

La Migration Sûre, Ordonnée et Régulière que nous appelons de nos vœux, ne peut se faire sans l’Afrique, et ne peut se faire sans les femmes africaines.

Des relations Nord-Sud apaisées et mutuellement bénéfiques se feront avec les migrant.e.s, ou ne se feront pas.

Que ce réseau – les Panafricaines – le vôtre Mesdames, soit le fer de lance de ce dessein. Qu’il soit le réseau des faiseuses d’opinion, des journalistes engagées, des actrices du changement. Que vos voix fortes, portent dans l’harmonie, sinon dans l’unité, haut et loin, le récit de l’Afrique par l’Afrique.

Cette unité dans l’effort commun est bien résumée dans un proverbe de notre continent : « le fardeau supporté en groupe est une plume ».

Je vous remercie de votre attention.

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